Retraites, vers l’indispensable transparence
Texte d’opinion par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans La Revue Politique et Parlementaire.
Quelle est l’ampleur du déficit des retraites en France? La question est simple et y répondre aurait dû l’être tout autant depuis 20 ans. Pour beaucoup, la réponse à cette question se trouve dans le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR). Mais ce n’est pas le cas, ce dernier minore le besoin de financement dans des proportions très significatives.
Selon le COR, le besoin de financement lié aux retraites a été en moyenne en France de 0,14 % du PIB par an depuis 2002. Dans le même temps, l’INSEE atteste que le déficit public a été en moyenne de 4,30 % du PIB par an. La juxtaposition de ces deux chiffres peut laisser croire que les retraites ont un impact marginal sur le déficit public. Un lecteur non averti pourrait en déduire qu’elles expliquent seulement 1/31ème des déficits observés depuis 2002, un ratio dont la petitesse est de nature à légitimer les discours récurrents insistant sur le caractère résiduel des déficits et l’inutilité des réformes.
Une mesure du déficit inopérante
Mais est-ce réaliste de penser que les retraites – qui représentent 23 % des dépenses publiques depuis 2002 – ont une contribution d’à peine 1/31ème au déficit public ? Depuis plusieurs mois, plusieurs travaux indépendants ou officiels montrent que la réalité est bien différente. Comme nous le soulignons dans une étude récente, la non prise en compte des déséquilibres liés aux retraites financées en direct par l’Etat, en dehors de la répartition fausse les chiffres et la réalité.
Selon le COR, les besoins de financement liés aux retraites découlent du secteur privé. Ses chiffres montrent que les régimes de base des salariés et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) sont déficitaires en moyenne de 0,2 % par an depuis 2002. Ils montrent aussi que les retraites complémentaires des salariés et que les régimes des non-salariés sont à l’équilibre sur la longue période, ce qui est cohérent avec les comptes publiés par ces caisses de retraite.
Le COR considère, en revanche, que les retraites des fonctionnaires et régimes spéciaux sont à l’équilibre depuis 2002. Selon lui, le seul régime de retraite public à avoir été déficitaire dans les vingt dernières années est la CNRACL des agents des collectivités locales et des hôpitaux.
Il faut savoir que lors de la publication de son premier rapport en 2001, le Conseil a posé par « convention » qu’il n’y a pas de déséquilibre des retraites de l’Etat. Il a considéré que « C’est par convention que ces soldes sont nuls en 2000, en raison du choix retenu pour calculer les cotisations implicites employeur d’équilibre et les subventions ». Depuis, le COR a systématiquement omis de compter dans le déficit les retraites qu’il considère comme « équilibrées par l’Etat » au titre des fonctionnaires, ouvriers d’Etat ou des entreprises publiques (SNCF, RATP…).
Ce choix, économiquement discutable, a contribué, à rebours de la mission du Conseil, à occulter la réalité des déséquilibres liés aux retraites. Tout d’abord, l’Etat n’a pas le pouvoir de faire disparaitre les déséquilibres des régimes de retraite qu’il contrôle ou subventionne, faute d’arriver à équilibrer le budget. Le dernier équilibre des comptes de l’Etat et des administrations centrales remonte à 1980. Depuis, toutes les dépenses prises en charge par l’Etat – et notamment les pensions – sont en partie financées par le déficit et la dette. Lorsque le COR a posé par convention que l’Etat équilibrait le régime des fonctionnaires, la situation de ses finances publiques s’améliorait depuis 1993 et le Conseil pouvait croire que le retour à l’équilibre des comptes était à portée de main. Mais depuis le début des années 2000, les comptes se dégradent tendanciellement. Chaque année, 16 % des dépenses de l’Etat ne sont pas couverte par des recettes. Parmi les 2,6 % du PIB que l’Etat consacre aux retraites des fonctionnaires ou aux régimes spéciaux, 0,42 % du PIB sont financés par de la dette. Si le COR avait pris cette réalité en compte, il aurait extériorisé des besoins de financement 4 fois plus élevés que ce qui figure dans ses rapports depuis 2002.
