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Ces taxes qui vous veulent du bien

Texte de Pierre Bienvault, Mathieu Castagnet et Antoine d’Abbduno publié le 27 novembre 2017 dans La Croix.

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale vise à augmenter la taxation des boissons sucrées. Au nom de la défense de l’environnement et de la santé publique, les taxes sur le tabac, l’essence et certains produits alimentaires ne cessent de prospérer.

Mangez moins gras, isolez vos combles, faites du sport, changez vos ampoules, roulez plus propre… Les injonctions adressées aux citoyens ne cessent de se multiplier et passent de plus en plus souvent par la voie fiscale. Une politique qui a le double mérite de favoriser les comportements vertueux tout en remplissant au passage les caisses de l’État.

Alors que le nouveau gouvernement martèle sa volonté de baisser les prélèvements pour en finir avec le dévastateur « ras le bol » fiscal des années Hollande, le budget 2018 comporte pourtant deux mesures fort rentables prises au nom de la protection de l’environnement et de la santé. L’accélération de la fiscalité sur les carburants, et singulièrement sur le gazole, rapportera ainsi 2 milliards d’euros supplémentaires. L’augmentation des droits sur le tabac devrait ajouter 500 millions.

Les parlementaires, de leur côté, proposent en plus un accroissement de la « taxe soda », pour environ 150 millions d’euros, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale dont l’examen en seconde lecture débute mardi 28 novembre à l’Assemblée.

« Envoyer un signal à travers les prix »

Ces dernières années, la fiscalité comportementale n’a ainsi cessé de prospérer, sur l’énergie, le tabac, les boissons sucrées ou énergisantes. Au point que la France figure au 6e rang des « États moralisateurs de l’Union européenne » dans un classement publié par l’Institut économique Molinari.

« Nous sommes à un niveau de prélèvement tellement élevé que les augmentations d’impôts ne sont plus supportables par les citoyens. Alors le seul curseur que l’on peut encore bouger ce sont ces taxes qui fustigent les soi-disant mauvais comportements de ceux qui mangent mal, fument, boivent ou polluent », affirme Cécile Philippe, directrice de l’institut.

Face aux critiques, les défenseurs de la fiscalité comportementale plaident la nécessité d’user de toutes les armes pour faire bouger les consommateurs. « L’idée n’est pas de remplir les caisses mais d’envoyer un signal à travers les prix. Toutes les études montrent que cela marche, notamment pour le tabac ou les carburants », insiste Éric Alauzet, député LREM membre de la commission des finances.

Des taxes pas toujours cohérentes

Évidemment, reconnaît cet ancien élu écologiste, « quelqu’un qui se chauffe au fioul, roule au gazole et fume en buvant des boissons sucrées va encaisser un fort impact. Mais il faut regarder le panorama global et voir aussi les économies réalisées par ceux qui arrêteront de fumer ou se mettront à pratiquer le covoiturage ».

Si ces taxes visent à combattre des comportements jugés néfastes, l’État n’a toutefois pas toujours fait preuve d’une grande cohérence. Ainsi, le principal prélèvement sur la consommation, la TVA, ne prend nullement en compte le caractère sain ou non des produits alimentaires. Légumes frais et pizzas surgelées sont soumis au même taux de 5,5 %…

De plus, « les objectifs de santé publique s’effacent parfois devant la volonté d’épargner certains produits français ou de ne pas s’aliéner un pays étranger », remarque Yves Daudigny, sénateur PS de l’Aisne et auteur d’un rapport sur le sujet en 2014. Voilà qui explique sans doute pourquoi le vin est bien moins taxé en France que les alcools forts.

Le cas particulier des ménages modestes

Partisans et adversaires des taxes comportementales se retrouvent en revanche pour en souligner l’impact particulier sur les ménages modestes. « Ce sont les familles pauvres qui consomment le plus ces produits et qui sont aussi le moins sensibles aux campagnes de santé publique. Cela doit être pris en compte et oblige à ne pas en abuser », insiste Yves Daudigny.

Malgré ces limites, la hausse des prix du tabac reste le « moyen le plus efficace » pour réduire la consommation, souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « C’est démontré scientifiquement. En moyenne, si on augmente le prix de 10 %, on observe une baisse de 4 % de la consommation. Et même de 6 % chez les jeunes », indique le professeur Martinet, président du Comité national contre le tabagisme (CNCT).

Pour avoir un impact, il faut une hausse forte et concentrée dans le temps. C’est ce qui s’était passé en 2003 avec le premier plan cancer. Les prix avaient alors augmenté de 40 % en deux ans. Selon l’Alliance contre le tabac, 1,8 million de fumeurs avaient alors arrêté.

