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Notre difficulté à lutter contre la Covid découle-t-elle de notre modèle démocratique ou de nos préférences collectives ?

Les dirigeants occidentaux répètent que les modèles d’efficacité asiatiques face au Coronavirus ne sont pas transposables car ils contreviendraient à notre conception de la démocratie et des libertés publiques. Est-ce vraiment le cas? Et que disent nos choix collectifs des efforts ou souffrances que sont capables de supporter nos sociétés respectives? Extraits d’un entretien avec Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié sur Atlantico.fr.

Atlantico.fr : Les premiers mois de la gestion de la pandémie peuvent être considérés comme le reflet de l’aptitude -ou non- à la gestion de crise des différents gouvernements. Est-il désormais possible de considérer que les politiques sanitaires mises en œuvre sont le reflet de ce que les citoyens des différents pays impactés ont décidé d’accepter comme niveau de contrainte ?

Nicolas Marques. Le gouvernement français était relativement mal préparé et outillé pour gérer une crise sanitaire de ce type. Il est composé de personnes dont l’essentiel des expériences se cantonne à la gestion de crises politiques simples, l’enjeu étant pour eux de définir la politique de communication la plus adéquate et de vérifier qu’elle se déploie bien. Les retours d’expériences de la crise du H1N1 ou des crises sanitaires étrangères n’avaient pas tous été assimilés. L’éventualité d’une crise sanitaire n’avait pas été travaillée de bout en bout par les autorités, contrairement à ce qui avait été fait en Corée du Sud ou en Allemagne. Certes, des travaux d’anticipation avaient été faits en amont, mais sans bouclage opérationnel. On a reparlé dans les derniers jours de l’absence de stock préventif de matériel de protection, alors qu’un avis d’expert recommandait d’accumuler un milliard de masques 10 mois avant le début de la pandémie. Quand la crise est arrivée, elle a été gérée par les autorités sanitaires, alors que les spécialistes français en pilotage de crise sont ailleurs, au ministère de l’intérieur ou des armées, ou sont indépendants, à l’image de Xavier Guilhou ou Patrick Lagadec.

Je ne crois pas que les difficultés rencontrées dans la gestion de cette crise s’expliquent par un refus ou une incapacité des Français à assumer des contraintes. Bien au contraire, au final, il est probable que nous aurons à supporter plus de contraintes, ne serait-ce que parce qu’elles seront imposées plus longtemps. De plus, les Français savent être pragmatiques et prennent nombre d’initiatives. On l’a bien vu quand il s’agissait de fabriquer des masques dans les cellules familiales, associatives ou les entreprises. Le problème est ailleurs. Nos décideurs sont mal préparés. Notre millefeuille administratif, loin d’être proactif ou de laisser faire les initiatives est un frein lorsqu’on navigue dans un univers incertain. La communication officielle a été cacophonique voire contradictoire. Bilan, la légitimité publique est faible, d’où l’impression que nos citoyens ne sont pas prêts à accepter un niveau de contrainte élevé.

D’ailleurs, dans toute une série de domaines, les Français acceptent des contraintes très fortes. Nous sommes, par exemple, un des pays les plus réglementés et fiscalisés au monde, mais ces tendances de fond ont été rendues possibles par le déploiement de narratifs les présentant comme des bonnes nouvelles. Dans la gestion de la Covid, les narratifs officiels ont été contreproductifs.

Atlantico.fr : On affirme souvent que la différence de gestion dans la pandémie peut trouver son origine dans l’opposition démocratie libérale contre régime plus autoritaire, cette opposition n’est-elle pas à la fois réductrice et partiellement erronée ?

Je ne pense pas que l’opposition démocratie libérale ou régime autoritaire détermine la capacité de réaction face à ce genre de pandémie. Quand on regarde les grandes zones, l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord sont les zones où la Covid a fait le plus de dégâts, avec respectivement 790 et 750 morts par million d’habitants. Le Sud a une tradition démocratique moins stable et enracinée, le Nord est une démocratie libérale, et la Covid y fait des dégâts comparables. En Europe, on observe un écart de 1 à 3 entre la mortalité constatée en Allemagne et en France depuis le début de la pandémie, alors qu’il s’agit de pays tout aussi démocratiques. Au sein du Commonwealth, on constate des écarts de 1 à 10 entre la mortalité en Australie et au Canada, et de 1 à 3 entre le Canada et le Royaume-Uni, alors que ces pays ont la même matrice politique.