Des déficits seize fois supérieurs aux calculs officiels
Dans la pratique, les déséquilibres liés aux retraites sont encore plus importants, ce qui là encore aurait dû conduire à l’abandon de la convention du COR déconnectée de la réalité. Dans les 20 dernières années, les dépenses de retraite de l’Etat sont passées de 1,7 % à 2,6 % du PIB par an. Les cotisations retraite nécessaires pour équilibrer théoriquement les retraites de l’Etat ont doublé. Elles sont passées de 42 % des traitements indiciaires des fonctionnaires civils en 2000 à 85 % depuis 2019. Cette progression a été sans rapport avec celle observée dans secteur privé, dont les cotisations retraites sont passées de 26 à 28 % des salaires bruts. Les surcotisations de l’Etat employeur par rapport aux salariés du privé ont quadruplé en 20 ans. Elles représentent 57 % des traitements des fonctionnaires civils depuis, contre 16 % en 2000. Le COR traite cette dérive comme une banale augmentation de cotisation, en refusant jusqu’à peu de considérer qu’il s’agissait d’une contribution d’équilibre comblant l’érosion accélérée du ratio cotisant/bénéficiaire de la fonction publique d’Etat. Avec 0,87 cotisant par retraité, il est impossible de financer des retraites attrayantes au jour le jour sans que cela ne génère des surcoûts massifs pour le budget.
Lorsqu’on complète le calcul du solde du COR avec les contributions et subventions d’équilibre (fonctionnaires, SNCF, RATP…), le déficit des retraites est 16 fois plus élevé de 2002 à 2022. Au lieu d’être de 0,14 % du PIB par an comme le suggère le COR, le déficit était de 2,13 % par an en moyenne. Les retraites ont représenté 49 % du déficit des administrations (4,31 % du PIB par an en moyenne depuis 2002), bien loin de l’image d’Epinal d’un sujet sous contrôle[i].
Plusieurs travaux récents arrivent à des conclusions proches de celles de l’Institut économique Molinari. Dans une note publiée en décembre 2022, le Haut-Commissariat au Plan soulignait que lorsqu’il est affirmé que nos régimes de retraites sont « en excédent », il s’agit « uniquement d’un constat partiel » excluant notamment les régimes de la fonction publique[ii]. Dans un article publié en 2023 dans la revue Commentaire, Jean Pascal Beaufret, ancien haut fonctionnaire, montre que les retraites contribuent à plus de la moitié des déficits publics sur la période 2017-2021[iii].
Face au débat qui s’installe, le COR a commencé à bouger. Il a notamment accepté de faire évoluer sa présentation, en affichant les contributions d’équilibres de l’Etat au titre de ses fonctionnaires.
Pour autant, le Conseil n’a toujours pas révisé son mode de calcul des déficits, pour intégrer les contributions et subventions d’équilibre liées aux régimes de retraite de la fonction publique. Il est important qu’il le fasse pour la transparence et le débat.
Le mode de calcul arbitraire des déséquilibres du COR contribue, en effet, à masquer l’envol des dépenses liées au vieillissement et son impact sur les finances publiques. Le caractère structurel des déficits n’est pas lié à la répartition, mais à l’imprévoyance de l’Etat employeur. Il a démantelé ses caisses de retraites au 19ème siècle et promis aux fonctionnaires des retraites à prestations définies, sans provisionner et se soucier des effets du vieillissement. Depuis la fin du baby-boom, les comptes de l’Etat paient cette erreur, sous la forme de déficits structurels. Les pouvoir publics passent beaucoup de temps à chercher des économies – en s’attaquant aux dépenses courantes avec des revues de dépenses ayant des effets de moins en moins significatifs – tandis que les déficits se creusent tendanciellement en raison des dépenses contraintes que constituent les retraites.
Une détérioration du rapport coût/qualité des services publics
Outre les finances publiques, la qualité des prestations collectives pâtit de l’imprévoyance de l’Etat. Les retraites absorbent une part de plus en plus importante des moyens budgétaires. Elles représentent, par exemple, 28 % des dépenses de l’Education nationale, le ministère le plus important. Les contribuables subissent cette évolution – sous la forme de prestations collectives ayant un moins bon rapport qualité prix – mais aussi les fonctionnaires. Les dépenses de pension de l’Etat employeur équivalaient à 73 % des rémunérations qu’il a versé en 2022, contre 52 % en 2006. L’argent qui finance les retraites n’est pas disponible pour augmenter les personnels ou créer des postes. Ce n’est pas un hasard si le point d’indice a été gelé pendant plusieurs les années ou si les effectifs de l’Etat ont stagné (+1 % entre 1996 et 2020, alors que ceux des collectivités et hôpitaux augmentaient de 49 % et ceux du privé de 20 %). Au-delà des gains de productivité et de la décentralisation, l’envol de la facture liée aux retraites a mécaniquement pesé.