Accompagner les hausses de prix de mesures pour les plus modestes

L’autre question concerne les effets de ces mesures sur la santé des ménages défavorisés qui pourrait paradoxalement se dégrader, mettent en garde certains sociologues. S’arrêter de fumer, en effet, n’est pas une décision qui relève de la seule liberté des individus. La dépendance au produit est très forte et même si les prix sont élevés, certains fumeurs n’arrivent pas à se passer du tabac.

Résultat, certaines personnes précaires font des arbitrages dans leur budget et préfèrent se priver dans d’autres domaines, par exemple celui de l’alimentation. Pour ces sociologues, il ne faut pas pour autant renoncer à ces hausses mais les accompagner de mesures plus ciblées pour accompagner les plus modestes vers l’arrêt du tabac.

Pour les boissons sucrées, aussi, des études estiment positivement l’impact d’une hausse des taxes. Selon l’OMS, « les politiques fiscales entraînant une augmentation de 20 % au moins du prix de vente au détail des boissons sucrées conduiraient à une baisse proportionnelle de la consommation de ces produits ». Un impact que l’exemple mexicain ne permet pas forcément de confirmer.

Certains secteurs font évoluer leur stratégie

Si l’impact sur les consommateurs demeure discuté, il ne laisse toutefois jamais indifférents les professionnels des secteurs concernés. Face à la menace que représente l’instauration d’une nouvelle taxe pour leurs activités, ceux-ci ont souvent recours au lobbying pour « orienter » en amont la décision politique.

Un domaine dans lequel l’industrie du tabac est passée maître. Le site Internet du ministère de la santé relève ainsi que, en 2016, 25 fabricants ont consacré 1 256 466 € pour des « dépenses liées aux activités d’influence », l’un d’entre eux détaillant même les avantages versés à 62 parlementaires pour un montant total de 6 000 €.

D’autres secteurs, tout en renâclant, semblent plus enclins à faire évoluer leur stratégie. C’est le cas de l’interprofession sucrière qui a lancé, en 2016, une campagne pour « une consommation responsable et en juste quantité de sucre ». « Nous sommes prêts à accompagner les enjeux de santé publique, mais refusons de servir de bouc émissaire. Le sucre fabriqué en France est un produit naturel et sain. Nous ne sommes pas contre le fait de diminuer sa présence dans les boissons, explique Gilles Bollé, président du Centre de documentation et d’études du sucre (Cedus). Mais lutter contre les excès de consommation ne se fera pas en imposant une taxation qui pénalise les consommateurs sans distinction, incite à l’utilisation d’édulcorants de synthèse et fragilise une filière déjà confrontée à la fin des quotas européens. »

Évolution de la composition des produits

Pour déshabituer les Français du goût sucré, certains industriels ont tout de même accepté de revoir la composition de leurs produits. « Depuis dix ans, le taux de sucre dans les boissons sans alcool a ainsi diminué de 12 % en moyenne. Et ce, sans attendre la taxe soda », précise Agathe Cury, directrice de Boissons rafraîchissantes de France (BRF).

Mais reformuler un produit prend du temps – en moyenne deux ou trois ans – et coûte beaucoup d’argent, sans que le résultat soit garanti. « D’un côté les Français veulent avoir des produits moins sucrés, de l’autre ils aiment le sucre et se détournent de leur produit préféré si la baisse est trop sensible », souligne Agathe Cury. Un autre des paradoxes français que la taxe soda est censée résoudre.


Comment fonctionne la taxe soda

Dans sa version votée en 2011, la taxe soda s’applique à toutes les boissons contenant du sucre ou des édulcorants de synthèse à hauteur de 7,53 € par hectolitre, et ce, quelle que soit la teneur en produits sucrants.

La nouvelle mouture présentée par le député LREM Oliver Véran prévoit d’instaurer un taux variable suivant la teneur en sucre : de 3,50 € pour les boissons à moins de 1 kg de sucre par hectolitre à 20 € pour celle contenant au moins 11 kg de sucre par hectolitre. Dans le même temps, la taxe sur les boissons édulcorées est maintenue, mais réduite de moitié.

Ces taux peuvent encore être modifiés durant l’examen final du texte prévu mardi 28 novembre dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018.


Les cigarettiers américains diffusent des spots anti-tabac

« Fumer tue en moyenne 1 200 Américains par jour et le tabagisme fait plus de morts annuellement que les meurtres, le sida, les suicides, la drogue, les accidents de la route et l’alcool réunis »… La plupart des grands cigarettiers américains ont commencé à diffuser dimanche 26 novembre dans les journaux et à la télévision des spots mettant en garde contre les dangers du tabac. Ils mettent ainsi en application le jugement d’une cour fédérale de 2006, dont ils avaient jusqu’ici réussi à bloquer la mise en application. Ironie de l’histoire, ces messages ne seront pas diffusés sur les réseaux sociaux, désormais très utilisés par les jeunes : il y a dix ans, ils balbutiaient…

Pierre Bienvault, Mathieu Castagnet et Antoine d’Abbduno

L’Institut économique Molinari

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