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La dette, double épée de Damoclès française

La dette officielle des administrations publiques françaises vient de franchir les 3 000 milliards d’euros, soit 112% du PIB. Une contreperformance pour un pays qui avait seulement 21% de dette publique en 1980. Cette tendance est particulièrement inquiétante car la dette, sous-évaluée, finance une partie des dépenses courantes, ce qui expose la France à des lendemains qui déchantent en cas de crise. Texte de Nicolas Marques, président de l’Institut économique Molinari.

Beaucoup l’ont oublié, mais il y a un demi-siècle la France avait des finances publiques parmi les plus saines d’Europe. C’était le fruit de leur remise en ordre sous l’égide du Général de Gaulle. Les plans Pinay-Rueff de 1958 (retour à l’équilibre) et Rueff-Armand de 1960 (préparation au marché commun européen) avaient permis d’amplifier les effets de la croissance démographique et économique d’après-guerre. Sous les présidences de Charles de Gaulle puis de Georges Pompidou, le budget était excédentaire 70% du temps, performance inédite au XXIème siècle et n’ayant d’égal que les années 1820-1830.

Depuis 1975, nos finances publiques ont dérivé de façon incontrôlée. C’est la conjonction d’un défaut d’anticipation dans un pays ayant multiplié les dépenses publiques mais aussi les entraves à la croissance (la fiscalité dite « de production » qui pousse aux délocalisations et importations, les pré retraites puis la retraite à 60 ans, les 35 heures…).

La non anticipation du vieillissement joue un rôle moteur méconnu dans cette spirale d’endettement. Lorsqu’on intègre le hors bilan que constituent les retraites d’Etat, la dette publique est de l’ordre de 210 % du PIB. L’Etat a promis 2 630 milliards d’euros de pensions aux fonctionnaires en activité et à la retraite, en dehors de la répartition et de tout mécanisme de contrôle. Ces centaines de milliards de promesses s’ajoutent aux 3000 milliards de dette classique. Contrairement aux institutions prévoyantes (Banque de France, Sénat, caisse de retraite des pharmaciens), l’Etat n’a rien mis de côté pour faire face à cette dépense. Il a démantelé les caisses des ministères dès 1853, dilapidé leurs réserves, et paie depuis les retraites au jour le jour, par le budget. Cette erreur n’a jamais été corrigée. A la Libération, les fonctionnaires ont fait en sorte de ne pas rentrer dans le régime général de retraite de la sécurité sociale. De son côté, l’Etat n’a pas mis d’argent de côté pour provisionner ses promesses de retraites, alors que la démarche aurait été aisée dans les périodes fastes du baby-boom et des trente glorieuses. Conséquence, les pensions des fonctionnaires déstabilisent le budget depuis le contre choc du baby-boom.

Jusqu’à présent, ce fragile château de cartes tient. Les institutions financières sont à la recherche de dettes publiques et la dette française est un produit bien pensé et géré de façon professionnelle. Pour autant, notre surendettement produit des effets délétères. Il met à mal les comptes de l’Etat et stérilise l’épargne des Français.

La charge de la dette visible a été contenue grâce à des taux d’intérêts négatifs pendant plusieurs années (elle représentait 51 milliards d’euros ou 1,9% du PIB en 2022). A cela s’ajoute charge de la dette liée aux retraites des fonctionnaires (60 milliards ou 2,3% du PIB) qui obère toutes les marges de manœuvre financières. Elle explique le caractère systématique des déficits depuis 1975, en dépit de mesures visant à économiser sur les traitements des fonctionnaires (avec le gel du point d’indice pendant plusieurs années) ou les pensions (avec la tentative de réforme des retraites avortée de 2020 et les tensions autour de la réforme actuelle).

Nous ne pouvons avoir une politique indépendante si nous n’avons pas une économie indépendante et des finances saines

La dette publique française à plus d’un an est détenue à 51% par des résidents, et 49% par des non-résidents. C’est une source d’appauvrissement structurel intérieur et de fragilité extérieure. Environ 750 milliards d’euros de dette sont détenus par les ménages ou les investisseurs institutionnels français. Cette épargne rapporte peu alors qu’elle pourrait en partie être investie dans nos entreprises, afin de les mettre à l’abri de rachats étrangers ou de les aider à croitre plus vite. La stérilisation de l’épargne des Français au sein de produits administrés (livret A…) ou d’assurance vie placés massivement en dette publique contribue à la faiblesse de la croissance, au déclassement dans les domaines clef et à la persistance d’un chômage anormalement élevé.

D’autre part, la détention de la dette par des acteurs étrangers est une source de fragilité, comme en témoignent les déconvenues de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie ou Portugal en 2008-2009. En cas de récession, les Etats fragiles ont du mal à se financer. C’est une source de risques d’autant plus importante que contrairement à l’Italie, historiquement très endettée, notre déficit ne s’explique pas exclusivement par la charge d’intérêt associée. Nous avons besoin d’émettre des dettes chaque année pour payer une partie des dépenses courantes, notamment les traitements des fonctionnaires, les pensions des anciens fonctionnaires ou des dépenses sociales. Si une crise survenait, nous serions obligés de trancher dans ces dépenses à chaud et à la hache, à l’instar de la Grèce en 2009-2010. Cela générerait immanquablement des mécontentements bien plus massif que les débordements que nous connaissons. Si comme l’imaginaient Philippe Jafré et Roland Riés en 2006 dans Le jour où la France a fait faillite, nous étions contraints de réduire massivement ces dépenses, nul ne sait ce qu’il adviendrait de l’ordre public dans un pays habitué à tout attendre de l’Etat.

De Gaulle considérait à juste titre que « Nous ne pouvons avoir une politique indépendante et une défense indépendante, si nous n’avons pas une économie indépendante et des finances saines. C’est la condition sine qua non de l’indépendance nationale ». Un demi-siècle après sa mort, le surendettement est encore plus problématique. Quand le respect des promesses passées et la paix sociale sont financées à crédit, les sociétés sont fragiles. L’excès de dette publique est bien plus qu’un sujet financier, c’est une double épée de Damoclès pour la France, un risque pour sa souveraineté comme sa cohésion sociale.

Nicolas Marques

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