Pendant plusieurs années, l’Etat a cherché à se défaire de ce problème en cherchant à mettre en œuvre un régime de retraite universel, réunissant public et privé. Ce projet visait à mettre un terme à la promesse de retraite à prestations définies faite aux fonctionnaires et à rétablir les finances de l’Etat. Cette démarche – qui avait déjà achoppé à la Libération – a suscité en 2020 de multiples oppositions. Les fonctionnaires avaient notamment conscience qu’un régime par répartition en points était synonyme de retraites moins attrayantes. Ils n’ont pas nécessairement tort, les projections du COR attestant d’une baisse significative du taux de remplacement des salariés du privé par rapport à la moyenne des actifs d’ici à 2070.
Depuis, l’Etat s’est rabattu sur une méthode traditionnelle, le recul de l’âge de la retraite. Cette démarche permet de réduire à la marge le besoin de financement. Mais, penser qu’elle résorbera les déséquilibres majeurs liés aux retraites relève d’une vue de l’esprit. Le problème de fond reste la démographie, incompatible avec des retraites généreuses financées exclusivement au jour le jour, par des prélèvements obligatoires.
Imiter les bonnes pratiques du public et du privé
Pour autant des solutions gagnant-gagnant existent. Un travail récent de l’Institut économique Molinari montre que provisionner les retraites du public permettrait de réaliser des économies sans rogner la promesse faite aux fonctionnaires[iv]. Pour des raisons historiques, cette méthode a été écartée dès 1853 par l’Etat, Napoléon III ayant pris l’habitude de financer les retraites des fonctionnaires au jour le jour, par l’intermédiaire du budget.
Mais plusieurs exemples du secteur public (Banque de France, Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique, Fonds de réserve pour les retraites, Sénat…) montrent qu’un recours accru à l’épargne retraite permet de réduire le coût associé aux retraites, sans rogner les pensions. Comme les versements des employeurs et des futurs bénéficiaires sont placés, et génèrent dividendes et plus-values, il est possible de financer des retraites attrayantes avec moins de prélèvements obligatoires.
L’Etat aurait intérêt à imiter le Sénat, qui économise 13 % de ses dépenses grâce à un fonctionnement mixte en capitalisation et répartition. Si les retraites de ses fonctionnaires étaient gérées comme au Sénat, l’Etat aurait économisé 433 milliards d’euros sur 15 ans et réduit son déficit de 30 %.
Il est temps de remettre au goût du jour le provisionnement dans le secteur public. C’est la seule façon d’honorer les promesses faites aux fonctionnaires, sans que cela soit un fardeau pour les comptes publics et les contribuables. Et dans le secteur privé, mixer répartition et capitalisation collective permettrait de d’amortir la baisse du taux de remplacement, comme l’illustre le succès de la CAVP des pharmaciens. Un Etat stratège devrait s’atteler à traiter les problèmes liés au vieillissement de façon structurelle, au lieu de tout miser sur l’augmentation de la durée du travail ou la baisse du taux remplacement.
Notes
[i] Marques, N. (2023). Retraites, mécomptes et déficits publics. Paris : Institut économique Molinari. Repéré à https://www.institutmolinari.org/wp-content/uploads/2023/06/etude-retraites-mecomptes-et-deficits-publics2023.pdf
[ii] Haut-Commissariat au Plan. (2022). Retraites : une base objective pour le débat civique (p. 24). Paris. Repéré à https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2022/12/hcp_note_retraites.pdf
[iii] Beaufret, J.-P. (2023). Retraites obligatoires et déficits publics. Commentaire, Eté 2023(182). Repéré à https://www.commentaire.fr/auteurs/jean-pascal-beaufret-4263. Lire aussi Dumas, J.-P. (2023, 19 mai). Budget retraite : une illusion d’équilibre, une réalité de dette. Contrepoints. Repéré à https://www.contrepoints.org/2023/05/19/456614-budget-retraite-une-illusion-dequilibre-une-realite-de-dette et Bouverin (pseudonyme), S. (2022). Pour une transparence des comptes et du financement des retraites. Risques, (132), 24‑32.
[iv] Marques, N. (2023). Provisionner pour économiser sans rogner les retraites, l’exemple du Sénat (p. 33). Paris : Institut économique Molinari. Repéré à https://www.institutmolinari.org/wp-content/uploads/2023/06/etude-provisionnement-retraites-senat-2023.pdf