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Les salariés sont les grands gagnants de la création de richesse par les groupes du CAC 40

C’est un sujet de débat perpétuel en France : la répartition de la richesse produite par les groupes du CAC 40, et notamment la rémunération versée aux actionnaires. Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, qui vient de publier « Le partage de la contribution sociale et fiscale des entreprises du CAC 40 français en 2019 », dit ce qu’il en est réellement dans une interview publiée dans le magazine Mieux Vivre Votre Argent.

Comment s’est répartie la richesse créée par les groupes du CAC 40 en 2019 ?

Nicolas Marques : L’origine de cette étude réside dans notre volonté de mieux comprendre la création de richesse des grandes entreprises, et notamment des groupes du CAC 40. Ces derniers sont régulièrement attaqués par des ONG sur leur politique de dividendes. Or ces attaques frontales n’aident pas à comprendre la réalité et l’importance de ces entreprises.

Aussi nous avons mis en place, depuis 2018, un indicateur permettant de pister la masse salariale des entreprises, la fiscalité payée aux Etats sous toutes ses formes, et enfin, ce qui revient aux actionnaires, c’est-à-dire les dividendes nets après impôts.

Les salariés sont les grands gagnants de cette création de richesse, avec 267 milliards d’euros de rémunérations sous la forme de salaires, de primes, de protection sociale obligatoire et facultative, d’épargne et d’actionnariat salarié.

L’Etat est le deuxième bénéficiaire avec 80 milliards d’euros, répartis entre 31 milliards d’euros d’impôts de production, 37 milliards d’impôt sur les sociétés et 12 milliards de fiscalité sur les dividendes.

Enfin, les actionnaires touchent une part significative, avec 42 milliards d’euros de dividendes nets d’impôts et de dividendes versés aux salariés. Nous sommes loin de l’idée couramment répandue qu’ils s’accaparent l’essentiel de la richesse produite. Cela représente seulement 11% du total (389 milliards).

Si l’on observe la tendance au cours des dernières années, le partage est légèrement déformé en faveur des actionnaires et de l’Etat, mais il s’agit d’une situation typique d’une fin de cycle. Sur le long terme, le partage entre salariés et actionnaires est très stable.

L’Etat s’en sort plutôt bien. A quoi attribuez-vous cette situation ?

Nicolas Marques : L’Etat est positionné à chaque stade de la création de valeur. Les impôts de production sont prélevés avant même que l’entreprise ait fait un quelconque bénéfice. Ils regroupent en France divers versements : la taxe sur les salaires, les versements transports, la contribution économique territoriale (qui remplace la taxe professionnelle), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Ils représentent 75 milliards d’euros par an et sont deux fois plus développés que chez nos voisins, ce qui explique nos problèmes de compétitivité et la persistance d’un chômage élevé.

L’Etat a aussi bénéficié de l’impôt sur les sociétés, et de sa progression en volumes. Globalement, cet impôt a baissé dans l’ensemble des pays de l’OCDE, moins chez nous. Le taux d’imposition facial pour les grandes entreprises ressort en France à 31%, soit le niveau le plus élevé des pays développés.

L’Etat perçoit également un impôt sur les dividendes. La fiscalité appliquée varie selon la nature des bénéficiaires (actionnaires traditionnels, entreprises, …) et leur nationalité (le taux moyen varie entre 25% pour des détenteurs français et de l’ordre de 20% pour des étrangers).

Enfin, l’Etat est présent dans le capital de plusieurs groupes du CAC 40, il récupère à ce titre beaucoup de dividendes, plus qu’un actionnaire traditionnel. Sur les quatre dernières années, les groupes dans lesquels l’Agence des participations de l’Etat détient des parts ont distribué 69% de leur résultat net contre 52% en moyenne pour le CAC 40, alors que dans le même temps, leurs bénéfices baissaient de 39% contre une hausse de 11% pour les autres. L’Etat français est non seulement gourmand en dividendes, mais il l’est indépendamment de la santé financière des entreprises dans lesquelles il détient des participations.

