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Audition Sénatoriale de l’Institut économique Molinari

Nicolas Marques, directeur général de l’institut économique Molinari, était auditionné le 7 mai par la Mission d’information sur le financement de la protection sociale qui rendra son rapport en juillet 2025. Ci-dessous les réponses aux questions des sénatrices Élisabeth Doineau et Raymonde Poncet Monge, rapporteurs de la Mission, sur la meilleure stratégie pour rééquilibrer les comptes et les publications de l’Institut économique Molinari.

Questions générales

De manière synthétique, quelle vous semble être la bonne stratégie pour ramener la sécurité sociale (régimes obligatoires de base et fonds de solidarité vieillesse) à l’équilibre ? 

La priorité pour ramener la sécurité sociale à l’équilibre de façon durable est de mettre à niveau sa gouvernance qui n’est pas adaptée à ses enjeux qui sont par nature à long terme. Il faut sortir de la situation où le parlement est mis à contribution pour voter des projets de loi construits sur une logique d’annualité. Cet horizon ne permet pas de prendre en compte le temps long, clef pour la branche vieillesse mais aussi pour la branche maladie, puisque la prévention est un levier d’économies à long terme et surtout de la qualité de vie des assurés.

Au sein de la protection sociale, certaines gouvernances sont extrêmement qualitatives, c’est en particulier le cas de l’Agirc-Arrco, dont le Conseil d’administration est doté d’un vrai rôle. Il fixe la valeur d’achat et de rachat des points, garants de l’équilibre financier depuis 1947. Il nomme son Directeur général. A l’opposé, la gouvernance de la CNAV n’a pas prouvé qu’elle apportait une vraie valeur ajoutée, cette caisse étant déficitaire 80 % du temps depuis la fin du baby-boom. Le Conseil d’administration de la CNAV a des compétences limitées comme la définition des orientations de la politique d’action sociale en faveur des personnes âgées. L’Etat y joue un rôle central puis le Directeur de la CNAV est, par exemple, nommé en Conseil des ministres et n’a jamais été capable de résorber les lacunes structurelles (absence de réserves financières et de mécanisme d’équilibrage). Le bon sens serait de confier la gestion de la CNAV aux partenaires sociaux et de généraliser, en complément de la répartition, une capitalisation collective sur le modèle de l’ERAFP, le fonds de pension des fonctionnaires[1].

En matière de retraites, au-delà de la solidarité, l’action de l’Etat devrait se recentrer sur ses responsabilités en tant qu’employeur. L’Etat n’a jamais été capable de faire le nécessaire pour que les retraites de ses fonctionnaires (66 milliards en 2024) ne déstructurent son budget. Il a ignoré les données, en permettant au Conseil d’orientation des retraites de publier une estimation du déficit des retraites qui aurait du sens si le régime de retraite des fonctionnaires d’Etat n’existait pas ou si les comptes de l’Etat étaient à l’équilibre, ce qui ne s’est pas produit depuis 1981[2]. L’Etat devrait provisionner les retraites qu’il distribue à ses personnels, à l’image de ce que font la Banque de France ou le Sénat[3], ce qui permettrait de restaurer ses comptes à moyen/long terme[4].

Au-delà des gouvernances, le rôle du parlement devrait être de s’assurer que les enjeux sont bien pris en comptes à tous les niveaux.

En matière de santé, la pandémie de Covid-19 nous a fourni une illustration de la non prise en compte des enjeux à moyen/long terme. Alors que la possibilité d’une pandémie figurait dans toute une série de travaux prospectifs, l’état d’impréparation de l’administration était significatif, comme en témoigne l’absence de masques durant plusieurs mois, avec à la clef des coûts humains, sociaux et économiques conséquents. L’assurance maladie s’est davantage identifiée à une simple caisse – cherchant à limiter ses coûts opérationnels – qu’en assureur capable de faire un calcul économique et d’investir pour améliorer le niveau de préparation et limiter les coûts en cas de pandémie. En phase post pandémique, nos pouvoirs publics continuent de sous-évaluer les dynamiques de long terme, comme l’illustre le discours sur les indemnités journalières maladie. Le rythme de progression de ces indemnités a doublé depuis la pandémie. En 2024, le niveau des indemnités journalières était 43 % plus élevé qu’en 2019 (soit une progression de 7,4 % vs 3,9 % de 2015 à 2019), phénomène que l’on retrouve dans de très nombreux pays. Dans les dernières années, l’assurance maladie a mis en avant un prétendu caractère inflationniste de la téléconsultation (alors que ce mode de consultation est bridé et a, dans les faits, un poids marginal dans les arrêts maladie) ou la nécessité de responsabiliser les employeurs. Elle produit des analyses qui feraient sens si Covid-19 n’avait pas d’effet à long terme (voir par exemple la note récente de la DREES sur les arrêts maladie[5]), alors qu’il existe une littérature médicale significative attestant que Covid a des impacts durables en termes de santé publique[6].

