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La dette, un risque pour la souveraineté et la cohésion

L’envol ininterrompu de la dette publique, au-delà de choix politiques hasardeux, est une conséquence de la fin du baby-boom. Ce fut une parenthèse démographique favorable à des politiques publiques visant à financer un haut niveau de protection sociale par des prélèvements sur le travail. Nicolas Marques analyse l’évolution à long terme de la dette publique depuis 1950.

Fin 2024, la dette des administrations publiques françaises représente 113 % du PIB ou 50 000 euros par habitant. Depuis 1969, la dette a été multipliée par huit en pourcentage du PIB.

Beaucoup l’ont oublié, mais à la fin des « trente glorieuses », la France avait des finances publiques parmi les plus saines d’Europe. C’était le fruit de leur remise en ordre orchestrée par le Général de Gaulle. Les plans Pinay-Rueff de 1958 (retour à l’équilibre) et Rueff-Armand de 1960 (préparation au marché commun européen) avaient permis d’amplifier les effets de la croissance démographique et économique d’après-guerre. En 1969, lorsque le Général de Gaulle démissionne, la dette publique n’était plus un sujet (15 % du PIB). Sous les présidences de Charles de Gaulle, de Georges Pompidou puis de Valery Giscard d’Estaing, le budget était excédentaire 70 % du temps, performance inédite depuis la période 1895-1913.

En 1980, la France restait un pays bien géré avec une dette représentant 21 % du PIB mais à partir de cette date, les comptes n’ont plus jamais été équilibrés et les finances publiques ont dérivé de façon incontrôlée. C’est au départ la conséquence de l’arrivée au pouvoir de la gauche avec la multiplication de mesures dispendieuses (nationalisations, réduction du temps de travail, retraite à 60 ans…) et un triplement de la dette publique, qui passe de 5 800 euros d’aujourd’hui à 19 300 euros par habitant. Durant les deux septennats de François Mitterrand, la dette publique rapportée au PIB progressera de 6,6 % par an, soit à un rythme deux fois plus rapide que sous tous les autres Présidents qui suivront (2,7 % par an).

Mais, l’envol ininterrompu de la dette publique, au-delà de choix politiques hasardeux, est une conséquence de la fin du baby-boom, parenthèse démographique favorable à des politiques publiques visant à financer un haut niveau de protection sociale par des prélèvements sur le travail. En France, les retraites représentent 25 % des dépenses publiques, 45 % de la hausse des dépenses publiques depuis la fin du baby-boom, et sont financées quasi exclusivement par des cotisations sur les actifs selon une logique de répartition ou par des impôts. Les retraites représentent une dette à l’égard des retraités et futurs retraités de l’ordre de 400 % du PIB. Cette promesse – qui équivaut à 175 000 euros par habitant – n’est pas intégrée dans le calcul de dette publique, dans la mesure où les promesses de retraite ne sont pas contractuelles et peuvent être révisées à la baisse.

Cette dette implicite a contribué à déstabiliser profondément les finances de l’État depuis la fin du baby-boom par deux canaux. Dans le secteur privé, la diminution du nombre de personnes en emploi par rapport au nombre de retraités a conduit à l’envol des cotisations sociales, ce qui a nui à la compétitivité des entreprises et au pouvoir d’achat des salariés. Ces effets pervers ont, en partie, été contrebalancés par la mise en place d’allégements de charges – que certains présentent de façon biaisée comme des « aides aux entreprises » – ce qui a creusé le déficit de l’État. Par ailleurs, l’État, en tant qu’employeur, paie les retraites de ses anciens fonctionnaires via le budget. Cette dépense a triplé entre 1977 (22 milliards d’aujourd’hui) et 2024 (66 milliards). Cela a creusé le déficit structurel, dégradé le rapport qualité prix des services que l’administration rend aux contribuables et nuit à l’attractivité de la fonction publique.

La charge de la dette visible a été contenue grâce à des taux d’intérêts négatifs pendant plusieurs années, mais c’est de moins en moins vrai. Elle représentait 63 milliards d’euros ou 2,2 % du PIB en 2024, soit quasiment autant que la charge liée aux retraites des fonctionnaires d’État (66 milliards ou 2,3 % du PIB). Ces deux dettes, explicite et implicite, expliquent les trois quarts du déficit public de 2024 (170 milliards ou 5,8 % du PIB).

Jusqu’à présent, ce fragile château de cartes tient. Les institutions financières ont besoin de dettes publiques et la dette française est un produit recherché. Pour autant, notre surendettement produit des effets délétères. Il stérilise notamment l’épargne des Français, qui est mise à contribution pour financer des dépenses courantes, et manque pour financer les investissements longs nécessaires à la préservation de la création de richesses, d’où le déclassement de la France mais aussi de l’Europe en croissance et en innovation par rapport au reste du monde.

De Gaulle considérait à juste titre que « Nous ne pouvons avoir une politique indépendante et une défense indépendante, si nous n’avons pas une économie indépendante et des finances saines. C’est la condition sine qua non de l’indépendance nationale ». Cinquante-cinq ans après sa mort, alors que l’endettement a été multiplié par huit, ce propos est plus que jamais actuel. L’excès de dette publique insuffisamment productive, bien plus qu’un sujet financier, est une épée de Damoclès pour la France, un risque pour sa souveraineté comme sa cohésion sociale.

 

Nicolas Marques

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