Cessons d’entraver les télécoms et l’innovation!
L’Europe ne cache désormais plus ses ambitions en matière de télécoms. Mais au lieu de faciliter les fusions et d’alléger le cadre fiscal du secteur, la Commission européenne mise sur une énième contribution des Gafam. L’analyse de Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Capital.
Après le nucléaire, les télécoms? Lorsque les autorités se penchent sur les déboires des opérateurs, c’est souvent parce qu’elles ont été incapables de promouvoir un cadre les aidant à grandir. Comme le nucléaire, bridé alors qu’il est stratégique dans le cadre d’une économie moins carbonée, les réseaux de télécoms sont à la peine en Europe. Leur rentabilité, anormalement basse, entrave leur capacité d’investissement à un moment clé. Comment récupérer le retard dans le déploiement de la 5G lorsque les marges sont anémiées?
Comme souvent, les causes du mal sont en partie fiscales. Pendant longtemps, les télécoms ont été considérées comme des vaches à lait. Cette activité relevait de monopoles publics, plus fortement taxés que les activités traditionnelles. En dépit de la libéralisation du secteur dans les années 1990, la fiscalité sur les télécommunications reste encore anormalement élevée.
Dans l’Union européenne (UE), les impôts de production représentaient 1% du chiffre d’affaires des télécoms, soit deux fois plus que dans l’économie marchande en général. En France, la situation est encore plus dégradée, avec des impôts de production représentant 3% du chiffre d’affaires des télécoms, contre 1,4% en moyenne dans l’économie. L’existence de l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (Ifer) explique cet écart et réduit mécaniquement les marges et la capacité d’investissement des opérateurs.
Une politique de concurrence surannée en France
Le mal n’est pas que fiscal, il est aussi lié à l’application d’une politique de concurrence surannée. Dans l’UE, les acteurs des télécoms sont dix fois plus petits qu’outre-Atlantique. On compte 40 opérateurs mobiles pour 447 millions d’habitants, alors que les Etats-Unis ont des opérateurs dix fois plus gros, avec trois grands acteurs pour 332 millions d’habitants. Les autorités européennes ont favorisé cet émiettement. A les entendre, il faudrait que chaque Etat membre ait au moins trois ou quatre opérateurs. Elles bloquent les fusions, ou les assortissent de conditions drastiques les rendant inintéressantes pour les opérateurs. Cette concurrence artificielle se traduit par des prix anormalement bas par rapport aux autres biens et services, ce qui réduit la capacité de développement et freine l’innovation. A force de rechercher les bas prix, on sape l’écosystème.
Le mal est aussi capitalistique. L’UE souffre d’un déficit de capitalisation boursière de 10.400 milliards d’euros par rapport à la moyenne des pays développés. La valeur en Bourse de ses entreprises représentait 70% du PIB fin 2020, contre en moyenne 147% dans l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Ce retard est en grande partie lié au sous-développement des fonds de pension.
Par rapport à la moyenne de l’OCDE, il manquait 8900 milliards d’euros d’épargne longue fin 2020 dans l’UE. L’épargne retraite représentait 34% du PIB fin 2021 sur le Vieux Continent, contre en moyenne 100% dans les pays de l’OCDE. Or cette épargne – placée à long terme et investie significativement en actions – est cruciale pour le développement économique. Ce n’est pas un hasard si les Etats-Unis sont à la pointe de l’innovation dans la tech et la deeptech (innovations de rupture, NDLR). Ils ont sept fois plus d’épargne retraite que l’Union européenne, alors que leur population est moindre.
Au lieu de s’attaquer à ces problèmes de fond, la tentation communautaire est de mettre en place une énième taxe, censée «aider» les opérateurs à rattraper leur retard. L’idée du moment est de ponctionner les acteurs du digital, en leur demandant de financer les opérateurs des télécoms pour qu’ils investissent plus en dépit de leur faible rentabilité. C’est une mauvaise réponse à de vrais problèmes structurels.
La fiscalité dépassée de l’Europe
L’Europe n’a pas besoin d’une redistribution entre acteurs, mais d’un cadre fiscal et réglementaire compatible avec la création de richesses. Au lieu de créer de nouvelles usines à gaz, les autorités devraient traiter les problèmes de fond. A Paris, la vraie avancée serait d’organiser la suppression de l’Ifer. Cette fiscalité d’un autre âge pénalise les télécommunications et les activités de réseaux à la peine. A Bruxelles, il faudrait cesser de bloquer les fusions et réduire les contraintes pesant sur les investissements à long terme. Sans cadre fiscal et réglementaire adapté, nous serons déclassés dans les télécoms et d’une manière plus générale dans les secteurs stratégiques – tech, santé et transition énergétique.