D’une manière générale, l’assurance maladie déploie beaucoup d’effort pour essayer de réduire la hausse des dépenses, mise peu sur la prévention et cherche à contrôler de plus en plus les acteurs, avec le risque d’aller vers le contre-modèle que représente le NHS anglaise et ses rationnements.

En France, la prévention représente 4 % des dépenses de santé, soit proportionnellement deux fois moins qu’en Allemagne ou au Royaume Uni (8 %). La prévention représente en moyenne 174€ par personne dans l’Hexagone, contre 284€ au Royaume-Uni et 417€ en Allemagne. De même, l’assurance maladie n’est pas en pointe sur le partage de la donnée avec les autres acteurs (et notamment les assurances maladie complémentaires), alors que cet élément est clef si l’on veut optimiser la prévention et réduire les coûts. Certains en son sein militent pour une suppression des complémentaires santé, alors que la diversité des acteurs est un atout pour faire émerger de meilleurs arrangements en termes de prévention et de parcours de soins.

Quelle appréciation portez-vous sur le fait que le financement de la sécurité sociale soit assuré pour près de la moitié par des cotisations sociales, qui alourdissent le coût du travail ? 

La seule façon d’éviter que l’intégralité du financement de la protection repose sur les actifs, ce qui pénalise la compétitivité et le pouvoir d’achat, est de financer une part des retraites par des capitalisations retraite collectives.

La capitalisation permet – à prélèvement obligatoire égal – de distribuer plus de prestation puisque le prélèvement obligatoire est placé et génère des dividendes (actions), des coupons (obligations) et des plus-values (cession de titres).

Quand la capitalisation est pratiquée de façon collective, elle couvre tout le monde (ce qui réduit les inégalités patrimoniales) et est plus performante (en raison de frais de gestion moins élevés).

Tous les autres leviers ne permettent pas de modifier la répartition du financement de la protection sociale, qui du point de vue économique continuera de reposer sur les actifs tant qu’une dose de capitalisation ne sera pas généralisée.

Bien sûr, en logique salaire différé, la feuille de paie ne devrait régler que des cotisations qui créent des droits et à ce titre peuvent être argumentées par un DRH vis-à-vis d’un salarié. Elles ne devraient pas comporter d’impôts de production non créateurs de droits (versement mobilité…). Les dépenses non créatrices de droits devraient être financées par des impôts à assiette large, l’idéal étant d’avoir recours à des impôts générant moins de distorsions. C’est le cas de la TVA (calculée sur la valeur ajoutée à chaque stade de la production). Jusqu’à présent, ce levier a été utilisé de façon limitée car la TVA souffre d’une mauvaise réputation, directement liée au fait que les consommateurs réalisent que cette taxe (qui apparait sur leur ticket de caisse) a une incidence négative sur leur pouvoir d’achat. En raison d’une mauvaise compréhension de l’incidence fiscale par le grand public, c’est beaucoup plus facile d’augmenter les fiscalités censées être à la charge des entreprises, comme les cotisations patronales, les impôts de production ou sur les bénéfices. Les ménages ne réalisent pas qu’ils paient au final une partie significative de ces fiscalités avec des salaires moins attrayants, des produits plus chers ou des emplois moins nombreux[7].