Les actionnaires sont les moins bien lotis. Et plus encore cette année avec la suppression de leur dividende par une grande majorité des groupes. Que pensez-vous de cette situation ? Quelles conséquences pourrait-elle avoir à long terme ?

Nicolas Marques : Les actionnaires sont les plus décriés, alors qu’ils sont fort utiles à la collectivité et ne sont pas les mieux lotis. Ils sont fréquemment accusés de capter une part trop importante de la création de richesse au détriment des salariés. Cette critique, très connotée d’un point de vue idéologique, n’est pas justifié. La réalité montre que le destin des salariés et des actionnaires est très lié, les uns ayant besoin des autres. Elle montre aussi que le partage de la valeur ajoutée est très stable dans le temps.

Il existe même une forte complémentarité d’intérêt autour d’une fiscalité raisonnable à tous les niveaux, la fiscalité se diffusant dans toute l’économie. Une hausse des impôts sur les entreprises peut avoir un effet sur les consommateurs, via une dégradation du rapport qualité/prix des biens sou services, sur les salariés à travers la mise en œuvre d’une politique de modération salariale, et sur les actionnaires, via une réduction de leur rémunération. Toutes les parties prenantes sont affectées par ricochet par la fiscalité, indépendamment de l’acteur la collectant.

Les pouvoirs publics français ont demandé aux grandes entreprises de suspendre leurs distributions de dividendes pour celles ayant recours à son soutien financier (report d’échéances fiscales, de cotisations sociales, ou obtention d’un prêt garanti par l’Etat), et à faire preuve de modération pour les autres. Nous estimons à 50% la contraction des dividendes en 2020. Beaucoup de grands groupes ont accepté. Il est possible que pour certains d’entre eux, ce soit pour des motifs tenant à des considérations d’image, pour apparaître comme des « bons élèves », plutôt qu’à des raisons économiques. On observe qu’à l’étranger la contraction des dividendes est moins importante.

S’il paraît judicieux que le gouvernement incite les entreprises dont il est actionnaire à la modération, il n’est pas du tout dans ses prérogatives de s’immiscer dans le choix des entreprises classiques. Cela relève de la gouvernance de l’entreprise, et la décision de distribuer un dividende dépend de sa santé financière et de ses perspectives de développement. Elle devrait être prise au cas par cas, en intégrant les intérêts à long terme des actionnaires.

Pour l’essentiel des actionnaires qui bénéficient d’un capital diversifié, la réduction des dividendes n’est pas insurmontable. En revanche, elle est problématique pour ceux qui auront besoin de liquidités à court terme. Certains d’entre eux seront contraints de vendre des titres alors que leur valorisation a reculé, au risque de réaliser des moins-values.

Enfin, la réduction voire suppression des dividendes des grand groupes est une mauvaise nouvelle pour les PME voire pour les ETI. Chaque année, une partie significative des dividendes distribués par les très grandes entreprises est réinvestie dans d’autres sociétés de taille plus modeste. Si les grands groupes du CAC 40 ne rencontrent aucun problème de financement, des sociétés moins établies ont plus de difficultés à lever de la dette. Inciter les grandes entreprises à ne pas distribuer de dividendes, c’est freiner la redistribution des capitaux vers des entreprises ayant des perspectives de croissance significatives mais handicapées par leur petite taille. Avec la réduction du flux de dividendes, elles perdent un moyen de développement, ce qui pénalise la collectivité dans son ensemble.

Cet aspect crucial est mal compris en France, en raison de la faiblesse de l’investissement en actions en direct. L’essentiel des français profite des dividendes de manière intermédiée, via leurs contrats d’assurance vie ou leurs compléments de retraite. Ils ne réalisent pas qu’une part significative du rendement de cette épargne est liée au réinvestissement des dividendes et que cette mécanique de réinvestissement profite à la société toute entière.

Nicolas Marques

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