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En 2023, le salarié moyen était taxé à 54 % en France, la conséquence d’un vieillissement mal géré

Dans cette analyse publiée dans le numéro d’hiver de la Revue Politique et Parlementaire, Nicolas Marques met en perspective vieillissement et montée de la pression fiscale et sociale. 

La pression sociale et fiscale est traditionnellement mesurée de façon macroéconomique, en rapportant le poids des prélèvements obligatoires au Produit intérieur brut (PIB). Cette mesure a l’avantage d’être un standard, mais elle agrège des fiscalités ciblant des entreprises et des ménages, ce qui la rend peu explicite pour la majorité de nos concitoyens. Pourtant, in fine, la fiscalité est toujours supportée par des personnes en chair et en os, l’incidence des taxes étant répercutée sur les consommateurs, salariés ou épargnants. En matière de fiscalité, la diversité règne et les biais cognitifs sont légion. Ceux qui paient peu d’impôt sur le revenu ont l’impression de contribuer peu aux charges communes, sans réaliser que cet impôt représente une petite partie des prélèvements obligatoires. De même, ceux qui paient beaucoup d’impôt sur le revenu ont tendance à se focaliser sur ce dernier, en occultant les cotisations sociales.

Pour éviter ces travers, l’Institut économique Molinari publie chaque année avec EY un baromètre de la fiscalité des salariés moyens dans les pays de l’Union européenne depuis 14 ans[1]. Cet indicateur permet de mesurer le coût réel des services publics et de la protection sociale pour un salarié moyen célibataire, sans enfant. La pression fiscale et sociale est calculée en agrégeant les prélèvements obligatoires ciblant les salaires (cotisations patronales et salariales, impôt sur le revenu) et la consommation (TVA). Ces prélèvements sont rapportés au coût employeur ou « salaire complet », c’est-à-dire la somme des coûts que supportent les employeurs au titre d’un salarié moyen.

Sans être exhaustif – faute de prendre en compte les fiscalités particulières liées à certaines consommations (carburants, tabac…) ou aux fiscalités locales déconnectées des revenus – cet indicateur offre une vision robuste des prélèvements obligatoires sur les classes moyennes. Il est plus complet que celui de l’OCDE (Taxing Wages) qui exclut certaines contributions finançant la protection sociale, telles les cotisations obligatoires aux assurance santé privées ou aux fonds de pension. Ce type d’omissions fausse la comparaison avec d’autres pays, en y réduisant artificiellement le poids des prélèvements obligatoires.

La contribution fiscale et sociale sur un salarié moyen ressort à 54,1 % en France en 2023. Le salarié moyen coûte 57 145 euros à son employeur et dispose de 26 243 euros de pouvoir d’achat net de charges et impôts. Les prélèvements – 30 902 euros – se décomposent en 17 174 euros de cotisations sociales patronales, 9 491 euros de cotisations sociales salariales, 2 413 euros d’impôt sur le revenu et 1 824 euros de TVA.

En 2023, la France est 1ère sur le podium de la fiscalité pesant sur les salariés moyens, devant la Belgique (53,5 %) et l’Autriche (53,4 %). L’Allemagne était 4ème (50,9 %) et l’Italie 5ème (50,4 %). Dans le reste des pays de l’Union européenne, la fiscalité sur un salarié moyen représente moins de la moitié des sommes déboursées par l’employeur.

Ces taux individuels de pression fiscale et sociale sont bien supérieurs aux prélèvements obligatoires globaux. Ils étaient en moyenne, tous agents économiques confondus, à 45,2 % du PIB en 2021 en France, 43,5 % en Autriche, 43,3 % en Italie, 42 % en Belgique ou 39,5 % en Allemagne.

L’importance de la fiscalité française est liée aux cotisations sociales patronales et salariales. Elles représentent 26 665 euros, soit légèrement plus que le revenu disponible (26 243 euros). La France est la championne des cotisations sociales en 2023. Elles représentent pour un salarié moyen 101 % du revenu disponible, contre 50 % en moyenne dans l’UE.

Pour certains, c’est la marque d’une protection sociale plus développée, avec une meilleure couverture vis-à-vis des risques quotidiens et des retraites plus attrayantes. A les entendre, les cotisations sociales financeraient en France « un salaire différé » plus généreux qu’ailleurs. Cette idée doit être sérieusement relativisée, voire écartée. Le pouvoir d’achat du salarié moyen français est significativement plus contraint que dans les pays de tradition beveridgienne (Royaume-Uni et Irlande), mais aussi que dans les pays du Nord à forte tradition sociale (Danemark, Finlande, Suède …). Pour un même coût employeur, le salarié moyen français touche 15 à 28 % de salaire net en moins que les Suédois ou Finlandais. Pour autant, ces salariés bénéficient eux-aussi de protections sociale significatives. Si les prestations de protection sociale rapportées au PIB sont plus élevées en France (33 %), l’écart est faible avec l’Italie et l’Autriche (32 %), l’Allemagne ou la Finlande (31 %). Lorsqu’on raisonne en dépense de protection sociale par habitant, la France n’est que 9ème sur 27 dans l’UE. Les dépenses de protection sociale sont plus fortes au Danemark (17 200 euros par habitant), en Allemagne, Autriche Finlande, Suède et aux Pays Bas (autour de 14 000 euros), en Belgique (12 500 euros) que dans l’Hexagone (12 300 euros)[2].