Déplacer la fiscalité, en modifiant le canal de perception (plus de taxes et moins de cotisations) et/ou les assiettes (en prenant des assiettes allant au-delà des revenus du travail) est une mesure qui fait toujours peser la charge fiscale sur les actifs, lorsqu’on intègre les phénomènes d’incidence.

Baisser les prélèvements sur le travail en contrepartie d’une augmentation des prélèvements sur les autres sources de revenu (retraites…) revient à réduire les retraites et donc le rendement de l’assurance-vieillesse. Lorsqu’on raisonne en net (la retraite moins le prélèvement obligatoire) cela revient à réduire la prestation distribuée, mais d’un point de vue économique, son financement continue de reposer intégralement sur les actifs.

Les mesures d’augmentation des recettes ou de réduction des dépenses réduisent le PIB, et donc l’amélioration du solde. Les modèles – Mésange ou e-mod – conduisent à des résultats différents. Quelle appréciation portez-vous sur ces différences ?

Mésange a une logique sous-jacente plus proche de la réalité qu’e-mod.fr. Mésange se caractérise par une approche keynésienne à court terme mais sur le long terme, elle est d’inspiration classique, les équilibres étant déterminés par les facteurs d’offre (chômage structurel, productivité, taille de la population active…). E-mod, plus keynésien à long terme, suppose que les prélèvements obligatoires sur les salaires sont neutres sur le chômage de long terme[8].

Mais ces deux modèles passent à côté du principal enjeu français en matière de financement de la protection sociale. Si nous étions un pays dans la moyenne de l’OCDE – avec des retraites financées de façon mixte en ayant recours à la répartition et la capitalisation – nous aurions une centaine de milliards d’euros de plus par an pour financer les retraites, avec un coût du travail moins élevé et des salaires nets plus attractifs.

En France, les actifs placés au titre des retraites capitalisées représentent seulement 12 % du PIB. Si nous étions dans la moyenne de l’OCDE nous aurions 88 % du PIB en épargne retraite, ce qui produirait 3 % du PIB/an ou une centaine de milliards d’euros par an de dividendes et plus-values pour financer les retraites et les futures pensions. Il serait possible de financer notre très haut niveau de protection sociale sans que cela pèse autant sur la compétitivité et le pouvoir d’achat.

Aucun de ces modèles ne prend en compte correctement cet aspect clef. Or, en France, les retraites représentent la première des dépenses publiques (25 % des dépenses publiques), 45 % de la hausse des dépenses publiques depuis la fin du baby-boom.

C’est parce que nous cherchons à financer les retraites quasi exclusivement par répartition que notre économie est à la peine et que nos comptes publics sont systématiquement déficitaires depuis la fin du baby-boom.

Quelles vous semblent les principales réductions de niches sociales envisageables ?

La multiplication des aménagements visant à réduire la dureté des prélèvements sociaux est le symptôme d’un problème de fond. L’importance des prélèvements est la conséquence d’une inadaptation du financement de la protection sociale en lien avec le vieillissement.

Prétendre réduire les « niches sociales » sans traiter ce problème relève du déni. C’est parce que financer intégralement les retraites est devenu extrêmement coûteux avec la baisse du ratio cotisant par retraité, que nous avons développé des dispositifs dérogatoires. Ceux qui prétendent qu’ils creusent les déficits inversent les causalités.

L’augmentation drastique des cotisations patronales (+25 % entre 1975 et 1985, avec des cotisations effectives passées en moyenne de 30 à 38 % du brut) a généré des pertes de compétitivité massives dans l’économie française. Il en a résulté une augmentation du niveau de chômage structurel et des tensions autour du pouvoir d’achat. Pour limiter ces effets pervers, le législateur a mis en place différentes générations d’aménagements permettant de réduire le coût du travail. D’un point de vue économique, ces aménagements parfois présentés comme des « aides aux entreprises » sont des aides à la compétitivité et donc au pouvoir d’achat. Sans entreprises, pas de création de richesses et donc pas de pouvoir d’achat.

Certains considèrent que les ressources de la sécurité sociale seraient encore plus élevées si ces aménagements n’existaient pas. Mais ce raisonnement, purement comptable, ne tient pas compte des réalités économiques. Supprimer les aménagements de charges, c’est immanquablement dégrader le compte de résultat des entreprises, avec à la clef des impacts négatifs sur le volume d’emploi et les progressions salariales.

