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La fausse stimulation américaine, une analyse économique du Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act

Texte d’opinion par Nikolai G. Wenzel, professeur des universités en économie à Fayetteville State University (Fayetteville, North Carolina, USA) où il détient la chaire L.V. Hackley pour l’étude du capitalisme et de la libre entreprise.

La situation inouïe engendrée par la pandémie du COVID-19 incite (presque) à la pitié pour les élus fédéraux, et dans les capitales d’Etat. Et, bien que tous les commentateurs sur les réseaux sociaux se croient devenus d’un seul coup experts en épidémiologie, il est difficile de savoir si les mesures prises par les Etats et par l’Etat fédéral américain sont des réactions exagérées, trop peu trop tard, ou la juste réponse à la crise sanitaire. Il est aussi tentant d’être indulgent vis-à-vis des réponses fédérales au côté économique de la crise, puisque cette contraction économique ne correspond pas aux crises d’antan.

Malheureusement, le Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security (CARES) Act, loi signée par le président Trump le 27 mars 2020, contient très peu de stimulation économique, un peu d’aide sociale et beaucoup d’électoralisme. Il est peu probable que cette loi ait un effet macroéconomique important, et il est tout à fait possible qu’elle retarde la reprise au lieu de la favoriser.

Le problème économique

Le ralentissement économique que nous vivons ne rentre pas dans les modèles économiques traditionnels. Il ne résulte pas d’une chute de la demande agrégée que les keynésiens citent le plus souvent comme cause d’un ralentissement, et il n’est pas le résultat d’un cycle commercial, avec des racines monétaires, selon l’école autrichienne. Ce que nous vivons, pendant cette pandémie, est une crise de l’offre agrégée, causée par le confinement et la fermeture des commerces.

Le chômage américain a augmenté d’environ 10 millions de personnes en deux semaines. Sur une population active d’environ 165 millions, ceci représente environ six pour cent. Le chômage augmentera de manière dramatique si les commerces ne rouvrent pas bientôt, et les souffrances individuelles et familiales seront terribles pour ceux qui se trouvent sans salaire, ou sans opportunité facile de changer d’emploi. Mais les statistiques montrent une dichotomie importante : la vaste majorité des américains peut encore travailler. Une minorité fait face, de manière soudaine et dramatique, au chômage et a des possibilités d’emploi limitées. Ceci indique, en termes macroéconomiques, que la vaste majorité des américains souffre non pas d’un manque de volonté de dépense, mais d’un manque d’opportunités. Il est donc fort peu probable qu’une injection de liquidité augmente les dépenses de la majorité. En somme, ceci n’est pas une crise de la demande agrégée, mais une crise de l’offre.

Il semblerait donc logique qu’une loi fédérale sur l’économie, en réponse au COVID-19, fasse trois choses.

Primo, encourager les solutions de santé publique, avec un soutien direct aux hôpitaux, à la production d’équipements spécialisés (masques, ventilateurs…) et l’assouplissement des réglementations qui bloquent l’innovation.

Secundo, stimuler l’offre, par l’abolition des entraves au commerce, à l’échange, et à l’innovation, ainsi qu’encourager (ou obliger) les Etats à faire de même.

Tertio, sur le plan social, proposer une aide immédiate et étroitement ciblée à la minorité qui se retrouve au chômage, là où les Etats et la société civile ont besoin de soutien.

Vu ces critères, que fait le CARES Act pour la santé publique, l’offre agrégée et les aides sociales?

Le CARES Act

Le CARES Act fut voté par le Congrès, puis signé par le président Trump le 27 mars 2020. Avec un montant de 2 000 milliards de dollars, cette loi représente la faramineuse somme de 50 % du budget fédéral 2019, et environ 10 % du PIB américain. Certains ont déjà décrit ce texte comme la plus grande stimulation économique de l’histoire des Etats-Unis. Mais s’agit-il vraiment d’une stimulation?

La version finale du CARES Act fait 880 pages. Différentes analyses la décomposent en différentes catégories mais il s’avère difficile de trouver des détails précis. Le CARES Act est en fait une agglomération de plusieurs lois et plusieurs lectures se chevauchent. Nous pouvons, cependant, catégoriser grosso modo le CARES Act ainsi:

Passant maintenant des catégories législatives aux catégories économiques, nous avons une vue différente des choses :

Nous pouvons maintenant retourner à nos trois critères : santé publique, offre agrégée, et aides sociales.

