Faute de réforme structurelle des retraites, le déficit public restera excessif
Alors que les débats sur la réforme de retraites sont terminés, Nicolas Marques, directeur de l’Institut économique Molinari, estime que pour redresser sur le long terme les finances publiques, une réforme de la retraite des fonctionnaires de l’Etat est nécessaire. Échange avec Adeline Lorence de Capital publié le 14 mars 2023.
Capital : Vous estimez que la réforme des retraites ne s’attaque pas aux vrais problèmes des régimes spéciaux ?
Nicolas Marques : On supprime une partie des régimes spéciaux comme la RATP ou ceux des industries électriques et gazières, mais on oublie l’essentiel. Les régimes spéciaux dont on parle à ce stade représentent 310 000 cotisants, si l’on prend en compte celui de la SNCF qui est déjà fermé. Par un glissement sémantique, le gouvernement laisse croire qu’il ferme tous les régimes spéciaux alors que ce n’est pas vrai. Le vrai grand régime spécial est celui des fonctionnaires de l’Etat, qui compte 1,7 million de cotisants. C’est un régime spécial car l’Etat fait une promesse spécifique de versement de pensions. Et il est profondément déséquilibré car il compte 0,9 cotisant pour un retraité. C’est l’un des régimes les plus dégradés et il va rester ouvert.
Capital : Mais ce régime est présenté comme équilibré, notamment dans le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraités (COR)…
Nicolas Marques : Ce qui n’est pas le cas. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder du côté des taux de cotisation. Les taux de cotisation pour un fonctionnaire civil est de 85% du traitement indiciaire (dont 11% versé par le fonctionnaire). Pour un militaire, c’est 137%. Il faut comparer ce niveau à celui des salariés dont la cotisation salariale et patronale s’élève à 28%. Conclusion, l’Etat, c’est-à-dire le contribuable, surcotise pour la retraite des fonctionnaires. C’est accessoirement pour verser des retraites plus généreuses que dans le privé, mais surtout parce que l’Etat a trop de retraités par cotisants. Le surcoût représentait 46 milliards d’euros en 2020.
Capital : A quel niveau estimez-vous que les finances publiques sont atteintes ?
Nicolas Marques : Les retraites représentent 55 % de la progression des dépenses publiques depuis 1959. Cette situation plombe les finances et réduit la capacité d’action de l’Etat. Je vais prendre l’exemple du ministère de l’Education nationale. Il utilise 28% de son budget pour payer les retraites. Forcément, cela pèse sur le budget et freine l’embauche de nouveaux enseignants et les revalorisations de traitement. L’imprévoyance de l’Etat, qui n’a pas anticipé le choc démographique et n’a pas fait de réserves pour payer les retraites, alimente les déficits mais aussi l’austérité.
Capital : Que faudrait-il faire pour éviter cette situation ?
Nicolas Marques : L’Etat n’a pas de caisse de retraite. Il a seulement un compte d’affectation spécial qui n’a pas de gouvernance. Il n’y a pas de président ni de cogestion avec les partenaires sociaux ce qui aurait permis de mettre en place des mécanismes d’auto responsabilité. Il faudrait dupliquer le modèle de l’Agirc-Arrco, caisse de retraite complémentaire des ex-salariés du privé, pour l’Etat. Cela permettrait de mettre en place des mécanismes de bonne gestion, d’interdire les déficits, de faire des réserves voire de provisionner pour payer les futures pensions. En provisionnant, vous placez de l’argent et vous pouvez ainsi dégager un rendement sur les marchés financiers avec des dividendes, ce qui permet d’autofinancer une partie des retraites.
Capital : L’Etat peut-il vraiment créer une caisse de retraite ?
Nicolas Marques : C’est possible dans un projet de loi spécifique, car la question est interne à la fonction publique d’Etat. Et le provisionnement pourrait monter en puissance progressivement. Si par exemple le choix était de provisionner les retraites des fonctionnaires embauchés à partir de 2024, il faudrait le prévoir dans le projet de loi de finances.
Capital : Pourquoi l’Etat n’a-t-il jamais parlé d’une telle réforme ?
Nicolas Marques : Il y a un « court termisme » très présent dans l’Etat qui raisonne à un an alors qu’il faudrait se projeter au moins sur 15 ans. Et il y a les contraintes politiques. Emmanuel Macron, lors de la campagne pour sa réélection, a promis une réforme pour réduire les déficits en reportant l’âge de départ. C’est une loi destinée à recréer des marges de manœuvre à court terme, alors que créer une caisse de retraite de l’Etat serait une réforme structurelle de long terme.