Quand l’Assurance maladie s’aveugle sur l’épidémie d’arrêts de travail
Selon l’Assurance maladie, l’explosion des arrêts de travail est la conséquence du vieillissement mais aussi d’abus. Mais la réalité est bien plus complexe, le retour des maladies infectieuses joue et, sauf à prendre le sujet en considération, l’Assurance maladie n’arrivera pas à faire des économies durables sur les arrêts maladie. Une chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Les Échos.
La santé publique est parfois un sujet qui fâche, lorsqu’elle est associée à des interdictions, prohibitions, obligations ou moralisations. Quand un risque est identifié – comme consommer trop de boissons sucrées – le réflexe est de taxer pour rendre moins attractif. Sauf que la contrainte n’est pas toujours adaptée.
Et que dire quand le problème est mal posé comme dans le cas des indemnités journalières maladie ? Selon certains, les Français seraient devenus flemmards et profiteraient en masse du système social. Mais il y a maldonne, ce n’est pas ce que montrent les chiffres.
Hausse des dépenses
Lorsqu’on conçoit des politiques publiques, il faut s’attacher à trouver les causes avec pragmatisme puis s’atteler à la difficile tâche de trouver des solutions acceptables pour tous. La hausse des dépenses de santé est réelle. À moins de percer le mystère du vieillissement en parfaite santé, il est évident que la consommation de soins va continuer à s’accroître.
Le regain d’arrêts indique très probablement que la pandémie [de Covid] a un effet durable sur la santé, ce qui expliquerait l’absence de retour à la normale.
La revalorisation du prix des consultations pour la médecine en ville et nombre de demandes en ce sens vont pousser à la hausse les coûts. Ces dépenses semblent contraintes et difficiles à contenir. L’une d’elles attire l’attention : les indemnités journalières maladie.
Depuis 2020, le rythme de progression des dépenses d’arrêts maladie a presque doublé par rapport à la période d’avant Covid. En euros courants, les arrêts maladie progressent de 7,6 % par an par rapport à 2019, soit presque deux fois plus vite qu’entre 2015-2019 (4,7 % par an). En 2024, les indemnités journalières maladie sont en augmentation de 43 % par rapport 2019.
Face à cette hausse, l’Assurance Maladie pointe du doigt des causes qui ne peuvent en aucun cas expliquer le doublement du rythme de progression depuis 2019. Après avoir incriminé la téléconsultation (qui n’explique pourtant que 0,6 % des arrêts maladie), souligné les risques d’abus, elle vient de lancer une campagne visant à inciter les gros prescripteurs à délivrer moins d’arrêts longs.
Mais comment expliquer que nos voisins souffrent du même problème ? Le nombre de jours travaillés perdus en Allemagne était 22 % plus élevé en 2023 qu’en 2019. Au Royaume-Uni, c’était 18 %, soit un niveau légèrement supérieur à la France (+17 %). L’Europe serait devenue flemmarde ou fraudeuse ?
Santé mentale
L’attention se porte aussi sur la santé mentale – en particulier celle des jeunes – problème réel et connu depuis longtemps qui peut d’ailleurs être provoqué et accentué par les maladies. Le regain d’arrêts indique très probablement que la pandémie a un effet durable sur la santé, ce qui expliquerait l’absence de retour à la normale. C’est ce que pensent un nombre significatif de spécialistes.
S’ils ont raison, avec le retour des maladies infectieuses, l’enjeu est de faire preuve d’inventivité, en veillant à s’assurer de l’adhésion des assurés dans un contexte d’opposition plus forte aux vaccins. Cela devrait occuper toute l’attention de l’Assurance Maladie. La difficulté est de trouver les solutions efficaces, celles qui sont bonnes et adoptées par les individus.
Ce n’est pas un hasard si des spécialistes de santé publique défendent des approches plus pragmatiques avec la reconnaissance des bons ou des moins mauvais substituts quand ils existent, qu’il s’agisse du tabac chauffé qui peut être un allié dans la lutte contre les méfaits de la cigarette ou des nouveaux médicaments contre l’obésité.