Aussi, les chiffrages de « coût » des mesures d’exonérations de cotisations n’ont pas de sens d’un point de vue économique. Ils quantifient des « pertes » par rapport à une situation hypothétique où tous les acteurs économiques pourraient se passer des « niches » et supporter des taux de cotisation sociale effectif plus élevées, sans que cela ait le moindre effet négatif sur l’emploi. Les « niches » généreraient le manque-à-gagner chiffré dans l’annexe 2 du projet d’approbation des comptes de la sécurité sociale si les acteurs économiques étaient insensibles aux prélèvements, ce qui est improbable.

Derrière la grande majorité des aménagements se cache une bonne explication, qu’il s’agisse de financer la protection sociale complémentaire ou d’améliorer l’employabilité ou les salaires nets. Si l’on souhaitait revenir sur ces aménagements, il faudrait, en contrepartie, accepter une baisse des taux de cotisation standard pour préserver la compétitivité et le pouvoir d’achat. Dans le cas contraire, il est fort probable que les moyens à disposition pour financer la protection sociale diminueraient.

Ajoutons que contrairement aux idées reçues, nous ne sommes pas les champions des niches sociales et des « aides aux entreprises », bien au contraire. Les données d’Eurostat montrent que les entreprises françaises génèrent 16 % de la valeur ajoutée européenne, 17 % des salaires bruts, 21 % des prélèvements (30 % des impôts de production, fonct % des cotisations patronales en intégrant les aménagements réduisant les cotisations sociales, 1 3% de l’impôt sur les sociétés qui rapporte moins en raison de l’importance des impôts de production…) et 21 % des subventions. La part de la France dans les subventions aux entreprises est exactement en ligne avec son poids dans les prélèvements ciblant directement les entreprises, avec 20 centimes de subventions pour 1 euro d’impôts comme dans le reste des pays européens.

Notons aussi que la définition des « niches » comporte des biais majeurs. Sont comptés dans les niches, les aménagements mis en place dans le secteur privé – avec un mode de calcul surévaluant leur cout réel – mais sont oubliés toute une série d’aménagements propres au secteur public.

L’épargne salariale ou les complémentaires santé sont considérées comme des niches lorsqu’elles bénéficient aux salariés du privé, mais l’absence de cotisation sociale sur les primes des fonctionnaires (25 % des rémunérations d’activité versées) n’est jamais considérée comme une niche alors qu’elle réduit le financement de la protection sociale (rien qu’au titre de la maladie cela représente un manque à gagner de 3 milliards par an).

De même, pourquoi considérer la complémentaire santé des salariés du privé comme une niche sociale, alors qu’elle participe par essence au financement de la protection sociale. Comment considérer que les versements des entreprises aux plans d’épargne retraite obligatoire ou collectif (PER ob, PER col) constituent des niches, alors qu’ils financent les retraites futures et que les cotisations équivalentes dans le secteur public (qui alimentant l’ERAFP, le fonds de pension des fonctionnaires) ne sont pas considérées comme des « niches » ?

Que pensez-vous en particulier de la réduction du plafonnement des cotisations vieillesse et de la suppression de certains taux réduits de CSG ou de l’abattement de 10 % sur l’impôt sur le revenu en faveur des retraités ? Si possible, fournir des chiffrages.

Augmenter la CSG sur les retraités permettrait de réduire à court terme le coût associé aux retraites, mais ne permet en aucun cas de traiter les problèmes structurels liés à l’inadaptation de notre mode de financement des retraites.

Les retraites génèrent des déficits parce que nous essayons de les financer intégralement par des prélèvements obligatoires, selon une logique de répartition. Cette façon de faire ne permet pas de financer des retraites généreuses quand le nombre d’actifs par retraité décline. Si nous étions un pays dans la moyenne de l’OCDE, nous aurions une épargne retraite présentant 88 % du PIB pour épauler la répartition, ce qui générerait une centaine de milliards d’euros par an de dividendes et plus-values. Cela faciliterait le financement des retraites. Nos finances publiques seraient moins déséquilibrées et le gouvernement passerait moins de temps à chercher à augmenter la fiscalité.