Surtout, l’idée que les cotisations retraite sont un « salaire différé »[3] est une représentation qui ignore la situation française. Dans l’Hexagone, les retraites sont quasi exclusivement financées en répartition, la capitalisation représentant seulement 2,3 % des pensions versées en 2021[4]. Or, dans un système par répartition, le lien entre la cotisation et la pension future n’est pas linéaire. Les cotisations retraite ne sont pas placées, mais servent à payer les pensions des retraités du moment.

Avec la baisse de la natalité, le taux de rendement interne (TRI) des cotisations retraite a chuté. Il était de 9 % pour la génération née en 1920, majoritairement décédée. A ce stade, le retraité moyen né en 1950, bénéficie d’un rendement de l’ordre de 2,5 % lorsqu’on calcule le retour sur investissement des cotisations qui ont été prélevées sur son travail (24 % du salaire brut en moyenne). Les cotisations retraite représentent aujourd’hui 28 % du salaire brut – soit 10 700 euros pour un salarié moyen – et leur rendement sera proche de 2 %. Il sera nettement moins élevé que chez nos voisins ayant développé des capitalisations collectives en complément de la répartition.

Les pays de l’OCDE disposaient fin 2022 de 81 % du PIB placé pour financer les retraites, contre à peine 8 % en France. Compte tenu du rendement de l’épargne retraite (4 % par an sur la longue période), l’épargne retraite leur rapporte plus de 3 % du PIB par an grâce aux dividendes et plus-values. Cela leur permet de financer une partie des pensions sans faire appel aux prélèvements obligatoires, ce qui préserve la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des salariés. C’est ainsi que les Néerlandais arrivent à financer des retraites particulièrement généreuses avec des cotisations retraite moindres. Leur taux de remplacement sera de 89 % selon l’OCDE, contre 74 % en France, alors que leurs cotisations retraite représentent 25 % du salaire brut, contre 28 % en France. D’un point de vue économique, le surcoût lié au sous-développement de l’épargne retraite en France représente une « taxe implicite » de 6 points de salaire brut ou de 1 700 euros net par an[5].

L’importance des cotisations sociales génère des tensions avec, d’une part, des employeurs inquiets de l’envolée du coût du travail depuis des années et, d’autre part, des salariés ayant parfois l’impression d’être mal rémunérés. Les employeurs raisonnent en salaire complet, en ajoutant les charges patronales au salaire brut, alors que les salariés raisonnent en pouvoir d’achat réel. Les premiers constatent qu’ils dépensent plus qu’ailleurs pour leurs employés, tandis que ces derniers considèrent souvent ne pas être récompensés à la hauteur de leur contribution. D’où l’impression que le travail ne paie pas assez et la persistance d’interrogations sur le partage de la valeur ajoutée, alors que les indicateurs montrent qu’il est particulièrement favorable aux salariés et aux régimes de protection sociale en France.

En haut de la chaîne, la surfiscalité contribue au départ de salariés. Le développement de l’emploi frontalier est asymétrique, avec des déséquilibres majeurs. Selon l’Insee, plus de 420 000 personnes résidaient en France et travaillent à l’étranger en 2018[6], alors que les habitants des pays limitrophes étaient bien moins nombreux à venir travailler dans l’Hexagone (quelques dizaines de milliers). Selon la Banque de France, les résidents ont cherché hors de France 32 milliards d’euros de rémunération en 2022[7]. Dans le sens inverse, les résidents à l’étranger sont allés chercher à peine 1,5 milliard de rémunération dans l’Hexagone, soit 21 fois moins. Par ailleurs, la France aurait 2,9 millions d’expatriés, un chiffre équivalent à celui des Etats-Unis, 5 fois plus peuplés.

En bas de la chaîne, l’importance de la fiscalité française transitant par les salaires contribue à la persistance d’un chômage particulièrement élevé par rapport à nos voisins, avec 7,3 % de chômage en septembre 2023, contre 6 % en moyenne dans l’Union européenne.

