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Cessons de parler de fiscalité avec des œillères

La baisse des impôts de production est saluée par les employeurs, naturellement, mais c’est aussi une manière de relancer la consommation, en baissant les prix, ou de dynamiser l’emploi, en permettant aux entreprises d’embaucher ou d’augmenter les salaires. Les bénéficiaires de cette baisse sont donc bien plus nombreux qu’on ne voudrait le laisser croire. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’IEM, publiée dans Les Échos.

Des critiques s’élèvent contre la baisse des impôts de production prévue dans le plan de relance, la qualifiant de « cadeau » pour les entreprises. Quand on touche à la fiscalité, l’analyse est souvent binaire et de courte vue. Elle fait fréquemment l’impasse sur l’incidence de la fiscalité sur la société, en créant une opposition factice entre les intérêts des entreprises et ceux des ménages. Une meilleure prise en compte de l’incidence fiscale permettrait de mettre en place des politiques publiques plus adaptées et consensuelles. Un constat valable dans le cas des impôts de production, comme pour la fiscalité sur les Gafa ou les carburants.

Qui paye vraiment l’impôt ?

Les taxes sont rarement acquittées par ceux que l’on croit. L’analyse économique a souligné très tôt que le contribuable « statutaire » ou « juridique » n’est pas nécessairement celui qui assume d’un point de vue effectif l’impôt. L’incidence de la fiscalité dépend en effet de la capacité des acteurs à reporter la charge de l’impôt sur des tiers. C’est le cas de la fiscalité ciblant les entreprises, qui finit toujours par porter sur des personnes physiques, consommateurs, salariés ou épargnants. D’où l’importance de bien anticiper sur qui va peser une nouvelle taxe et, à l’inverse, pour qui elle sera neutre.

Ceci est particulièrement important dans le cas des impôts de production. Quand l’entreprise ne fait pas simplement faillite, ce sont les consommateurs qui font les frais des impôts de production (avec des biens et services plus chers), les salariés (avec des augmentations de salaires moindres), les chômeurs (avec moins d’emplois) ou les épargnants (avec un rendement moindre). La baisse de cette fiscalité est donc une bonne nouvelle pour les ménages.

Taxation douloureuse

De même, si l’incidence fiscale était mieux comprise, on aurait peut-être pu éviter le regrettable épisode de la taxation numérique française . Censée cibler les Gafa, cette taxe est in fine payée par les acteurs hexagonaux. Les grands acteurs mondiaux déjà en place sont à même de reporter l’essentiel du coût de la taxe. Bénéficiant d’une avance et d’un effet de taille, ils peuvent préserver leurs résultats après impôt en transférant la taxe sur leurs consommateurs et/ou partenaires français.

Enfin, si l’incidence de la fiscalité indirecte était mieux comprise, nous aurions peut-être aussi évité l’épisode des « gilets jaunes » en 2018-2019. Rappelons qu’il a été suscité par une légère hausse des taxes les carburants. A priori, il n’y avait pas de quoi susciter une révolte fiscale. Sauf que depuis plusieurs décennies nous multiplions ces taxes indirectes, taxes elles-mêmes assujetties à la TVA, avec in fine une fiscalité sur les carburants de 7 à 8 fois plus importante que sur les produits traditionnels. A ce niveau, la taxation devient très douloureuse pour les publics sur lesquels elle se concentre.

Cessons donc de porter des œillères quand nous parlons fiscalité. Baisser les impôts pesant sur les entreprises n’est pas « un cadeau aux entreprises », mais profite au plus grand nombre. Nous aurions des politiques publiques beaucoup plus efficaces et acceptables si nous étions capables d’appréhender les interconnexions entre les acteurs. Pour ce faire, Il faut savoir dépasser les constructions juridiques que l’auteur de « Sapiens », Yuval Noah Harari, qualifie à raison de « fictions sociales », et se pencher sur les interactions dans la création de richesse et la fiscalité.

Cécile Philippe

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