Ajoutons que les retraités sont déjà mis à contribution : leur pouvoir d’achat est déjà en train de baisser avec le durcissement des règles de calcul des pensions mis en place depuis la fin des années 1990. A ce stade, ils ont un niveau de vie équivalent à la population générale (en incluant enfants, actif et chômeurs) alors qu’ils ont cotisé à des niveaux élevés et sont fréquemment propriétaires de leur résidence principale.

Enfin, le vrai enjeu de politique publique n’est pas de taxer plus les retraités actuels, mais de faire le nécessaire pour que le pouvoir d’achat des retraités de demain ne soit pas sacrifié. Comme le montrent les prévisions du COR, si rien n’est fait d’ici 2070, les retraités français auront un pouvoir d’achat inférieur de 17 % à la population française, alors qu’ils auront cotisé pendant toute leur vie de façon très significative. Comme le montrent les projections de l’OCDE, le fossé est en train de se creuser entre ceux qui font appel à la capitalisation et les autres. Aux Pays-Bas, des cotisations sociales retraite plus faibles qu’en France (22 % des salaires bruts vs 28 %) permettent de financer des retraites futures plus généreuses (93 % du salaire net vs 68 %).

Pour toutes ces raisons, l’enjeu est de compléter la répartition par une généralisation de la capitalisation collective, en créant un grand fonds de pension dans le secteur privé sur le modèle de la Retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP). Au lieu de penser à taxer plus, il faut traiter la priorité, augmenter la création de richesse collective.

Faut-il, selon vous, instaurer de nouveaux prélèvements pour financer la sécurité sociale ? Si oui, lesquels ? Si possible, fournir des chiffrages.

Non, l’enjeu est de réduire la dépendance aux prélèvements obligatoires. Nous ne manquons pas de ressources pour financer la protection sociale mais nous les utilisons mal faute de capitaliser une partie des cotisations retraites.

Encore une fois, si nous étions un pays dans la moyenne de l’OCDE, nous aurions une épargne retraite présentant 88 % du PIB pour épauler la répartition, ce qui générerait une centaine de milliards d’euros par an de dividendes et plus-values. Cela faciliterait le financement des retraites. Nos finances publiques seraient moins déséquilibrées et le gouvernement passerait moins de temps à chercher à augmenter la fiscalité.

Faut-il selon vous davantage recourir au financement privé pour le financement de la sécurité sociale (instauration d’une part de capitalisation pour le financement des retraites, plus grand rôle des complémentaires santé, instauration d’une assurance dépendance obligatoire…) ? 

Il faut s’appuyer sur des institutions ayant des gouvernances responsables, respectueuses du temps long, sans opposer public et privé car cela n’aide pas à appréhender les enjeux.

Capitaliser plus est indispensable pour les retraites. Pour des raisons historiques, cette bonne pratique est plus répandue dans le secteur public (qui a généralisé la capitalisation collective en 2003 avec la création de l’ERAFP, le fonds de pension des fonctionnaires) que dans le secteur privé (où la capitalisation fonctionne sur une base de volontariat). En matière de capitalisation, c’est le public qui est en avance sur le privé, à rebours des idées reçues.

En matière de répartition, c’est à l’inverse le privé qui est en avance, là encore à rebours des idées reçues. L’Agirc-Arrco distribue des retraites sans jamais générer de dette car elle applique des principes de droit privé, contrairement à la sécurité sociale (CNAV) qui finance une partie des prestations par la dette et surtout de l’Etat qui n’a jamais pris ses responsabilités en tant qu’employeur, avec à la clef un triplement du coût des retraites de ses personnels depuis 50 ans.

De même, s’appuyer davantage sur les complémentaires santé, qui participent à la protection sociale fait sens. Dans un monde où les besoins et la façon de les traiter évoluent, disposer d’acteurs capables d’innover pour optimiser la prévention ou les parcours de soins, est clef. Un acteur en monopole a, par essence, plus de difficulté à innover et la séparation public/privé en matière d’assurance est un piège. N’oublions jamais que toute notre protection sociale a été crée au XIXème par des acteurs mutualistes (les sociétés de secours mutuels) et des employeurs.

