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La réforme des retraites « va améliorer la situation à court terme » mais reste « insuffisante »

La réforme des retraites est nécessaire pour donner de l’oxygène aux comptes de la Caisse d’assurance vieillesse et soulager le budget de l’Etat. Mais elle est insuffisante pour faire perdurer le système par répartition et le financement des pensions des fonctionnaires, affirme l’économiste Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari. Entretien pour France 24.

Le gouvernement s’apprête à dévoiler, mardi 10 janvier, sa réforme explosive des retraites contre laquelle les syndicats prévoient déjà de manifester, ulcérés par le probable report de l’âge de départ à 64 ans et malgré des mesures d’accompagnement sur l’emploi des seniors ou la pénibilité.

Lors d’une conférence de presse, la Première ministre, Élisabeth Borne, pourrait, selon plusieurs de ses interlocuteurs, proposer un report de l’âge légal de départ à 64 ans, au lieu de 62 actuellement, après avoir envisagé 65 ans. Ce report serait associé à une accélération de l’allongement de la durée de cotisation, qui passerait à 43 ans avant l’horizon 2035 fixé par la réforme Touraine.

Le point de vue de l’économiste Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari.

France 24 : Réforme Balladur en 1993, Fillon en 2003, Woerth en 2010, Touraine en 2014… la France a connu ces 30 dernières années plusieurs grandes réformes des retraites censées sauver notre système par répartition. Pourquoi engager une nouvelle réforme en 2022 ?

Nicolas Marques : Le problème du système par répartition, où les pensions de retraites sont financées en temps réel par les cotisations des actifs, est qu’il est assis sur la natalité. Or, avec 1,8 enfant par femme, il n’est plus possible d’offrir des retraites attrayantes et comme il n’y a pas de réforme structurelle, on multiplie les réformes paramétriques. Depuis la fin de la parenthèse du baby boom au milieu des années 70, la France a de moins en moins d’actifs. Aujourd’hui, il n’y a plus que 1,7 cotisant pour 1 retraité, contre 4 dans les années 1950. On a donc du mal à équilibrer les comptes de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

Dans le public, le problème est différent : les retraites des fonctionnaires sont financées par le budget de l’État. Il n’y a donc ni répartition, ni mécanisme d’ajustement. Dans l’Éducation nationale, le financement des retraites accapare 28 % des ressources du ministère. Il est important de souligner que l’essentiel des déficits des retraites vient des fonctionnaires. On ne s’en rend pas compte car le Conseil d’orientation des retraites (COR) ne l’intègre pas dans ses calculs. Bilan, le déficit des retraites en France est en moyenne sous-évalué de 33 milliards par an depuis 20 ans.

Travailler plus longtemps est-il le seul levier pour rééquilibrer les comptes ?

Travailler plus longtemps apparaît comme le levier le moins douloureux pour faciliter le financement de la CNAV, car la France a déjà beaucoup augmenté les cotisations. Elles représentent 28 % du salaire brut d’un salarié du privé. Pour l’État, qui est systématiquement déficitaire depuis le contre-choc du baby boom, cela va aussi faciliter l’équation financière en ayant des fonctionnaires qui vont travailler un an de plus, pour un coût à peine supérieur à la retraite qui leur aurait été versée.

Au lieu de payer des anciens fonctionnaires à la retraite, l’État paiera un peu plus ces personnels en contrepartie de leur travail. La réforme va donc lui offrir des marges de manœuvre pour, soit améliorer la qualité des services publics si le rythme des embauches ne change pas, soit réduire les dépenses de personnel et faire des économies. C’est une réforme-clé pour l’État, incapable d’équilibrer ses comptes depuis plus de 40 ans.

Cette nouvelle réforme vous semble t-elle suffisante pour faire perdurer le système ?

Cette réforme va améliorer la situation à court terme, mais elle ne traite pas les problèmes structurels. Dans le privé, il y a d’abord un sujet autour de la baisse des taux de remplacement, c’est-à-dire le pourcentage du dernier revenu d’activité que vous conservez lorsque vous partez à la retraite. On estime que le pouvoir d’achat des retraités pourrait baisser de l’ordre de 20 % d’ici 2070 par rapport aux actifs.

Pour compenser cela, il faudrait introduire une dose de capitalisation collective pour épauler un système par répartition à la peine. Cela existe déjà dans la fonction publique avec le Régime additionnel de la fonction publique (RAFP). C’est un fonds de pension cogéré avec les partenaires sociaux qui a rapporté en moyenne 5,6 % par an depuis sa création. Sur le long terme, en mutualisant les bonnes années et les mauvaises années des placements en Bourse, la performance est bien meilleure qu’un dispositif par répartition. Le bon sens serait de créer un équivalent pour tous les salariés du privé. Les pharmaciens l’ont fait (CAVP) et cela permet d’avoir un régime plus robuste avec un meilleur rapport qualité-prix pour celui qui cotise.

Le deuxième problème c’est que le régime des fonctionnaires restera déséquilibré. Il faut donc commencer à provisionner les retraites des fonctionnaires en plaçant sur les marchés financiers. Cette méthode éprouvée permet à la Banque de France ou au Sénat d’économiser l’argent public depuis des décennies. Si l’État fait cela progressivement, il pourra payer dans 40 ans les pensions des agents qu’on embauche aujourd’hui. Cela permettra d’utiliser les gains liés au placement pour alléger la facture pour le contribuable et réduire les déficits publics, dont un tiers est dû à l’absence de provisionnement des retraites des fonctionnaires.

Nicolas Marques

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