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Couche-Tard et Carrefour, une raison de plus d’accélérer les réformes

La société française et ceux qui nous gouvernent devraient tirer les enseignements de ce rapprochement avorté, qui en dit long sur nos handicaps. Texte de Michel Kelly-Gagnon, président directeur-général de l’Institut économique de Montréal, et Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans L’Express.

Le processus de rapprochement entre Carrefour et Couche-Tard a capoté, le ministre des Finances français ayant opposé un « non courtois, mais clair et définitif » au président fondateur du groupe de distribution canadien. Le gouvernement français a rapidement fait le choix de trancher le dossier sous l’angle politique. Le rachat de Carrefour par Couche-tard était perçu dans les arcanes du pouvoir comme un dossier à risques, en dépit du talent d’Alain Bouchard, dont la success-story s’apparente à celle de la famille Mulliez ou Bellon. Sa proposition de rachat émergeait dans une période difficile et aurait été mise en œuvre en pleine campagne présidentielle. Elle était de nature à parasiter la communication gouvernementale, axée sur le renouveau de la compétitivité française, avec le risque que ce dossier devienne emblématique du déclassement français.

On conçoit pleinement que le gouvernement fasse de la politique, c’est d’ailleurs de cela qu’il tire sa légitimité. Mais dans cette affaire la question se pose de savoir s’il fait de la Politique au sens grec du terme, avec pour horizon l’intérêt général à long terme, ou de la politique à court terme, avec pour enjeu le seul scrutin à venir. Au-delà du mauvais signal qu’envoie ce véto gouvernemental – s’agissant d’une entreprise dans lequel l’État ne détient aucune participation et d’un domaine sans rapport avec les notions traditionnelles de souveraineté – le rapprochement Couche-Tard/Carrefour est représentatif des difficultés hexagonales. La société française devrait en tirer les enseignements, au lieu de se limiter à une analyse politique à court terme.

Les données financières montrent que l’entreprise canadienne est bien plus rentable que sa consœur française, avec des bénéfices représentant 4,4 % de son chiffre d’affaires, contre 1,8 % pour Carrefour sur le dernier exercice annuel connu. Alors que Couche-Tard réalise 30 % de chiffre d’affaires de moins que sa consœur française, le « dépanneur » fait 60 % de bénéfices après impôts de plus. Couche-Tard est aussi nettement mieux valorisé par les marchés boursiers, avec l’équivalent de 27 milliards d’euros de capitalisation contre 12 milliards pour Carrefour. Conséquence, le Canadien est nettement moins endetté, avec une dette représentant 4 ans de résultats après-impôts, contre 13 ans pour le distributeur français.

Si une partie de ces écarts découle de différences de positionnement, avec un canadien tirant une partie significative de ses bénéfices de la distribution de carburants, l’essentiel est ailleurs. Les deux entreprises sont bien gérées et les écarts sont représentatifs des faiblesses structurelles françaises. L’Hexagone est connu pour la faiblesse du taux de marges de ses entreprises. Leur excédent brut représente à peine 26 % de la valeur ajoutée, la pire performance des pays de l’Union européenne, en moyenne à 40 %. Les entreprises françaises, moins rentables pour des raisons fiscales et réglementaires, ont plus de difficultés à lever du capital. La capitalisation boursière de l’indice phare français, le CAC 40, représente 1 800 milliards d’euros, soit moins que l’indice TSX Canadien valorisé à près de 2 100 milliards d’euros. Un écart significatif alors que la France compte 67 millions d’habitants, contre 37 millions pour le Canada. Il s’explique notamment par le sous-développement de l’épargne retraite en France, qui représente à peine 11 % du PIB contre 160 % au Canada. Moins rentables, attirant moins de capitaux, les entreprises françaises sont aussi plus endettées. D’où leur grande fragilité et le risque que se multiplie les rachats ou rapprochements destinés à réduire l’exposition hexagonale de nos grands groupes.

On est en droit de se demander si le gouvernement français cherche seulement à empêcher une tractation gênante à l’approche d’élections ou si son refus s’inscrit réellement dans une stratégie d’ensemble, à même de garantir le retour d’une croissance significative et d’une réduction du chômage.

À ce titre, les priorités, connues de longue date, sont loin d’être toutes traitées. Tout d’abord, il convient de baisser le poids de la fiscalité transitant par les entreprises et pénalisant la collectivité. Il faut continuer à réduire l’impôt sur les bénéfices, dont le taux maximal reste supérieur à 27 % avec la persistance de la contribution sociale sur les bénéfices. Il convient, aussi, de réduire les impôts de production bien plus significativement que ce qui est prévu. Le gouvernement français baisse trop timidement cette fiscalité favorisant délocalisations, importations et chômage. Il a opté pour une réduction de 10 milliards d’euros, alors qu’il faudrait un geste 4 fois plus puissant pour revenir dans la moyenne européenne. Il s’agit, ensuite, d’accroître l’épargne investie dans les entreprises, au lieu de favoriser les placements administrés. Cela passe par la généralisation des fonds de pensions, alors que la réforme des retraites interrompue l’an passé proposait de les fermer dans le public et dans le privé (ERAFP, Sénat, Banque de France, pharmaciens…). Ces fonds faciliteront le financement des retraites, en les rendant moins dépendantes de la masse salariale, et associeront encore plus largement les actifs au partage des bénéfices.

Sur tous ces enjeux, la France est en retard. Selon le journal Libération, Bruno Le Maire aurait indiqué au patron de Couche-Tard qu’il pourrait représenter son offre de rachat de Carrefour dans dix-huit mois, juste après l’élection présidentielle. Il serait bien qu’à cette date, la France soit plus avancée dans le traitement de ses défaillances structurelles ou, à minima, ait crée le consensus lui permettant de renouer avec la compétitivité qui lui fait toujours défaut.

L’Institut économique Molinari

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