Questions portant plus spécifiquement sur des publications de l’institut économique Molinari

Dans une publication récente , vous préconisez de reprovisionner le FRR pour financer les retraites de l’État. Si on comprend bien, le projet implique que le FRR ait pendant 35 ou 42 ans un besoin de financement de 1 point de PIB. Est-ce bien cela ? Faut-il comprendre qu’en conséquence, la mise en œuvre du projet impliquerait d’augmenter le déficit structurel des administrations publiques d’1 point de PIB pendant plusieurs décennies ?

Les dépenses de retraite de la fonction publique d’Etat ont triplé en euros constants depuis 1977 et représentent 62 milliards d’euros en 2023, contre 20 milliards en 1977. Elles sont financées directement par le budget de l’Etat et participent à son déséquilibre croissant.

Ce n’est pas une fatalité et d’autres administrations ont été plus prévoyantes. L’Etat aurait économisé 35 milliards d’euros en 2023 s’il avait provisionné en partie les retraites comme le Sénat. Ce serait 60 milliards d’économies si l’Etat avait provisionné intégralement les retraites de ses personnels comme la Banque de France.

Dans une étude récente, nous proposons de redimensionner le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour financer les retraites des fonctionnaires et économiser à terme 60 milliards d’euros par an[9].

Si le FRR se voyait confier le provisionnement des retraites de la fonction publique d’Etat en plaçant 1 % du PIB par an empruntés sur les marchés financiers, une montée en puissance sur 42 ans permettrait de créer un fonds souverain représentant 88 % du PIB. D’ici 2070, les intérêts dégagés par le fonds souverain permettraient de financer l’intégralité des retraites versée par l’Etat à ses anciens employés et de maintenir la taille du fonds souverain constante pour financer indéfiniment les retraites des employés de l’Etat.

Il s’agit sans doute du meilleur investissement que puisse faire l’Etat et du levier le plus puissant pour redresser les finances publiques.

Bien sûr, il faudra emprunter et certains considéreront que cela creusera le déficit. Mai raisonner en ayant comme seul référentiel une vision comptabilité publique intégrant mal le temps long est une impasse. Emprunter pour placer des sommes ne devrait pas être considéré comme constitutif d’un dérapage financier, puisque l’emprunt ne finance pas des dépenses de fonctionnement et qu’il crée de la richesse d’un point de vue patrimonial.

La comptabilité de l’Etat a deux défauts : elle confond dépense courante et investissements et raisonne en dette brute (tout en omettant dans la dette brute les promesses de retraites faites aux fonctionnaires). Adaptée à un horizon à un an, elle n’est pas adaptée à la prise en compte des enjeux à long terme. C’est un contresens total, car les Etat devraient, par essence, avoir des horizons à long terme.

La pratique des collectivités territoriales est de considérer que les travaux permettant d’améliorer le service rendu aux usagers actuels ou futurs peuvent être financés par endettement, ce qui fait sens. L’Etat devrait s’en inspirer et provisionner les retraites des fonctionnaires, mesure qui est de nature à augmenter grandement le rapport qualité/prix de ses prestations, en réduisant ses coûts de production sans rogner sur les promesses faires aux fonctionnaires.

Indépendamment de la question du FRR, faut-il selon vous conserver la « tuyauterie » actuelle de financement de la sécurité sociale  ?

Le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) a été créé, il y a plus de 20 ans, par Lionel Jospin. C’est un fonds souverain de réserve créateur de richesse mais il est malheureusement sous dimensionné. C’est un problème puisque nous manquons d’argent pour financer les retraites.

Je n’ai pas d’avis sur la CADES en général, mais son alimentation par le FRR depuis 2010 constitue une erreur magistrale. Prélever 2 milliards par an sur le FRR pour rembourser la dette CADES est une erreur économique.

Fin 2024, le FRR détenait 20,4 milliards d’euros et avait créé 14 milliards d’euros de valeur de 2010 à 2024 lorsqu’on raisonne en net, c’est-à-dire en soustrayant des revenus et plus-values générés par l’épargne (4 % par an), le coût de la dette sociale portée par la CADES (1,2 % par an).