Pour contrebalancer les effets délétères de cette surfiscalité, des mécanismes de réduction de charges patronales ont été mis en place. Ils sont parfois présentés comme des « aides aux entreprises », ce qu’ils ne sont pas. D’un point de vue économique, les cotisations « patronales » comme « salariales » sont acquittées par l’employeur au titre de l’activité du salarié. Financées grâce à la création de richesse opérée par les salariés, elles augmentent le coût employeur et réduisent le salaire net. Réduire les cotisations patronales est une démarche qui profite aux salariés qui échappent au chômage ou bénéficient d’augmentations de salaire plus attrayantes. Ajoutons que l’analyse économique montre que les baisses de fiscalité ne ciblant pas la masse salariale sont, elles aussi, susceptibles d’améliorer la situation des salariés. Ils supportent souvent, par ricochet, une part significative des impôts de production ou sur les bénéfices. Lorsque les entreprises n’arrivent pas à reporter ces fiscalités sur leurs consommateurs ou leurs actionnaires, ces impôts riment avec moins d’embauches ou d’augmentations de salaires. Dans la lignée des écrits de l’économiste Arnold Harberger[8], un grand nombre de travaux quantifient l’incidence des impôts sur les sociétés sur les rémunérations. Une analyse de référence de Fuest et al. estime par exemple que 51 % de la charge d’impôt des sociétés est transférée sur les salariés[9].

Il y a quelques mois, Gabriel Attal soulignait que « l’enjeu est de permettre aux classes moyennes de mieux vivre de leur travail » d’où l’importance de nouvelles baisses d’impôt. Les chiffres lui donnent raison. Pour autant, il est à craindre que les baisses d’impôt qu’il appelle de ses vœux restent limitées, faute de réformes structurelles.

Pour limiter les prélèvements sans rogner les prestations collectives ou creuser les déficits, il faudrait financer une partie des retraites – qui représentent la première des dépenses publiques – grâce à des capitalisations collectives, à l’image que ce que font les pharmaciens (CAVP) ou le Sénat. Cela permettrait, par ailleurs, d’associer encore plus les salariés au partage des profits, comme l’appelait de ses vœux Jean Jaurès, il y a plus d’un siècle. Cela aiderait aussi nos entreprises à financer leurs investissements dans la transition énergétique et dans les technologies de rupture en général. Mais dans une France éreintée par une énième réforme paramétrique des retraites, ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Ce n’est sans doute que partie remise car les capitalisations collectives sont clefs pour le partage des profits et la réduction des inégalités patrimoniales, la compétitivité et le pouvoir d’achat, le financement des innovations et la souveraineté.

[1] Marques, N., Philippe, C. et Rogers, J. (2023). La pression sociale et fiscale réelle du salarié moyen au sein de l’UE en 2023 (p. 46). Paris-Bruxelles : Institut économique Molinari. Repéré à https://www.institutmolinari.org/wp-content/uploads/2023/07/etude-fardeau-fiscal-eu-2023.pdf

[2] Eurostat (2023, 30 octobre). Dépenses de protection sociale : principaux résultats [spr_exp_sum], données au titre de 2021.

[3] Palier, B. (2007). Du salaire différé aux charges sociales : les avatars du financement de la protection sociale. Regards croisés sur l’économie, 1(1), 174‑181. doi:10.3917/rce.001.0174

[4] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. (2023). Les retraités et les retraites – édition 2023 (p. 252). Paris. Repéré à https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference/panoramas-de-la-drees/les-retraites-et-les-retraites-edition-0

[5] Philippe, C., Bénard, V. et Marques, N. (2022). A la recherche du pouvoir d’achat perdu. Quand des politiques publiques nuisent au pouvoir d’achat (p. 56). Paris : Institut économique Molinari. Repéré à https://www.institutmolinari.org/wp-content/uploads/2022/12/etude-pouvoir-achat-perdu-fr.pdf

[6] Debouzy, I. et Reffet-Rochas. (2022). Travailleurs frontaliers : six profils de « navetteurs » vers la Suisse – Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes – 145 (p. 4). Paris : Insee. Repéré à https://www.insee.fr/fr/statistiques/6444379

[7] Banque de France. (2023). La balance des paiements et la position extérieure de la France – Rapport annuel 2022 (p. 38). Paris. Repéré à https://www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2023/07/20/bdp_2022_ra.pdf

[8] Harberger, A. C. (1962). The Incidence of the Corporation Income Tax. The Journal of Political Economy, 70(3), pages 215‑240.

[9] Fuest, C., Peichl, A. et Siegloch, S. (2017). Do Higher Corporate Taxes Reduce Wages? Micro Evidence from Germany ( [Ifo Working Papers] no 241) (p. 86). Leibniz Institute for Economic Research at the University of Munich. Repéré à https://www.ifo.de/DocDL/wp-2017-241-fuest-peichl-siegloch-corporate-taxes.pdf

Nicolas Marques

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