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Ne résumons pas le coronavirus au manque d’argent

Nous vivons une crise sanitaire de grande ampleur, avec des professionnels de santé en première ligne et des situations terribles dans les maisons de retraite et établissements médicaux. La tentation est de pointer du doigt le manque de moyens financiers. Mais si les engorgements se multiplie, on ne peut pour autant pas dire qu’on manque d’argent en France. Des pays s’en sortent mieux que nous, avec des finances publiques mieux gérées illustrant en fait une meilleure allocation des ressources. Texte d’opinion par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans L’Opinion.

Pour certains la crise actuelle serait l’illustration du manque de moyens dédiés à la santé en France voire à une trop grande rigueur financière. Or, si l’on constate que les moyens font cruellement défaut à certains endroits, la situation est malheureusement bien plus complexe, comme le montre l’analyse comparée des difficultés françaises et des succès Sud-coréens ou Allemands.

En dépit de nos 1 300 milliards d’euros de dépenses publiques par an, dont 610 milliards d’euros au titre de la Sécurité sociale, nous avons quinze fois plus de décès qu’en Corée du Sud, avec 47 morts par million d’habitants à ce stade. Pourtant, les Français dépensent 56 % de plus que les Coréens dans leur santé, l’Hexagone investissant dans la santé 3,1 point de PIB de plus que la Corée du Sud. Avec moins de moyens, les Coréens ont fait 3 fois plus de tests que nous, sur une plus petite population. Cela leur a permis de cibler les restrictions de mouvements sur les seuls malades et lieux contaminés. Du coup, leur économie peut fonctionner, avec des frontières encore ouvertes à ce stade. Pourtant, la Corée du Sud proche de la Chine a été touchée 6 jours plus tôt que la France.

Même si l’épidémie est à un stade moins avancé outre-Rhin, on constate d’ores et déjà des décalages tout aussi criants. L’Allemagne consacre comme la France 11,2 % de son PIB à la santé. Lorsqu’on considère les dépenses de santé par habitant, elle investit 21 % de plus que nous, son économie étant plus florissante que la nôtre. A ce stade, son niveau de préparation est sans rapport au nôtre. Nos voisins ont fait 5 fois plus de tests, avec 410 000 tests depuis le 9 mars, et disposeraient de 28 000 lits de réanimations.

Résumer les difficultés que nous rencontrons dans la lutte contre la pandémie à un manque de moyens, c’est donc passer à côté d’une réalité dérangeante : l’importance des dépenses n’est pas un gage de qualité. La rigueur n’est pas l’ennemie de la santé. Bien au contraire, elle permet de mobiliser les moyens de façon intelligente et coordonnée, là où ils font la différence. C’est vrai en temps normal, comme en période de crise. Ce n’est pas un hasard si les Coréens et les Allemands ont, par ailleurs, des excédents budgétaires, avec des dépenses et dettes publiques raisonnées. Bons gestionnaires financiers, ils sont aussi de bons gestionnaires sanitaires.

Plus que les budgets, il semble que ce soit la stratégie qui, une fois de plus, fasse la différence. Les expériences coréenne et allemande montrent l’importance de l’anticipation et la combinaison de tous les moyens disponibles. En France, tout laisse à penser que ces aspects ont fait défaut. Il est probable qu’on ait laissé de côté ou exposé des ressources précieuses, de façon inadéquate voire irrespectueuse. Depuis plusieurs semaines, nous avons vécu un enchaînement sidérant. Il a débuté avec un rationnement du matériel de base – gels hydroalcooliques, masques et autres matériels de protection – mais aussi des tests de dépistage. Ces mesures malthusiennes ont limité l’efficacité des gestes barrière de base, surexposé les personnels de santé et les malades au risque d’infection et de dissémination du coronavirus. Cela a réduit l’efficacité de l’effort collectif et crée des situations dramatiques dans les hôpitaux et les Ehpad. Les services médicaux publics se sont engorgés, ce qui a provoqué un confinement de la population, sans que pour autant la situation soit sous contrôle.

Parmi les raisons qui expliquent nos difficultés et les succès Coréens et Allemands, l’aptitude à optimiser les moyens disponibles, de façon pragmatique. Les Coréens ont pris soin d’intégrer le secteur privé dans la lutte contre la pandémie, qu’il s’agisse de déployer massivement les tests de dépistage ou de traiter les malades dans des établissements à 90 % privés. Les Allemands se sont appuyés sur leur industrie et sa capacité à développer des tests. En France, on pâtit, au contraire, et depuis longtemps des réticences des autorités publiques à intégrer les praticiens et établissements privés, mais aussi les industriels. Les généralistes libéraux ont été exposés à la maladie, sans masques. La biologie de ville s’est pendant de longues semaines vue refuser le droit de pratiquer des tests, faute de disposer de l’accréditation nécessaire. Même la chaîne de distribution de matériel médical a été paralysée. Les contrôle des prix et réquisitions ont réduit les incitations économiques à produire plus ou importer les gels hydroalcooliques et les masques de protection manquants. Un gâchis humain aussi bien qu’économique.

Nous devrons un jour avoir le courage d’accepter que les pays qui s’en sortent le mieux du point de vue sanitaire, Corée du Sud et Allemagne, sont aussi les plus efficaces d’un point de vue économique. Ces pays ont une fiscalité plus raisonnable, sont en plein emploi, ont des comptes publics excédentaires. Cela leur permet d’agir en bon ordre, là où nous sacrifions des hommes et des femmes comme notre économie. Notre étrange défaite rappelle celle de mai 1940, la France s’écroulant en raison d’un défaut de stratégie et de coordination et non à cause d’un manque de moyens.

Il n’est pas encore temps de faire le bilan de cette pandémie, mais une chose est d’ores et déjà sûre : il conviendra de faire le travail d’introspection nécessaire et de passer en revue nos façons de dépenser et de faire. Nous avons poussé au maximum en France la démarche consistant à toujours compter sur plus de budgets publics. Nous n’avons pas été aussi brillants lorsqu’il s’agissait d’optimiser l’allocation des budgets au sein des structures publiques et l’articulation entre l’offre de publique, privée non lucrative et privée à but lucratif. L’expérience montre que cela ne nous aide pas à surmonter les crises de façon plus sereine. Cela ne nous aide pas, non plus, à préserver l’économie française, ce qui accentue nos fragilités au lieu de les réduire.

Nicolas Marques

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