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La fine couche de libéralisme de 2017 s’est perdue

Si le programme d’Emmanuel Macron présentait une fiche couche de libéralisme en 2017, celle-ci s’est quasiment effacée en 2022. Interview avec Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publiée dans Atlantico.

Atlantico: En 2017, Emmanuel Macron revendiquait un certain libéralisme lors de sa candidature. A quel point ce vernis libéral s’est-il craquelé au cours de son quinquennat ?

Nicolas Marques: Le vernis a craqué sur la réforme retraites, avec une démarche autoritaire et hors sol. Elle découlait d’un diagnostic comptable erroné, ne tenant pas compte des enjeux économiques. Elle proposait d’étatiser les retraites, en augmentant la dépendance à la répartition au lieu de la réduire, l’antithèse d’une démarche libérale.

La réforme qu’Emmanuel Macron voulait mettre en œuvre découlait d’un mauvais postulat financier et passait à côté des enjeux économiques. Abusé par des prévisions trop optimistes du Conseil d’orientation des retraites (COR), le président pensait que les problèmes financiers étaient derrière nous. Or, les déséquilibres des retraites restent significatifs, contrairement à ce que laissent penser les chiffrages du COR. Cette instance publie des chiffres qui seraient représentatifs si les comptes de l’Etat étaient équilibrés, ce qui ne s’est pas produit depuis 1974. Lorsqu’on extériorise les sur-cotisations retraite du public par rapport au privé, le déséquilibre des retraites est très significatif. Il était de l’ordre de 2% en 2020, si l’on retire les dépenses de retraite s’assimilant à de la solidarité (minimum vieillesse) ou au soutien à l’emploi (baisses de cotisations retraite sur les bas salaires), ou de près de 3% si on les intègre. La réalité est bien loi de l’image d’Epinal d’un déficit représentant à peine 0,6% du PIB…

Surtout, les déficits ne sont que la partie visible de l’iceberg. La façon dont on finance les retraites en France est particulièrement coûteuse pour les finances publiques et la société. La répartition explique 60% de la hausse des dépenses publiques depuis 1960. Les prélèvements l’alimentant représentent aujourd’hui 28% des salaires bruts dans le privé et 85% des traitements indiciaires des fonctionnaires d’Etat, voire 136% pour les militaires. Le recours massif à la répartition et aux prélèvements obligatoires nuit à la compétitivité, au pouvoir d’achat, ce qui renforce les déséquilibres des finances publiques.

A contrario, s’appuyer davantage sur les capitalisations collectives permettrait de mettre à contribution les marchés financiers et d’améliorer l’équation. A l’inverse, la réforme Macron organisait la disparition des capitalisations collectives françaises datant d’avant 1945 (Banque de France, Sénat…) ou ayant été mises en place depuis (Caisse de retraite des pharmaciens, Etablissement de retraite additionnelle des fonctionnaires…). Pourtant, ces capitalisations collectives, riches de 60 milliards d’euros, génèrent de l’ordre de 2 milliards de gains par an. Ce sont autant de prélèvements obligatoires économisés. Les supprimer relevait du contresens économique, à rebours d’une démarche libérale attentive aux enjeux de compétitivité, de pouvoir d’achat et d’équilibre des comptes publics. La réforme des retraites n’était pas satisfaisante sur toute une série d’autres points clefs, de la gouvernance à la sécurisation de la répartition grâce aux réserves. Son abandon est une bonne nouvelle, ce texte posait plus de problèmes qu’il n’en résolvait.

Atlantico: Le président-candidat a dévoilé son programme lors d’une longue conférence de presse. Le catalogue de mesure présenté par Emmanuel Macron comporte-t-il encore des éléments libéraux ?

Nicolas Marques: Il y a quelques touches plutôt libérales, avec des baisses des impôts sur les successions chères à ceux attachés au droit de propriété, la baisse de la Cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE), davantage de liberté pour les établissements scolaires, ce qui parle aux personnes attachées à la subsidiarité. Mais son programme n’est pas libéral. Il est représentatif d’un candidat plus dans le faire que le laisser faire. Il ne propose pas d’aligner la fiscalité entravant la création de richesse au niveau de nos voisins, ou de développer les fonds de pensions collectifs, alors que ces deux mesures sont clef d’un point de vue économique et social.