Réduire la taille du FRR pour réduire la dette CADES est un contresens puisque le coût de la dette sociale est inférieur au rendement dégagé par le FRR. Si vous me permettez une image, cela revient à tuer la poule aux œufs d’or.

Si le FRR avait été alimenté comme prévu, il aurait atteint 150 milliards d’euros en 2020. Il aurait généré 76 milliards d’euros de gains entre 2010-2024 selon nos calculs, au lieu des 13 milliards de richesse créés. Lorsqu’on intègre 2024, la création de richesse aurait été de 86 milliards, au lieu de 14 milliards constatés.

D’où notre préconisation de réalimenter le FRR, quitte à financer sa montée en puissance par endettement, à l’image d’un projet allemand récent[10] ou de ce qui se fait en Espagne pour réalimenter l’équivalent du FRR[11].

Dans une publication récente , vous écrivez : « Certains spécialistes appellent fréquemment à l’absorption par la sécurité sociale des complémentaires santé de droit privé au motif que ces dernières auraient des frais de fonctionnement supérieurs à ceux du régime général. Cette approche est viciée. D’une part, les vrais coûts de gestion de l’assurance maladie publique sont artificiellement sous évalués. Ils excluent notamment la charge de la dette (4,7 milliards d’euros en 2023 pour l’essentiel liés à la maladie) et, d’autre part, ne tiennent pas compte des dynamiques de long terme. ». Toutefois, dans le cas du financement de la santé, il y a 7 milliards d’euros de dépenses excédentaires par rapport aux autres pays OCDE liés notamment à des doublons de coûts de gestion suscités par le cofinancement de la quasi-totalité des prestations. 

Comparer les frais de gestion sans prendre en compte le service rendu n’a pas de sens d’un point de vue économique.

Si l’on compare les frais de gestion en Europe, la Grande Bretagne est l’endroit où ils sont les plus faibles (65€/par personne). Mais cela ne vous dit rien sur le caractère médiocre du service rendu par le NHS, en particulier l’ampleur des files d’attentes et le coût économique et social que représente les prises en charges tardives.

Si le calcul des frais intégrait le coût collectif de la « non qualité », la vision serait radicalement différente. La gestion centralisée par le NHS ne serait pas nécessairement la moins coûteuse, bien au contraire.

Les frais de gestion associés à la maladie représentent au total 215 euros en France par personne (régime général + complémentaire). Ils sont dans la moyenne des pays qui nous entourent (244€ Suisse, 227€ en Allemagne, 167€ Pays-Bas, 141€ en Belgique[12]).

La progression de ces frais de gestion est contenue, avec en moyenne +0,1 % par an depuis 2012 en France. C’est un des taux de progression les plus faibles de l’UE avec les Pays-Bas (+0,3 % par an). Partout ailleurs, les frais augmentent plus vite (Autriche +0,8 % ; Belgique +1 % ; Allemagne +1,2 % ; Espagne +1,2 % ; Italie +1,5 % ; Danemark +2,1 % ; Suisse +2,3 % ; Irlande +3,4 % et même Suède +3,7 %).

Par ailleurs, le calcul des frais de gestion est sujet à caution. Si tous les coûts sont pris en compte s’agissant des complémentaires santé (et notamment leurs frais de commercialisation), ce n’est pas le cas pour la sécurité sociale. Par exemple, sa branche maladie est une source significative de déficits (elle représente 74 % du déficit du régime général de la sécurité sociale hors FSV depuis 1977) avec à la clef une charge de la dette de l’ordre de 2,5 milliards par an, charge non prise en compte dans le calcul des frais de gestion. Compter les frais de gestion du privé et oublier les charges d’intérêt liées à la gestion publique relève d’un biais.

Le vrai enjeu en France n’est pas la réduction des frais en santé, qui sont en ligne avec nos voisins, mais l’optimisation de la dépense en lien avec le développement de la prévention, de meilleurs parcours de soins et le déploiement des innovations permettant d’augmenter l’espérance de vie et les années en bonne santé au moindre coût. Cela passe notamment par un meilleur partage des données de santé, clef pour identifier les leviers. C’est un domaine sur lequel l’assurance maladie n’est pas en pointe, notamment parce que certains en son sein rêvent d’absorber les complémentaires pour créer une « grande sécu ». Ils oublient que dans un monde incertain, la diversité des acteurs est un atout pour faire émerger de meilleurs arrangements.

