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Au lieu de réformer les retraites de façon verticale, pourquoi ne pas capitaliser sur ce qui fonctionne bien ?

Interview avec Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publiée dans Atlantico.

Alors que la réforme des retraites continue de pousser du monde dans la rue, on semble de toute part oublier que le régime Agirc-Arrco fondé sur la gestion paritaire par les partenaires sociaux, fonctionne bien. Qu’est-ce qui fait la spécificité de ce modèle? Et son bon fonctionnement?

L’Agirc-Arrco est gérée de façon paritaire par des partenaires sociaux. Ils respectent le temps long et pilotent le régime à 15 ans, de façon à préserver les équilibres financiers et à ne pas faire de fausses promesses. Depuis sa création en 1947, l’Agirc-Arrco dispose d’un mécanisme en points qui permet d’ajuster les promesses aux recettes, ces fameux points qu’il s’agissait de généraliser avec la réforme de 2020. L’Agirc-Arrco dispose aussi de réserves qui représentent 9 mois de prestations. Cela lui a permis de surmonter les chocs économiques sans émettre la moindre dette depuis 75 ans. L’Agirc-Arrco n’a pas alimenté l’envol de la dette publique qui représente aujourd’hui à 3 000 milliards d’euros. Accessoirement, ces réserves sont placées et rapportent des dividendes et plus-values. C’est une source de recettes complémentaires.

Les partenaires sociaux qui cogèrent l’Agirc-Arrco sont bien plus responsable que l’Etat qui est fautif à tous les niveaux en matière de retraites. Il a promis 2 630 milliards d’euros de retraites aux fonctionnaires en dehors de la répartition, sans caisse de retraite ou mécanisme de gouvernance sociale et sans gardes fous permettant de préserver l’équilibre budgétaire. Cette imprévoyance explique le caractère systématique des déficits publics depuis 1975. S’il avait été responsable, l’Etat aurait provisionné ses retraites comme le Sénat ou la Banque de France, faisant ainsi économiser 50 milliards d’euros. Aujourd’hui, les contribuables payent le prix de cette irresponsabilité tout comme les fonctionnaires dont le point d’indice a été gelé pendant des années pour payer les retraites de leurs ainés. En tant que régulateur, l’Etat a aussi laissé se multiplier les dérapages financiers à la Cnav. Le régime général du privé fonctionne selon une logique de prestations définies, sans mécanisme permettant d’ajuster les promesses aux recettes et sans réserves permettant d’absorber les déficits. L’Etat a aussi été incapable d’organiser un minimum de transparence. Il a mis en place un Conseil d’orientation des retraites qui n’a jamais chiffré les dérapages liés aux retraites en 20 ans d’existence. Pour comprendre l’ampleur des déficits – qui représentent d’ores et déjà plus de 30 milliards d’euros par an – il faut lire des travaux des structures indépendantes comme l’Institut économique Molinari ou une note récente du Haut-Commissariat au Plan, la seule instance publique qui, dans les 20 dernières années, a eu le courage d’expliquer ce qui se passe aux Français. D’où le pathétique débat hors sol que nous avons eu dans les derniers mois avec une multitude d’intervenants niant l’existence des déficits, alors que l’Etat est systématiquement déficitaire en raison de sa gestion ubuesque des retraites des fonctionnaires.

L’ensemble du système des retraites dans sa forme actuelle gagnerait-il à être confié à un organisme de ce type?

Oui, l’Agirc-Arrco est un modèle à imiter. Sa force, c’est sa gouvernance paritaire indépendante de l’Etat. C’est une structure de dialogue et d’action autour d’un projet commun, portée par les syndicats de salariés et d’employeurs. Les partenaires sociaux sont en posture de responsabilité, au sein d’un cadre interdisant les dérapages financiers. Ils ont conscience de leur interdépendance, cherchent à concilier les intérêts des employeurs et des salariés, des actifs et des retraités. Cela conduit à des choix pragmatiques, chaque composante se comportant en garant des équilibres.

Pourquoi, alors que ce modèle existe et fonctionne, aucun politique ne songe-t-il à s’en inspirer ?

Les politiques de terrain sont de plus en plus nombreux à comprendre que le paritarisme que pratique l’Agirc-Arrco est une réussite, tandis que la gestion étatique des retraites est un échec. Ce n’est pas un hasard si un nombre significatif de parlementaires ont récemment refusé l’étatisation de la collecte des cotisations Agirc-Arrco, ce qui aurait de facto rendu cette caisse dépendante de l’Etat.

Le bon sens, ce serait de s’appuyer sur cette réussite paritaire et sur tous les autres modèles qui fonctionnent. Dans le public, le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP), les retraites du Sénat et de la Banque de France sont particulièrement bien gérés. Ils placent des capitaux et créent de la richesse pour le contribuable. Notre Etat impécunieux devrait imiter ces institutions responsables, mais il fait jusqu’à présent l’inverse. L’Etat pille le Fonds de réserve des retraites, qui a pourtant créée plus de 10 milliards de richesse dans les dix dernières années. En 2020, il a cherché à fermer l’ERAFP, fonds de pension fonctionnant au profit de 4,5 millions de fonctionnaires pour récupérer ses capitaux. Il organise en 2023 la fermeture du régime spécial de la Banque de France, qui avait eu la sagesse de placer 15 milliards pour autofinancer les retraites de ses personnels. Lorsque l’Etat se comporte de façon imprévoyante en tuant ces poules aux œufs d’or, ce sont in fine les contribuables et les personnels qui paient les pots cassés. Dans le privé, la caisse de retraite des pharmaciens (CAVP) est aussi un modèle. Comme l’Agirc-Arrco, elle a une répartition équilibrée avec des points et des réserves. Et elle a eu la sagesse de compléter cette répartition avec une capitalisation collective. Cette dernière fonctionne aussi en points, à l’image de l’ERAFP cogéré par les syndicats de la fonction publique, et finance une partie significative de la retraite des pharmaciens.

Un organisme comme l’Agirc-Arrco, serait-elle, s’il le fallait, en capacité de porter un système par capitalisation?

Oui, les partenaires sociaux, qui cogèrent les retraites complémentaires françaises depuis 1947, gagneraient à créer un étage en capitalisation collective pour compléter la répartition. L’Agirc-Arrco pourrait créer un équivalent de l’ERAFP, qui fonctionnerait au profit de tous les salariés du privé. C’est une idée que nous poussons avec toute une série de personnalités dont François Asselin, le président de la CPME. Ce serait la meilleure façon de limiter le recul du pouvoir d’achat des futurs retraités.

Cela soutiendrait aussi la croissance en facilitant le financement des entreprises et des chantiers d’avenir, en particulier ceux liés à la transition vers une économie décarbonée. La société française a besoin de solutions porteuses d’espoir, faute de quoi le collectif déclinera. C’est faux de dire que la seule issue est de travailler plus longtemps. Si l’on faisait travailler des capitaux dans le temps, en capitalisant collectivement pour épauler la répartition, nous pourrions améliorer la situation des tous les actifs et retraités.

Nicolas Marques

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