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Plus d’apprentissage, pour plus de réussites

L’apprentissage a le vent en poupe et c’est une tendance positive. Avec la massification de l’éducation, présentée comme un moyen de réduire les inégalités des chances, on a assisté à un allongement des scolarités. Cet allongement ne s’est pas systématiquement assorti d’une amélioration de la situation des jeunes. L’apprentissage permet de réduire cette déperdition, en rapprochant l’offre de formation des besoins économiques. Pour autant, il reste beaucoup à faire pour se hisser au niveau Allemand, Autrichien ou Suisse. Par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari.

L’apprentissage repose sur le principe de l’alternance entre enseignements théoriques – en centre de formation d’apprentis (CFA) ou en organisme de formation – et enseignement du métier, chez l’employeur avec lequel l’apprenti conclut un contrat. Une de ses grandes vertus est de garantir une adéquation entre les enseignements et les besoins économiques. C’est un enjeu de taille dans une France où le chômage et le décrochage des jeunes sont des handicaps.

En décembre dernier, le taux de chômage des moins de 25 ans était de 18 % dans l’Hexagone, soit un niveau bien plus élevé que dans les pays d’apprentissage que sont l’Autriche (11 %), la Suisse (8 %) et surtout l’Allemagne (6 %). Cet état de fait, loin d’être lié à la crise actuelle, est structurel. En 2019, la proportion de jeunes de 15 à 29 ans n’étant ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) était de 13 % en France, contre 8 % en Allemagne et Autriche et 6 % en Suisse. Ce décalage est en grande partie lié à des différences d’approches entre pays concevant l’éducation comme un enjeu pragmatique, avec une démarche visant à garantir l’employabilité du plus grand nombre, ou politique, visant à changer la société.

En 2020, moins de 6 % des 16-25 ans étaient en apprentissage, chiffre très en retrait par rapport à nos voisins.

L’an passé, il y avait 480 000 apprentis en France. Parmi l’ensemble des jeunes âgés de 16 à 25 ans, 6 % suivaient une formation en apprentissage, chiffre très en retrait par rapport à nos voisins.

En Allemagne, tout comme en Autriche, les formations professionnelles sont très développées dès le secondaire et n’ont en aucun cas l’image de voies destinées aux étudiants en échec. Elles sont organisées en collaboration entre les institutions académiques, les partenaires sociaux et les employeurs, ce qui garantit un contenu et des méthodes adéquates aux besoins du marché et une protection des apprentis. Dans ces deux pays, le système dual – partagé entre formation académique et professionnelle – offre des passerelles et l’apprentissage a de meilleurs résultats en termes d’insertion professionnelle. En Autriche, plus des deux tiers des élèves du secondaire sont en apprentissage, ce qui explique le fort taux d’insertion, ainsi que le faible taux de chômage des diplômés du secondaire n’ayant pas de diplômes post-secondaires ou supérieur. L’enseignement professionnel Suisse est encore plus qualitatif. Il se singularise par l’attention portée conjointement à l’enseignement universitaire et à l’enseignement professionnel, traités sur un plan d’égalité. Lorsqu’on considère les jeunes diplômés, la Suisse figure parmi les pays disposant de la main d’œuvre la mieux formée du monde.

Comme l’expose François Garçon dans son ouvrage sur la formation, dans « pratiquement l’ensemble de la société occidentale à compter des années 1970 s’observe cette tectonique des formations, où les étudiants sont invités à converger vers des filières déclarées nobles : place aux concepteurs, aux philosophes, aux cadres »[1]. Dans son dernier livre, il constate la « prise du pouvoir sans partage d’un savoir académique, critique et universel, supposé faire émerger un citoyen adapté à la société du savoir et de la connaissance »[2]. Cette « fièvre académique », qui frappait l’ensemble du monde occidental, a été particulièrement prononcée en France pour des raisons tenant à une quête d’égalité.