Bien sûr, ces comparaisons ne sont pas à prendre au pied de la lettre, les remontées d’information n’étant pas homogènes, mais elles laissent à penser que la capacité à limiter les dégâts crées par la pandémie est multifactorielle. Ce qui distingue vraiment les pays dans leur gestion de la crise sanitaire, c’est la mise en place plus ou moins rapide d’une stratégie d’« élimination » du virus, avec des phases de réduction des interactions répétées autant de fois que nécessaire, seule stratégie robuste en situation d’incertitude forte à l’égard d’un nouveau virus.

Atlantico.fr : Le point de vue de l’Occident préférant des contraintes moindres mais projetées sur une longue durée face à des pays asiatiques qui acceptent plus de discipline et de mesures drastiques leur permettant de limiter la durée de l’épidémie affiche-t-il plus de faiblesses structurelles? Notre rapport à l’exploitation de nos données personnelles (applis notamment) ou à l’isolement des cas positifs est-il révélateur de ce point de vue?

A l’Institut économique Molinari on pense que la différence se fait entre des pays acceptant collectivement ou non d’appréhender les enjeux, et d’opter pour une stratégie permettant ou non de limiter les efforts collectifs. En ce sens, les Coréens du Sud ont été extrêmement rationnels. Ils ont déployé une politique qui nous paraissait radicale dès le début de la pandémie, avec un dispositif de traçage, de dépistage et d’isolement structuré et cohérent. En contrepartie, ils ont bien moins entravé la liberté de circulation des populations et leurs résultats sanitaires sont bien meilleurs que les nôtres. Avons-nous mieux préservé nos libertés dans l’Hexagone, c’est peu probable…

Le débat français n’a pas été à la hauteur, comme dans beaucoup de domaines où nous raisonnons à partir de postures hors-sols.

Si le traçage pose toute une série de questions légitimes, nous avons refusé de voir que les alternatives étaient au moins aussi problématiques. Faute d’une stratégie de traçage pertinente, nous avons été contraints d’organiser un traçage manuel, intrusif et moins efficace, d’où la mise en œuvre de mesures de confinement plus pénalisantes entravant notre liberté de mouvement. Et le gouvernement n’a pas aidé à la clarté du débat et au déploiement d’outils pertinents, en concoctant en silos une application peu efficace et in fine moins utilisée que chez nos voisins. Pourtant, nous sommes déjà tous tracés avec nos téléphones, sans compter l’énorme quantité d’information postée par nos concitoyens sur les réseaux sociaux. Hasard de calendrier, nous avons refusé de déléguer de façon encadrée l’usage de nos données de mobilité dans le cadre de la lutte contre la pandémie, alors que nous tolérons depuis janvier 2020 l’utilisation des contenus mis sur les réseaux sociaux à des fins fiscales.

Cette incapacité à construire des solutions les plus efficaces et les moins coûteuses pour la société ne se limite pas au domaine de la santé. On prétend par exemple préserver le pouvoir d’achat des actifs et des retraites sans développer les fonds de pensions. Cette stratégie n’existe et ne fonctionne nulle part. Elle devient de plus en plus inextricable, comme l’illustre le conflit social de 2019 autour d’un texte qui proposait en catimini de démanteler les réserves des régimes de retraites et les capitalisations collectives. On prétend réindustrialiser le pays en 2020, tout en laissant la fiscalité de production à des niveaux hors normes. Trop souvent, on se satisfait de mots, en espérant que par enchantement, ils seront suivis d’effets. La réalité est malheureusement bien plus prosaïque. Pour qu’une politique publique soit efficace, il faut bien plus que des totems et des paroles.

Lien pour retrouver l’intégralité de l’échange, avec les réponses de Charles Reviens, sur le site d’Atlantico.fr

Nicolas Marques

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