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Déficit des retraites : pourquoi les chiffres sont faux depuis 20 ans

Alors qu’Emmanuel Macron remet le dossier des retraites sur la table, la polémique rebondit sur les projections du Conseil d’orientation des retraites. Texte d’opinion par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans L’Express.

Le nouveau rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR) n’apporte pas plus de clarté que les précédents. Les partisans des réformes, comme leurs opposants défendant le statu quo, prétendent que le COR conforte leurs visions antinomiques. Si le COR reconnaît que ses prévisions antérieures péchaient par optimisme, ce qui légitime les réformistes, il considère que les retraites seront excédentaires à hauteur de 3,2 milliards en 2022, ce qui conforte les opposants aux réformes. Ce dialogue de sourds n’est pas nouveau et les uns et les autres s’appuient sur une vision erronée de la situation réelle.

Un déficit sous-évalué

Le COR publie des chiffrages sous évalués depuis 20 ans. Depuis sa création, il calcule le déficit des retraites avec une méthode contestable. Le COR épluche en détail la santé des régimes de retraite du privé, qui posent le moins de problèmes, et oublie d’auditer celles des fonctionnaires d’Etat, au motif que leurs pensions sont financées par le budget. Pourtant, les comptes publics sont structurellement déséquilibrés, notamment en raison de l’absence d’anticipation de l’Etat employeur. Il paie les retraites grâce à des subventions d’équilibre qui représentent en moyenne 1,3% du PIB par an depuis 2002, soit 33 milliards d’euros d’aujourd’hui. Lorsqu’on en tient compte, le déficit des retraites est de 1,5% du PIB par an. C’est huit fois plus que les chiffrages du COR, bien loin du « quasi équilibre » des retraites mis en avant par les défenseurs du statu quo.

Au-delà de la sous-évaluation du déficit, l’approche du COR n’aide pas à comprendre les enjeux, différents dans le public et le privé. D’un côté, l’Etat a promis des retraites qui sont attrayantes mais génèrent des déficits massifs. Dans le privé, les équilibres financiers sont globalement respectés, mais la répartition est de moins en moins attrayante avec la dégradation de la démographie.

Dans le secteur public, des démarches responsables seraient soit d’aligner les retraites sur celles du privé, approche qui ne fait pas consensus, soit de commencer à provisionner les promesses dérogatoires que l’Etat fait à ses personnels, pour qu’elles cessent d’être une source de dérapages financiers. Dans le secteur privé bien géré, et notamment à l’Agirc-Arrco, l’enjeu est de faire monter en puissance une dose de capitalisation collective. C’est la seule façon d’épauler la répartition, moins attrayante depuis le contre choc du baby-boom.

Certains prétendent que c’est impossible, mais c’est la seule issue. Le recul de l’âge de la retraite est de nature à soulager les comptes publics, mais il ne permettra pas de contrebalancer à lui seul la baisse de la natalité. Le tout répartition était attrayant dans les années 1960, lorsqu’il y avait 4 actifs par retraité. Il est aujourd’hui problématique avec 3 fois moins de cotisants dans le privé et 4 fois moins dans le public.

Sauf à penser qu’il sera possible de reculer drastiquement l’âge de la retraite, bien au-delà des seuils évoqués jusqu’à présent, l’enjeu est de capitaliser collectivement. Cela permettra de bonifier les retraites, en profitant des dividendes et plus-values générées par les placements. Conséquence, il sera possible de soulager le pouvoir d’achat, les comptes publics et la compétitivité.

Certains prétendent que ce scénario ne serait pas politiquement acceptable mais, là encore, leur vision n’est pas corroborée par les faits. La capitalisation est, par exemple, plébiscitée à la Banque de France, avec des syndicats ayant manifesté en 2020 pour s’opposer à la fermeture de leur régime provisionné. De même, des expériences récentes montrent qu’il est possible de mettre en place des capitalisations collectives avec le soutien des intéressés. Depuis 2006, l’ERAFP, le fonds de pension paritaire de la fonction publique a accumulé 42 milliards au profit des fonctionnaires, avec un rendement attrayant (en moyenne 5,6% depuis sa création). Le privé n’est pas en reste avec la généralisation de la capitalisation collective en 2009 chez les pharmaciens. Elle permet de contrebalancer la dégradation prononcée de leur démographie (1 cotisant par retraité) et représente aujourd’hui 50 % des retraites servies par la CAVP aux pharmaciens libéraux.

Le dossier des retraites ressemble étrangement à celui de l’énergie, avec la nécessité de dépasser les blocages conceptuels. Il s’avère que la récente décision de réinvestir dans le nucléaire est relativement consensuelle, cette énergie étant indispensable dans le cadre d’un mix énergétique résilient et respectueux des enjeux environnementaux. La décision de provisionner une partie des retraites, pour épauler la répartition à la peine, reste à prendre. Pour autant elle fait de plus en plus consensus chez tous ceux qui s’inquiètent de la baisse des retraites, conséquence mécanique d’une natalité en berne.

Nicolas Marques

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