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La résilience c’est répartition et capitalisation

La capitalisation est parfois présentée comme risquée, alors que la répartition serait une façon plus sûre de financer les retraites. L’actualité nous invite une fois de plus, à relativiser cette approche, avec des régimes par répartition à la peine en 2020, tandis que les capitalisations collectives enregistraient des performances positives. Au delà de la conjoncture, des pans entiers d’analyse économique soulignent que mixer répartition et capitalisation permet de réduire les risques.

Il ne faut pas se tromper, la violence des cycles impacte la gestion des systèmes en capitalisation, mais aussi les régimes en répartition. Pour les premiers, la baisse des marchés financiers se répercute instantanément sur la valorisation du portefeuille, en « marked-to-market ». Rien n’est véritablement perdu, tant qu’il n’y a pas eu de vente, et le rebond des marchés se traduira par une reconstitution des plus-values latentes.

Dans le cas d’un régime par répartition, toute crise économique et financière se traduit par un effondrement de la masse salariale et donc de l’assiette de cotisations. L’accumulation de déficits va imposer de financer le paiement des prestations de retraite en réduisant les réserves ou en ayant recours à l’endettement. La crise actuelle en fournit une illustration. En France en 2020, les régimes par répartition ont subi de plein fouet la crise avec une baisse des cotisations (-4 % selon les derniers chiffres du Conseil d’orientation des retraites), tandis que les résultats de fonds de pension étaient bien meilleurs avec notamment +3 % de rendement pour l’ERAFP ou + 4,35 % de pour le régime capitalisé des pharmaciens (CAVP).

Tout miser sur la répartition est, par nature, un choix peu diversifié

La complémentarité d’un niveau de répartition et d’un niveau de capitalisation s’impose dès lors au regard d’un principe bien connu des gérants d’actifs : la diversification. Le « tout répartition » conduit à une forte dépendance à une variable exogène : la croissance économique, et à son corollaire, la masse salariale. Le « tout capitalisation » expose à des fluctuations de la valeur des actifs, liées à la volatilité des marchés financiers. Le mix des deux permet d’actionner des leviers différents selon les phases de cycle, et assure une meilleure stabilité du système global, et sans doute également sa pérennité.

Tout miser sur la répartition est, par nature, un choix peu diversifié d’un point de vue géographique et économique. La capacité à délivrer des retraites attrayantes reste conditionnée à la démographie et au développement économique de la collectivité sur laquelle sont assis les prélèvements obligatoires la finançant. Même lorsque la répartition est pratiquée sur des bases non catégorielles, permettant de diversifier les risques entre différents secteurs d’activités, les risques restent concentrés sur une base géographique. De même, la répartition, telle que pratiquée en France avec le régime général, ne permet pas de faire face aux aléas sans générer des déficits. Il n’y a pas de mécanismes permettant d’ajuster finement les prestations aux recettes et de coussin de sécurité permettant de lisser la conjoncture est inexistant. Contrairement à ce que l’on observe chez nombre de voisins, notre répartition génère mécaniquement des déficits synonymes d’endettement.

La capitalisation s’organise sur des marchés de capitaux mondiaux, avec une capacité de diversification géographique. Elle permet, par exemple, d’investir dans des pays plus jeunes d’un point de vue démographique et/ou des économies n’ayant pas atteint nos niveaux de maturité. Elle permet aussi d’amortir les tendances, capacité qui n’existe pas dans la répartition lorsqu’elle fonctionne sans réserve. Elle a l’avantage d’être plus rentable à long terme, mais présente l’inconvénient d’être exposée aux chocs à court terme. L’expérience montre que les crises n’empêchent pas la capitalisation d’être rentable, les chocs boursiers étant suivis tôt ou tard par des phases de reprise. En revanche, ces chocs plaident pour une désensibilisation à l’approche de la retraite et une diversification la plus significative possible. Aussi, au sein des systèmes par capitalisation, les gestionnaires organisent la désensibilisation de l’épargne à l’approche des échéances, ce qui les conduit à vendre des actions au profit de produits de taux moins rentables et moins volatiles.

