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Les engagements retraite hors bilan creusent les déficits

La dette publique ne tient pas compte de tous les engagements donnés par l’État. Il faut aussi prendre en compte la dette hors bilan, qui passe généralement bien en-dessous des radars politiques et médiatiques. Nicolas Marques répond aux questions d’Atlantico.

Atlantico : La dette française, ainsi qu’officiellement comptabilisée par l’Insee, reflète-t-elle systématiquement l’intégralité des dépenses et des emprunts ? Que peut-on dire des éventuels risques non comptabilisés que court notre économie ou les engagements hors-bilan ?

Nicolas Marques : La dette publique ne tient pas compte de tous les engagements donnés par l’Etat. Ce n’est pas en soi une anomalie, sauf dans le cadre des retraites des fonctionnaires. Le dernier compte général de l’Etat intègre 2 200 milliards d’euros d’engagements hors bilan pouvant donner lieu à une implication indirecte de l’Etat. L’Etat garantit, par exemple, les livrets d’épargne réglementés soit 560 milliards d’euros d’engagements hors bilan, apporte 126 milliards de garantie au mécanisme européen de stabilité (MES), garantit 75 milliards d’euros de prêts au titre des PGE, pourrait en théorie être engagé pour le même montant vis-à-vis du plan de relance européen, soutient le commerce extérieur à hauteur de 60 milliards, garantit la dette de l’Unedic à hauteur de 52 milliards… Ces engagements hétéroclites ne sont pas considérés comme des dettes car il serait nécessaire que se produise toute une série d’événements spécifiques pour que les finances publiques soient mises à contribution. Il n’y a là aucune anomalie, même si les montants en jeu – 84% du PIB – interpellent. En comptabilité privée comme publique, ce type d’engagement incertain n’est pas considéré comme une dette. L’usage est de ne pas prendre en compte les passifs éventuels, non avérés et réalisés, au bilan.

En revanche, on trouve dans le hors bilan de l’Etat une dépense quasi certaine liée aux retraites que l’Etat s’est engagé à verser à ses personnels. Fin 2022, les engagements de retraite de l’Etat vis-à-vis des fonctionnaires civils et militaires représentaient 1 683 milliards d’euros, soit 65% du PIB. En Europe, ces engagements retraite ne sont pas comptabilisés dans la dette publique, ce qui constitue une particularité. Dans toute une série de pays de l’OCDE, les administrations intègrent les promesses retraites faites à leurs personnels dans le calcul de leur dette et, dans le monde entier, les entreprises font de même. Si les administrations publiques étaient soumises aux normes comptables IFRS qui s’appliquent aux entreprises, la dette publique française aurait été fin 2022 de l’ordre de 180 % du PIB, bien au-delà des 114 % publiés par l’INSEE. En effet, les normes IFRS obligent les entreprises à enregistrer à leur passif la valeur des promesses retraite faites à leurs personnels et anciens personnels, alors que la définition de la dette « Maastricht » exclut ce type d’engagement.

La dette hors bilan est souvent utilisée comme une forme de placard financier pour les engagements de l’Etat. Dans quelle mesure est-ce que cette gestion peut-elle s’avérer opaque ? Cela la rend-il plus dangereuse que la dette « budgétisée » ?

Nicolas Marques : Le hors bilan gagnerait à être mieux contrôlé par le parlement pour éviter que le gouvernement y glisse des engagements qui mériteraient d’être mieux contrôlés, voire provisionnés. La pratique qui consiste à ne pas prendre en compte les promesses retraite faites aux fonctionnaires dans le calcul de la dette est éminemment questionnable, même si elle est conforme aux règles de la comptabilité publique européenne. Les retraites des personnels de l’Etat s’assimilent, en effet, à des promesses quasi certaines en France. Elles ne relèvent pas de la répartition, qui est l’apanage du secteur privé, et ne sont pas assorties de mécanismes d’équilibrage comptable. L’Etat n’a pas de caisse de retraite proprement dit, n’a pas des mécanismes d’ajustement des dépenses aux recettes ni de réserves, contrairement aux institutions de retraite du secteur privé bien gérées, comme l’Agirc-Arrco ou la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens. Il s’est engagé à servir des retraites à ses personnels en puisant dans le budget. Les engagements de retraite de l’Etat à l’égard de ses personnels sont donc une quasi dette. Les prendre en compte dans le calcul de la dette publique ferait sens. Les chiffres de dettes publiques d’une partie des pays de l’OCDE – tels les Etats-Unis ou le Canada – intègrent d’ailleurs les promesses de retraites faites aux employés publics.

Atlantico : Le principe même de dette hors-bilan ne pose-t-il pas de vraies questions politiques en matière de sincérité des budgets ? Dans quelle mesure la question qui se pose devient-elle alors également démocratique ?

Nicolas Marques : La pratique visant à repousser dans le hors bilan des dépenses quasi certaine pose effectivement un problème de transparence, brouille la perception des enjeux financiers et retarde la remise en ordre des finances publiques. Ne pas prendre en compte les promesses retraite faites par l’Etat à ses personnels fausse la lisibilité des finances publiques françaises et ne rend pas service. Peu de monde comprend que le déséquilibre systématique des comptes publics est en grande partie la conséquence du vieillissement et, en particulier, de l’absence de provisionnement des retraites des fonctionnaires, car cet aspect relève du hors bilan. Dans une étude récente, nous avons montré que le déséquilibre lié aux retraites des fonctionnaires représente 2 % du PIB par an en moyenne depuis 2002, si l’on prend comme référence le taux de cotisation retraite du secteur privé. Le caractère systématique des déficits publics est en grande partie la conséquence d’une mauvaise de gestion du hors bilan en France. Tant que ce constat ne sera pas fait, il n’y aura pas de remise en ordre structurelle des finances publiques.

Atlantico : Le Sénat organisait récemment un contrôle au ministère de l’Economie au sujet de la dette hors bilan et, d’une façon générale, du déficit de la France. De telles opérations doivent-elles voir le jour plus souvent ?

Nicolas Marques : Comme le disait Henri Poincaré, « un problème bien posé est un problème à moitié résolu ». Identifier les engagements, même s’ils sont hors bilan, aiderait à remettre en ordre les finances publiques. Le Sénat a raison d’exiger plus de transparence. Non seulement, il est dans son rôle de contrôle du gouvernement, mais la pratique de la haute assemblée montre que gérer de façon responsable le hors bilan permet de générer des économies massives. A titre d’illustration, le Sénat a capitalisé 1,6 milliard d’euros sur les marchés financiers pour éviter que la charge liée aux retraites de ses anciens fonctionnaires et élus repose intégralement sur les contribuables. Dans une étude récente, nous avons montré que si l’Etat avait provisionné ses retraites comme le Sénat, il économiserait 29 milliards d’euros par an et son déficit aurait été réduit en moyenne de 30 % par an depuis 2008. Un levier bien plus puissant que les propositions d’économies mises en avant par le gouvernement qui – pour l’essentiel – sont des économies de façade.

Nicolas Marques

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