Notes

[1] Institut économique Molinari et CroissancePlus, « Pour une réforme des retraites qui réponde aux enjeux français – Compétitivité, emploi, innovation avec la capitalisation pour tous » (Paris, 5 septembre 2021), https://www.institutmolinari.org/wp-content/uploads/2021/09/etude-retraites-croissanceplus-molinari.pdf.

[2] Nicolas Marques, « Retraites, mécomptes et déficits publics » (Paris: Institut économique Molinari, juin 2024), https://www.institutmolinari.org/wp-content/uploads/2024/06/etude-retraites-mecomptes-et-deficits-publics2024.pdf.

[3] Nicolas Marques, « Provisionner pour économiser sans rogner les retraites, l’exemple du Sénat » (Paris: Institut économique Molinari, juin 2023), https://www.institutmolinari.org/wp-content/uploads/2023/06/etude-provisionnement-retraites-senat-2023.pdf.

[4] Nicolas Marques, « Provisionner les retraites des fonctionnaires pour restaurer les finances publiques » (Paris-Bruxelles: Institut économique Molinari, janvier 2025), https://www.institutmolinari.org/wp-content/uploads/2025/01/etude-provisionnement-fonctionnaires-2025.pdf.

[5] Nadine Collinot, Gonzague Debeugn, et Catherine Pollak, « Arrêts maladie : au-delà des effets de la crise sanitaire, une accélération depuis 2019 » (CNAM, DREES, 13 décembre 2024), https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/etudes-et-resultats/241211_ER_Arrets-Maladie.

[6] Ziyad Al-Aly et al., « Long COVID Science, Research and Policy », Nature Medicine 30, no 8 (août 2024): 2148‑64, https://doi.org/10.1038/s41591-024-03173-6.

[7] Institut économique Molinari, « L’incidence fiscale, cette grande oubliée » (Paris, 10 février 2021), https://www.institutmolinari.org/2021/02/10/lincidence-fiscale-cette-grande-oubliee/.

[8] Si une hausse des cotisations sociales employeurs pèse à court terme sur le coût du travail et la compétitivité, ce n’est pas le cas à long terme (la baisse de l’activité économique et la hausse du chômage tempèrent suffisamment les salaires pour gommer l’effet court terme).

[9] Marques, « Provisionner les retraites des fonctionnaires pour restaurer les finances publiques ».

[10] En Allemagne, Christian Lindner, ministre fédéral des Finances dans le cabinet d’Olaf Scholz de 2021 à 2024, a défendu jusqu’à son départ la création d’un fonds souverain dédié aux retraites. Il était prévu que ce fonds, dénommé Generationenkapital, soit alimenté par l’Etat fédéral par des prêts financés par des émissions de dette à hauteur de 366 milliards d’euros sur la période 2024-2045. A partir de 2036, l’objectif était d’apporter 10 milliards d’euros chaque année pour compléter le financement des retraites par répartition. A ce stade, ce projet et la réforme des retraites dans laquelle il est inclus sont stoppés suite à la rupture de la coalition tricolore allemande. Voir par exemple Jan Hildebrand et Frank Specht, « Sozialpolitik: Experten warnen vor Rentenpaket der Ampel », octobre 2024, https://www.handelsblatt.com/politik/deutschland/sozialpolitik-experten-warnen-vor-rentenpaket-der-ampel/100077173.html, consulté le 8 novembre 2024.

[11] Emilio Sánchez Hidalgo, « La OCDE señala la escasez de la hucha de las pensiones de España: solo representa el 0,4% del PIB », décembre 2024, https://elpais.com/economia/2024-12-02/la-ocde-senala-la-escasez-de-la-hucha-de-las-pensiones-de-espana-solo-representa-el-04-del-pib.html, consulté le 4 décembre 2024

[12] Calculs d’après OCDE : Euros, par personne, PPA convertis, Prix courants

Nicolas Marques

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