Au niveau de l’ensemble du système de retraite, pousser la diversification en combinant capitalisation et répartition fait sens. Comme la répartition, la capitalisation n’est pas immunisée à l’égard des chocs économiques, mais elle les absorbe différemment, d’où l’intérêt de mixer capitalisation et répartition.

Pousser la diversification en combinant capitalisation et répartition fait sens

La théorie économique insiste sur l’importance de mixer répartition et capitalisation pour minimiser les risques. Comme le soulignent Pierre Devolder et Roberta Melis[i], « les régimes de retraite par capitalisation et par répartition peuvent sembler très différents mais sont en fait complémentaires car ils traitent de différents risques ». On retrouve la même approche chez Didier Folus, qui considère que « les facteurs de risque qui affectent les performances d’un régime par répartition ou d’un régime par capitalisation, n’agissent a priori pas de façon simultanée sur les deux mécanismes. Et cela, même si certains de ces facteurs peuvent être communs (démographie par exemple) »[ii]. Dans une étude récente avec Léa Bouhakkou et Alain Coën, il conclut que « dans la plupart des cas, un mélange des deux systèmes est souhaitable »[iii].

On retrouve la même conclusion chez Philippe Trainar[iv]. Il considère que pour diversifier les risques auxquels les futures retraites sont exposées, il importe de diversifier les sources de financement des retraites avec un système mixte alliant 45 à 55 % de répartition et 55 à 45 % de capitalisation. De cette manière, les retraités bénéficient à la fois des revenus du capital et du travail. Cela permettrait de limiter les inégalités à l’instar des travaux de Branko Milanovic sur la réduction des inégalités associée à la démocratisation du capitalisme[v], tout en protégeant les salariés au cas où le partage de la valeur ajoutée leur devenait défavorable[vi]. Selon Trainar, « si l’on tient compte de la volatilité plus élevée des revenus du capital par rapport aux revenus du travail, notamment au salaire, le partage optimal serait autour de 33 % et 66 % respectivement pour la capitalisation et la répartition en France »[vii].

Ce passage est extrait de l’étude « Pour une réforme des retraites qui réponde aux enjeux français : Compétitivité, emploi, innovation avec la capitalisation pour tous » (88 pages), réalisée par CroissancePlus et l’Institut économique Molinari, disponible ici (lien).

[i] Devolder, P. et Melis, R. (2015). « Optimal mix between pay as you go and funding for pension liabilities in a stochastic framework », Astin Bulletin, The Journal of the IAA, Volume 45, Numéro 3, Septembre 2015, pp. 551-575, doi.org/10.1017/asb.2015.14

[ii] Folus, D. (2015), Vers une épargne-retraite obligatoire en France ? Enjeux de la transition, note de la Chaire Transitions démographiques, transitions économiques (TDTE), Caisse des dépôts, janvier, page 7.

[iii] Bouhakkou, L., Coën, A. et Folus, D. (2019). A portfolio approach to the optimal mix of funded and unfunded pensions, Applied Economics, page 1 DOI:10.1080/00036846.2019.1678728. L’optimum varietrsè significativement en fonction de la méthode retenue.

[iv] Trainar, P. (2017). La création de fonds de pension est-elle encore utile dans les économies avancées ?, Revue d’économie financière, N° 126 2017/2 , pages 123 à 142.

[v] Branko, M. (2016). Increasing Capital Income Share and its Effect on Personal Income Inequality, LIS Working Paper Series, No. 663, 33 pages.

[vi] Les données montrent qu’en France la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée a progressé depuis 1990, comme l’illustre le rapport récent co-signé par la CFDT, CFE-CGC, CFTC, CPME, Medef, et U2P consultable (www.cfdt.fr/upload/docs/application/pdf/2019-03/rapport_valeur_ajoutee_2019-03-14_14-23-34_604.pdf). Diversifier le financement des retraites en ajoutant une dose de capitalisation collective permettrait de prémunir les salariés contre une évolution défavorable du partage de la valeur ajoutée.

[vii] Trainar, P. (2017). La création de fonds de pension est-elle encore utile dans les économies avancées ?, Revue d’économie financière, N° 126 2017/2 , page 136.

 

 

Nicolas Marques

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