Le CARES Act offre un soutien de 425 milliards de dollars (soit 21 % du total), à la lutte contre le COVID-19. Si nous ne regardons pas de trop près les détails des décaissements (circonscriptions électorales, mécénat électoral, etc.), nous pouvons supposer que cette catégorie cible en effet la santé publique. D’un point de vue macroéconomique, rappelons que la priorité immédiate (après la santé publique) doit être la fin du confinement et le retour au travail, dans l’idéal selon le modèle Coréen de dépistage à grande échelle et de quarantaine ciblée, plutôt qu’avec un confinement arbitraire généralisé.

Le second critère, celui de l’offre agrégée, est déjà plus problématique. Pour l’instant, la demande agrégée est encore forte – ou du moins le potentiel de demande. Les consommateurs sont prêts à dépenser dès qu’ils ne seront plus confinés et dès que les entreprises se remettront à produire. Donc, le simple fait de distribuer des allocations directes (1 200 dollars pour chaque adulte américain, jusqu’à un seuil de revenu de 6 250 dollars par mois) ne sera pas une stimulation économique. Ces allocations peuvent représenter un soulagement immédiat et immense pour une minorité des bénéficiaires, mais elles auront peu (ou pas) d’effet macroéconomique tant que les commerces resteront fermés et que le confinement empêchera les dépenses. Qui plus est, plus de la moitié des aides sociales sera distribuée globalement à (presque) tous les américains. Cela touchera une minorité en situation précaire et une majorité qui perçoit encore son salaire. Il est vrai que le CARES Act contient quelques mesures, comme un report des taxes sur les salaires et autres charges sociales, et des petits changements structuraux qui encourageront l’offre. Mais cela représente des grains de sable parmi les milliers de milliards de dollars. En somme, presque un tiers du CARES Act représente des aides sociales, sans impact macroéconomique.

Le troisième critère, celui des aides sociales, est plus compliqué. La somme de 377 milliards de dollars vise à soutenir les PME, en leur permettant de continuer à verser des salaires. Cela ressemble bien à une aide sociale indirecte, soutenant les salariés, qui ne traite pas le problème de la production. De même, les compagnies aériennes vont recevoir 46 milliards de dollars. Cela représente une aubaine pour leurs salariés, mais n’aura pas d’effet direct sur l’économie si les voyageurs continuent à rester chez eux. Les 454 milliards de dollars versés aux grandes entreprises, et aux Etats et localités, posent encore plus de questions. Ils intègrent probablement une dose significative de clientélisme. Aucune de ces dépenses ne soutient l’offre. La crise économique peut effectivement devenir une crise de demande agrégée, si l’offre n’est pas rétablie et que le chômage continue à augmenter ; mais rappelons que presque 80 % du CARES Act cible une demande agrégée qui ne fléchit pas, sans s’occuper de l’offre.

En somme, le CARES Act ne vise pas la vraie cause du ralentissement économique.

Cette loi est aussi une erreur macroéconomique pour d’autres raisons. En effet, elle octroie une allocation chômage supplémentaire (en plus des allocations déjà en place) de 600 dollars par semaine, pendant quatre mois. Cela représente 15 dollars par heure, soit plus du double du salaire minimum. Cela aura tendance à encourager les chômeurs à ne pas chercher de travail et à ne pas se déplacer vers les industries qui ont un besoin urgent d’augmenter leurs capacités opérationnelles (tels les services de santé, les fabricants d’équipement sanitaire, ou les services de livraison à domicile). Si l’Etat fédéral augmente les aides sociales, il devrait le faire de manière à ne pas décourager le retour au travail, clef de la relance économique. Hélas, le CARES Act soutient des entreprises que l’on pourrait qualifier de « zombies » sans augmenter l’offre. Il distribue à l’aveuglette des centaines de millions de dollars de fonds publics, sans trop examiner les ressources des bénéficiaires. Il augmente une dette nationale qui dépasse déjà largement 100 % du PIB. Et le CARES Act contribuera certainement à l’inflation, puisque la dette américaine est indirectement financée par des taux directeurs négatifs et une injection monétaire de 1 500 milliards de dollars. On peut craindre que ces lacunes du CARES Act ne retardent la reprise économique au lieu de la favoriser.