La fiscalité de production reste le frein majeur à la compétitivité française. La baisse de 10 milliards d’euros mise en œuvre depuis 2021 est insuffisante. Pour se mettre au niveau de nos voisins, il faut encore réduire les impôts de production de 35 milliards. C’est clef pour la compétitivité, l’emploi et le pouvoir d’achat. Ces impôts, indépendants des résultats des entreprises, chassent la création de richesse et l’emploi hors de France. Le président propose de baisser la CVAE, assise sur la valeur ajoutée, qui s’apparente à une deuxième couche de TVA (7 milliards d’euros par an). C’est notoirement insuffisant. Il faudrait aussi démanteler la C3S, taxe sur le chiffre d’affaires qui réduit les exportations et favorise les importations. Il faut aussi tailler dans une ribambelle de prélèvements passant par la feuille de paie sans générer de droits (versement transport, apprentissage, autonomie…).

En matière de retraite, un Président libéral se comporterait en employeur responsable. Il s’engagerait à mettre de l’argent de côté, dès à présent, pour honorer les promesses de pensions qu’il fait aux nouveaux fonctionnaires qu’il embauche. C’est ce que font tous les Etats ayant des finances bien gérées. La situation actuelle, avec pensions d’État coûtant 58 milliards par an, soit quasiment autant que les salaires nets des fonctionnaires (62 milliards), est un gouffre financier. Au lieu de financer les retraites des fonctionnaires en émettant de la dette, il faudrait les préfinancer en investissant à long terme dans le développement économique. Dans le privé, l’Etat devrait encourager la mise en place de réserves, pour sécuriser les régimes de retraite par répartition, et la généralisation de capitalisations collectives. Au lieu de se substituer aux acteurs de terrain bénéficiant d’une réelle légitimité et expertise, tels l’agirc-arrco, il les laisserait faire, selon une logique de subsidiarité.

Comme en 2017, le positionnement relatif d’Emmanuel Macron pousse une partie de l’opinion à considérer qu’il est plutôt libéral. Mais c’est en grande partie parce que ses opposants sont moins libéraux que lui.

Atlantico: Emmanuel Macron a-t-il totalement renoncé à la fine couche de libéralisme qui enveloppait sa candidature de 2017?

Nicolas Marques: Pas nécessairement, mais c’était abusif de présenter Emmanuel Macron comme un libéral en 2017 et c’est encore moins légitime maintenant.

S’il est apparu libéral en 2017, c’est par défaut. Il y a 5 ans, Emmanuel Macron paraissait plus libéral que François Hollande. En début de mandat, ce dernier avait cherché à rééquilibrer les comptes publics en multipliant les hausses d’impôts (cotisations sociales, forfait social, impôt sur les sociétés…), sans faire les réformes structurelles permettant de libérer la création de richesses. Dans les années 2013-2014, la France a connu une croissance plus faible que ses voisins. Le redressement des comptes publics a été moins significatif, la politique peu respectueuse de l’offre ayant étouffé la croissance.

Il y a cinq ans, Emmanuel Macron incarnait la nouveauté, la jeunesse et le ministre qui déplace les limites, en se battant bec et ongles pour le changement. Dans la lignée du rapport Gallois, un consensus s’était développé sur l’importance d’une baisse de la fiscalité pour restaurer la compétitivité française, d’où la mise en place du CICE dans la deuxième moitié du quinquennat Hollande. Macron promettait d’aller plus loin, certains espéraient qu’il serait un grand président libéral au sens classique, avec une politique axée sur un développement économique profitant au plus grand nombre.

En 2022, la photo est différente. Le quinquennat qui s’écoule a donné lieu au déploiement d’un mix de mesures hétéroclites. Certaines s’apparentent à un soutien à la demande assumé (disparition de la taxe d’habitation…) ou défensif (gilets jaunes), d’autres à des mesures d’offres revendiquées (réduction de l’impôt sur les sociétés et de la fiscalité sur le capital…) ou prises en réaction aux événements (baisse des impôts de production…). Des mesures ayant peu d’effet d’entrainement, tels la baisse des impôts locaux, ont été érigées en priorité aux dépens des réformes structurelles. La réduction de la fiscalité de production, non prévue à l’origine, a été mise en œuvre en fin de quinquennat et de façon trop timorée.

Emmanuel Macron prend périodiquement des accents libéraux, mais il joue aussi sur une multitude de registres dirigistes, à l’opposé d’un libéralisme s’attachant à créer le cadre du succès en laissant faire les acteurs de terrain. Les touches de libéralisme sont là, mais elles alternent, en même temps, avec des démarches qui n’ont rien de libérales. Pourtant les indicateurs économiques nous montrent que nous ne sommes pas sortis d’affaire, avec 1,3 millions de chômeurs en trop par rapport à l’Allemagne. L’incarnation d’une politique libérale, respectueuses des enjeux économiques et sociaux, reste à trouver.

Nicolas Marques

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