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Retraites, pour une approche systémique

La politique française a tendance à traiter les symptômes des problèmes au lieu d’aborder les problèmes de fond, estiment Thibaut Bechetoille, Philippe Desfossés et Nicolas Marques. L’exemple des retraites est, en ce sens, très parlant. Chronique publiée dans Les Echos.

Alors que la récente réforme paramétrique des retraites a généré de longs mois de frictions, nous devons nous interroger sur la façon de réformer. Le monde est trop complexe pour aborder les sujets sans vision globale et faire des réformes traitant les symptômes plus que les problèmes de fond.

Les retraites fournissent une illustration de cette impasse méthodologique. Pendant des mois, il n’a été question que du nombre de trimestres travaillés et de l’âge de départ. Mais, les retraites sont au croisement d’autres enjeux : compétitivité, pouvoir d’achat, souveraineté, financement de l’innovation et de la transition écologique. L’habitude est d’aborder ces sujets en silos alors qu’ils sont liés.

Ce travers est particulièrement prononcé en France, pays où l’on assimile souvent retraites à répartition et relègue la capitalisation aux choix individuels, sans appréhender les effets pervers de cette démarche délétère.

Comme de plus en plus d’experts, nous proposons de généraliser la capitalisation collective, sur le modèle de l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) ou de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), tout en gardant la répartition comme un élément central. Cette évolution profondément sociale permettra de réduire les inégalités entre public et privé, d’aider à préserver le pouvoir d’achat tout en apportant une réponse à de multiples problèmes français.

Face au vieillissement, financer une partie des retraites par l’épargne permettra d’améliorer la compétitivité économique et les services publics. Les retraites expliquent 43 % de l’augmentation des dépenses publiques dans les 40 dernières années. C’est la conséquence de la fin du baby-boom. Les nouvelles générations, moins nombreuses, cotisent plus pour financer les pensions de retraités plus nombreux. Généraliser la capitalisation collective permettra de financer une partie des retraites par l’épargne, en limitant le recours aux cotisations retraite qui représentent 28 % des salaires bruts.

La généralisation de l’épargne retraite est aussi un enjeu pour l’innovation et la souveraineté. Comment expliquer les succès récurrents des Etats Unis dans les domaines stratégiques ? Parmi les facteurs clés, il y a une dépense publique fléchée vers l’innovation, mais aussi un financement s’appuyant sur du private equity et la bourse, alimentés par l’épargne retraite. C’est grâce à cet écosystème que les Etats-Unis arrivent à faire naître et grandir les leaders dans les réseaux, la cyber sécurité, les données, l’intelligence artificielle ou la transition énergétique. Ils bénéficient d’une épargne retraite abondante qui irrigue la bourse et les entreprises innovantes.

Si rien ne change, nous n’aurons pas assez de capitaux pour financer la transition écologique, comme nous n’avons pas réussi à faire éclore des géants du digital. Par rapport à la moyenne de l’OCDE, il manquait 8 900 milliards d’euros d’épargne retraite dans l’Union européenne fin 2020. Ce retard est un handicap pour le financement des entreprises – innovantes ou matures – et la croissance.

Enfin, généraliser la capitalisation collective permettra d’augmenter les pensions et le pouvoir d’achat. Cela associera tous les Français au partage des profits, avec une épargne retraite se bonifiant grâce aux dividendes et plus-values boursières. Tout le monde bénéficiera du partage de la croissance, dans la lignée des propositions de Jean Jaurès ou de Charles de Gaulle, fervents défenseurs de la capitalisation collective dans les années 1910 puis de l’intéressement dans les années 1960.

N’ayons pas peur de traiter les problèmes de société de manière globale en intégrant les interdépendances entre des sujets interconnectés. Non seulement, nous serons plus efficaces, mais nous pourrons mieux faire adhérer les Français. Ils comprennent bien les grands enjeux et la nécessité de vraies réformes de fond.

Thibaut Bechetoille (ancien président de CroissancePlus), Philippe Desfossés (ancien directeur de l’Etablissement de Retraite additionnelle de la fonction publique) et Nicolas Marques (directeur général de l’Institut économique Molinari).

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