L’éducation était décrite par certains comme une source d’inégalités entre les individus. Une minorité d’Héritiers, pour reprendre le titre d’un livre de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964), était censée utiliser l’école ou l’université pour préserver sa position dominante. Selon ces sociologues, le système éducatif devait être restructuré et massifié pour qu’il permette de résorber les inégalités au lieu de les reproduire. A l’époque, certains entrevoyaient que cette tentative était promise à l’échec. Dès 1973, Raymond Boudon publiait L’inégalité des chances, une étude clef dans laquelle il expliquait pourquoi l’augmentation des taux de scolarisation et l’atténuation de l’inégalité des chances devant l’enseignement ne réduirait pas l’inégalité des chances sociales[3].

Pour autant, la mécanique était lancée. Au cours des années 1980, le secondaire a été profondément réorganisé pour permettre de porter à 80 %, une classe d’âge au baccalauréat. Ce mot d’ordre, poussé à l’origine par Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Éducation nationale, rassurait les parents qui pensaient que l’augmentation du taux de scolarisation protégerait leurs enfants des aléas de la vie et du chômage. En 1991, Philippe Némo décrivait un essai qui s’est avéré prophétique Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ? comment l’école changeait de fonction sociale, en devenant peu à peu un lieu de garderie de la jeunesse, avec l’assentiment du plus grand nombre[4].

Cette massification s’est faite à un moment où l’apprentissage des métiers était jugée comme secondaire par rapport à la formation haut de gamme que les universités étaient supposées offrir. Les savoirs pratico pratiques semblaient redondants. En 2001, Serge Tchuruk, s’enorgueillit de transformer l’entreprise qu’il présidait, Alcatel, en « entreprise sans usines ». Or, la réalité est différente. Le progrès et la création de richesses à long terme découle souvent d’expériences de terrain, comme l’expose magistralement François Caron dans La dynamique de l’innovation (2010) au sujet des précédentes révolutions industrielles, fruit de la rencontre des savoir-faire et des sciences[5]. Cette réalité historique est encore d’actualité, les données montrant que les branches industrielles réalisent toujours la majorité de la Recherche et Développement privée.

La progression de l’apprentissage reste décevante, avec +12 % en 10 ans.

Aujourd’hui, l’importance de l’apprentissage est mieux comprise[6]. Afin de promouvoir et développer la formation professionnelle, le Ministère du travail a lancé en 2018 une réforme significative. Pour autant, la progression des effectifs en apprentissage reste décevante, avec +12 % en 10 ans. L’enseignement professionnel français, trop centralisé, trop complexe, trop scolaire, trop distant des entreprises, ne monte pas en puissance à un rythme permettant de rattraper le retard vis-à-vis de l’Allemagne, l’Autriche ou de la Suisse. Dans une France n’arrivant pas à contenir le chômage des jeunes dans des proportions acceptables, c’est un handicap.

Au-delà du coût humain pour les intéressés, cette inaptitude à développer l’apprentissage et l’enseignement professionnel représente un manque-à-gagner significatif. Une étude récente de l’Institut économique Molinari montre que la France pourrait économiser de l’ordre de 45 milliards d’euros par an sur les 160 milliards de dépenses éducatives annuelles si l’on s’alignait sur les pays européens optimisant l’adéquation entre la formation et le marché de l’emploi et minimisant le taux de jeunes ni scolarisé, ni employé, ni en formation[7]. Il est reste stratégique de donner à l’apprentissage l’attention et l’excellence qu’il mérite.

Notes
1. Garçon, François (2014), Formation : L’autre miracle suisse, Presses polytechniques et universitaires romandes.
2. Garçon, François (2021), France, démocratie défaillante, L’Artilleur.
3. Boudon, Raymond (1973), L’inégalité des chances, Armand Colin.
4. Nemo, Philippe (1991), Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ?, Grasset.
5. Caron, François (2010). La dynamique de l’innovation : Changement technique et changement social (XVIᵉ-XXᵉ siècle),  Gallimard.
6. Les Français et l’apprentissage, Enquête ELABE pour l’Institut Montaigne, 21 septembre 2017.
7. Bentata, Pierre (2019), Éducation, la France peut mieux faire, évaluation de l’efficacité du système d’éducation et de formation en France, Institut économique Molinari.

Nicolas Marques

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