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L’optimisation fiscale : comprendre plutôt que juger

Texte d’opinion publié dans Les Échos le 26 mai 2015 sous le titre « L’optimisation fiscale : un symptôme plutôt qu’un scandale ».

C’est évidemment peu dire que l’optimisation fiscale n’a pas bonne presse. Début mai, l’Union Européenne a adopté, suivant les recommandations de l’OCDE, de nouvelles règles permettant l’échange automatique d’informations fiscales. La cible? Les accords fiscaux privilégiés (dits « rescrits ») qui permettent aux entreprises de mieux déterminer leur situation fiscale future. Aux yeux de la Commission européenne, ils pourraient s’apparenter à une aide d’État; à ceux de l’opinion publique, ils se confondraient avec des pratiques immorales.

De commentaires en débats, l’argument revient en boucle: l’entreprise ou le particulier qui cherche à minimiser le montant de ses impôts et taxes serait une sorte de déserteur, un traître refusant de payer son dû. Cette aptitude à crier au scandale cache en réalité l’essentiel: l’importance grandissante des efforts des acteurs économiques pour réduire le poids de l’impôt. Cette tendance doit être comprise comme une alerte sérieuse sur la compétitivité fiscale de notre pays.

À lire la presse française, la pratique d’évitement de l’impôt paraît d’autant plus révoltante dans le cas des entreprises que les montants en jeu sont considérables. Mais s’il est juste d’assurer la répression des actes illégaux comme la dissimulation de revenus, fustiger l’optimisation fiscale conduit à commettre une erreur d’analyse grave. Car si l’évasion est illégale, l’optimisation ne l’est pas; alors que la première pratique consiste à cacher des sommes au fisc pour en éviter les prélèvements, la seconde réside au contraire dans la pure application de la loi!

Il est étonnant que dans un État de droit, l’usage strict de la norme soit ainsi jugé immoral: on amalgame l’utilisation du droit et sa violation. Cette confusion n’est pas seulement dangereuse, elle est problématique en ce qui concerne les réformes à entreprendre car elle interdit toute réflexion fructueuse. En noyant l’optimisation fiscale dans l’opprobre, on s’interdit de penser cette stratégie comme une réaction rationnelle à un malaise généré par notre système d’impôts. Si l’évasion fiscale est une fraude, l’optimisation est un symptôme.

Qu’on le veuille ou non, l’optimisation relève d’un choix intelligent qui n’est pas sans similitude avec la réaction de ceux qui, devant un taux d’imposition trop élevé, préfèrent profiter de leurs loisirs plutôt que de continuer à travailler ou à embaucher. Elle reflète une vérité économique constante — les acteurs économiques cherchent toujours à économiser leurs ressources, par essence trop rares — qui se retrouve dans la fameuse courbe de Laffer: excessif, l’impôt réduit les gains à l’échange, décourage l’activité et inhibe la croissance. Il favorise également son propre contournement.

En réponse, la Commission européenne a annoncé une volonté de transparence: les rescrits fiscaux resteront légaux et la directive de janvier 2016 permettra l’échange automatique d’informations entre les États membres. Cette approche révèle en réalité un présupposé idéologique selon lequel la concurrence fiscale serait une pathologie grave qui permettrait de siphonner les recettes de pays qui, comme la France, la refusent. Le ministre des Finances, Michel Sapin veut d’ailleurs faire payer aux multinationales opérant dans l’Hexagone la différence entre les taxes qu’elles ont légalement acquittées et les impôts qu’elles auraient dû payer si elles n’avaient pas bénéficié d’un rescrit fiscal dans un autre État-Membre. Cette mesure pourrait s’appliquer avec une rétroactivité sur 10 ans.

Ces propositions se réclament d’une politique intelligente, mais elles sont en fait dangereuses et démontrent une profonde incompréhension de la situation économique actuelle. Dans un contexte d’économie mondialisée, rejeter la concurrence fiscale finit toujours par limiter les investissements futurs. L’érosion de la base taxable qui angoisse le gouvernement n’est pas tant le résultat de l’optimisation que celui d’une fiscalité trop punitive et de politiques économiques inefficaces. L’évitement est la preuve concrète que de nombreux opérateurs jugent les conditions de notre territoire insatisfaisantes.

Face à cette situation, on ne peut pas se contenter de stigmatiser ceux qui quittent le navire. Il faut comprendre pourquoi ils fuient. À la contrainte et la menace, nous pourrions préférer la croissance. Plutôt que de chercher à étendre la mainmise du fisc, nous devrions créer les conditions favorables pour que l’activité vienne et reste naturellement en France; un changement de perspective d’autant plus difficile à réaliser qu’il implique de passer de la posture de donneur de leçons à celle de l’autocritique.

Frédéric Sautet est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.

Frédéric Sautet

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