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Méfions-nous des sirènes du paquet neutre

Texte d’opinion publié en exclusivité sur le site de l’Institut économique Molinari.

Le projet de loi santé actuellement en discussion comprend notamment des mesures anti-tabac comme l’interdiction de fumer en voiture en présence d’enfants de moins de 12 ans ou le paquet neutre. Le concept du paquet générique vise à interdire aux compagnies d’utiliser des représentations graphiques (logo, dessin, couleur ou tout autre signe distinctif) faisant référence à une marque et permettant de différencier leurs produits. Il peut aussi – comme c’est déjà le cas pour le tabac – imposer sur une grande partie de l’emballage des images-choc ou des messages sanitaires. Alors que l’idée fait son chemin dans le cas des cigarettes (Australie, France, UK), force est de constater que la tendance ne se limitera sans doute pas aux produits du tabac. Or, en matière de marque, la neutralité est une aberration économique.

La tendance visant à imposer un paquet générique sans logo ni marque ne se limite déjà plus aux produits du tabac. En effet, des propositions similaires sont mises en avant pour d’autres produits. La Thaïlande envisage ainsi d’imposer des images‐choc sur les boissons alcoolisées, avec une rotation de l’image toutes les 1000 bouteilles. Le « plain packaging » des boissons alcoolisées a aussi été explicitement mentionné par le gouvernement britannique lors de la consultation publique concernant sa « stratégie » sur l’alcool. Au nom de la lutte contre l’obésité, il est également évoqué, par exemple, au Royaume‐Uni ou en Australie, pour tout un ensemble d’aliments gras ou sucrés, de boissons gazeuses et sucrées, de confiseries, etc. Au Canada, en 2012, l’Association médicale de l’Ontario (OMA) suggérait d’apposer des images-chocs sur les produits trop caloriques comme les sodas, les frites et mêmes les jus de fruits. Dans le cadre de leur campagne, ils proposaient des emballages de frites avec un ulcère au pied, une boîte à pizza avec un foie malade.

Si les pouvoirs publics continuent sur cette lancée et s’inspirent de ces campagnes, les consommateurs auront bientôt du mal à choisir leurs marques de cigarettes, de whisky, de bière ou de vin mais aussi de chips, de colas, de confiseries et de tout autre produit que des groupes de pression pourraient jugés néfastes pour la santé.

Si les intentions se veulent bonnes, elles ne prennent sans doute pas assez en compte le fait que les marques jouent un rôle économique incontournable aussi bien pour les consommateurs que pour les entreprises. Ainsi, elles sont une source d’information pour les premiers. Elles s’avèrent particulièrement importantes pour identifier les caractéristiques des produits qu’il est difficile de juger avant de les avoir consommés. D’autre part, grâce aux marques, les entreprises se différencient plus facilement de leurs concurrents, ce qui intensifie justement la concurrence. Les fabricants sont alors incités à investir pour innover et améliorer leurs produits, ce qu’on constate d’ailleurs sur le marché du tabac, avec l’émergence de la cigarette électronique ou des produits du tabac à chauffer. Sans l’incitation à se construire une bonne réputation, les entreprises ont moins de garde-fous face à des comportements irresponsables.

Si la diversification des produits venait à disparaître, ce ne sont pas seulement les entreprises qui seraient perdantes mais aussi les consommateurs. Car de deux choses l’une : soit le consommateur reste capable de différencier les produits et cela ne change donc rien à sa consommation, soit il n’est plus en mesure ou ne désire plus faire la différence entre les ex-produits de marque et les produits génériques. Or, les marques sont avant tout un moyen de départager les parts de marché entre des consommateurs ayant déjà pris leur décision d’acheter un produit.

En l’occurrence, cela signifie que les consommateurs substitueront dans un tel cas des produits « génériques » aux ex‐produits de marque. Les fabricants de ces derniers n’auront alors le choix que de faire faillite ou d’essayer de baisser les prix de leurs produits, en arrêtant par exemple de maintenir le même niveau de qualité qu’avant. Résultat ? La destruction des marques par le paquet neutre risque bien de déboucher sur une baisse des prix des produits visés. Or, une telle baisse est un facteur qui favorise généralement, non pas une réduction, mais une augmentation de la consommation des ces produits jugés dangereux pour la santé.

Au final, avant de se laisser bercer par les sirènes du paquet neutre et ses hypothétiques conséquences positives pour la santé, il serait utile de sous-peser sérieusement ses effets négatifs en prenant la mesure de ce que signifie la destruction des marques pour les entreprises et les consommateurs.

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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