Une meilleure solution : soutenir (ou s’abstenir de bloquer) l’offre

Il est curieux d’observer une loi anti-pandémie qui ne consacre que 20 % du total à la santé publique. Il est bizarre de voir une loi macroéconomique qui ne s’adresse pas vraiment au problème de fond, celui d’une offre chancelante. Et il est difficile de croire en une simple coïncidence quand les récipiendaires des fonds publics sont des électeurs potentiels, six mois avant les élections américaines. Deux autres approches auraient été beaucoup plus utiles. Primo, l’Etat fédéral aurait pu alléger la montagne de réglementations économiques. La Food and Drug Administration (FDA) pourrait cesser de bloquer le développement de nouveaux médicaments et de nouveau matériels médicaux. L’Etat fédéral pourrait supprimer les réglementations qui étouffent l’économie, représentant 10 % du PIB, en impôts indirects dépensés par l’industrie américaine pour se conformer aux réglementations fédérales. Il pourrait abroger les réglementations de la FDA et des Centers for Disease Control (CDC) qui bloquent l’importation de masques. L’économiste Tyler Cowen propose d’autres mesures : assouplir le régime d’accréditations fédérales pour le personnel sanitaire (qui forment une barrière supplémentaire, en plus des règles imposées par chaque Etat), supprimer les restrictions qui empêchent les heures supplémentaires ou le travail le weekend, réduire (plutôt que de retarder leur paiement) les taxes sur les salaires et les charges sociales.

Secundo, l’Etat fédéral pourrait encourager (ou obliger) les Etats à respecter les libertés économiques, et à cesser de bloquer l’activité commerciale. Un tiers des travailleurs américains doit obtenir une accréditation de leur Etat pour pourvoir travailler. En ces temps de chômage structurel (résultat de la situation sanitaire), l’abolition de ces lois faciliterait le mouvement des travailleurs depuis les industries où le travail à distance est impossible, vers le secteur sanitaire et les nouvelles entreprises qui émergent (ou le pourraient) en réponse à la pandémie. Trente-quatre Etats sur cinquante et la ville fédérale de Washington interdisent l’augmentation des prix. Ces façons de faire entravent le processus du marché, créent inutilement des pénuries, incitent les entreprises existantes à ne pas augmenter l’offre et découragent de nouveaux fournisseurs d’entrer dans le marché. Plusieurs Etats ont suspendu certaines réglementations, mais 35 Etats exigent encore – en pleine crise sanitaire – que les hôpitaux apportent la preuve de ce que leurs demandes d’extensions de capacité sont légitimes et les conditionnent à l’obtention d’un certificat. Tous les Etats ont des lois et réglementations byzantines qui bloquent l’activité économique. Il existe, par exemple, des lois empêchant de dispenser des soins médicaux à domicile, interdisant aux médecins de remplir des ordonnances ou de distribuer des médicaments sans la participation d’une pharmacie ou proscrivant le partage d’avis médicaux par téléconférence. D’autres textes interdisent le transport de nourriture et d’alcool dans les mêmes camions ou imposent d’obtenir l’accord des concurrents pour qu’une nouvelle entreprise puisse entrer dans un marché. Toutes ces mesures sont en fait des restrictions clientélistes, visant à préserver les intérêts des uns au détriment de l’intérêt collectif. Fort heureusement, certains Etats ont abrogé certaines des lois les plus nocives. Le Texas autorise dorénavant le transport de la nourriture et d’alcool dans les mêmes camions et le Michigan a permis aux distilleries de produire du gel hydroalcoolique.

Face à cette nouvelle crise sanitaire et économique, il serait souhaitable que l’Etat fédéral encourage les Etats à ne pas se priver du ressort qu’offre la liberté économique et le libre-échange. Il pourrait même les y obliger, en vertu du 14ème amendement de la Constitution, garantissant à tous les Américains certains droits fondamentaux. L‘Institute for Justice, un cabinet d’avocats sans but lucratif, y travaille depuis un certain temps, au cas-par-cas.

Le CARES Act apporte, certes, une aide à la minorité croissante des américains qui ne touche plus de revenu. Mais, même si nous imputons aux élus les meilleures intentions, et que nous fermons un instant les yeux sur les mesures électoralistes, la loi ne cible pas les vrais problèmes économiques. Malheureusement, le CARES Act n’est pas un texte de stimulation économique. C’est plutôt une démarche électoraliste. C’est aussi une inquiétante mainmise sur l’économie, qui augmente un budget fédéral déjà significatif, sans s’attaquer aux problèmes fondamentaux du moment.

Cet article a été rédigé pour Law et Liberty et publié en langue anglaise le 16 avril 2020. Traduction par l’auteur pour l’Institut économique Molinari.

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