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Entretien «La réforme des retraites passe à côté de l’essentiel»

Elisabeth Borne présentera le 10 janvier le projet de réforme des retraites. Avec les propositions actuelles, le gouvernement se donne un peu d’oxygène, estime Nicolas Marques, directeur de l’institut Molinari. Tout en dressant contre lui les syndicats. Et sans résoudre la question du poids du financement des retraites des fonctionnaires qui représentent 36 % des déficits publics depuis 2002, estime Nicolas Marques.

Il dénonce aussi la mauvaise gouvernance de l’État. « Le Fonds de réserve pour les retraites devrait pouvoir compter sur 150 milliards d’euros. C’est ce qu’anticipait Lionel Jospin pour 2020. Et aujourd’hui, il détient moins de 25 milliards parce que l’État ne l’a pas assez alimenté et l’a dépouillé de façon prématurée », rappelle-t-il.

Dans cette réforme des retraites, tout est-il sur la table ?

Non car cette réforme ne traite pas le sujet de fond qui est celui des conséquences de la baisse de la natalité dans un pays qui finance ses retraites au jour le jour. Travailler quelques trimestres de plus, c’est un sujet anecdotique par rapport aux problèmes auxquels on fait face. Cela ne résorbera pas significativement les déficits publics. Dans le privé, où les retraites complémentaires sont bien gérées, cela n’empêchera pas une baisse du taux de remplacement.

Qu’est-ce qui ne va pas ?

Le sujet des retraites est présenté de façon cacophonique. La natalité n’étant plus là, les retraites par répartition seront forcément moins attrayantes, même dans des régimes comme l’Agirc-Arrco. Cette caisse de retraite complémentaire des salariés du privé est très bien gérée. Avec son mécanisme en points, elle redistribue ce qu’elle collecte. Quand il y a moins de naissances, elle distribue des pensions complémentaires moins attrayantes. Toutes les caisses ont le même problème, à l’exception de la CAVP, les pharmaciens ayant eu la clairvoyance de généraliser une dose de capitalisation collective. Les fonctionnaires ne sont pas concernés par cet aspect car ils ne sont pas dans la répartition. En 1853, l’État a fermé les caisses des ministères et a choisi de s’appuyer sur le Budget pour les retraites des fonctionnaires. Il a fait une promesse à prestation définie. L’employeur État s’engage, quoi qu’il advienne, à servir une prestation exprimée en pourcentage du traitement indiciaire des six derniers mois. Les employés d’État sont protégés de la baisse de la natalité. Ils ne seront pas confrontés à la baisse du taux de remplacement du privé.

« Menaces sur le taux de remplacement »

Est-ce une vraie menace ?

La répartition redistribue ce qu’elle collecte. S’il y a moins d’actifs, il y a moins de cotisants. Et les retraites se dégradent. La réforme des retraites est une sorte de théâtre où on ne met pas les bons mots sur les bonnes choses. Cette baisse du taux de remplacement, personne n’en parle. C’est le vrai sujet. Emmanuel Macron et le gouvernement disent qu’ils vont sauver le régime par répartition. Mais l’enjeu est de sauver le pouvoir d’achat des futurs retraités. Mais ils ne le disent pas.

Pourquoi ?

Je ne sais pas. La répartition a un capital sympathie historique, notamment à gauche. De même, parler de la fin des régimes spéciaux permet de se positionner à droite. Le gouvernement fait une communication qui relève du saupoudrage politique, en espérant rassurer en même temps les uns et les autres.

Repousser l’âge de la retraite ne résout-il pas tout ?

Le fait de travailler plus longtemps permet de dégager des ressources supplémentaires, même si les syndicats disent que nous n’en avons pas besoin. Ces derniers sont capables de bien cogérer, comme on le voit avec l’Agirc-Arco. Mais la réforme est clef pour l’État employeur, qui s’est engagé vis-à-vis des fonctionnaires. La promesse des retraites pour ses personnels en activité ou en retraite représente 2 770 milliards d’euros. L’État a besoin de casser cette spirale car, à la différence d’autres institutions ou d’autres États, il n’a pas provisionné les retraites des fonctionnaires. En reculant l’âge de la retraite, il peut ainsi desserrer légèrement la contrainte qui pèse sur les finances de l’État. Des fonctionnaires qui travaillent plus longtemps, c’est moins de dépenses publiques et de déficits.

« Le poids des retraites des fonctionnaires dans le déficit »

Qu’est-ce que ces retraites de fonctionnaires représentent dans le déficit de l’État ?

Selon nos calculs, cela représente 36 % des déficits publics depuis 2002. Les retraites, c’est à peu près 60 milliards pour l’État chaque année. Cette question traverse l’histoire française. Jusqu’en 1853, il y avait des caisses de retraite dans les ministères. Dès 1825, Villèle (ministre sous la Restauration) avait commencé à vider certaines caisses notamment celles du ministère des Finances pour en récupérer les réserves et réduire les déficits. Sous Napoléon III, l’État a fermé toutes ces caisses ministérielles. Tous les ministres des Finances depuis s’interrogent sur les risques liés à ce choix. Mais sans prendre de décision. En 1945, on a failli revenir sur ce choix inconsidéré. L’idée était alors de créer une grande Sécurité sociale avec tous les régimes. Mais les fonctionnaires ont demandé à rester à part. Dans l’ordonnance de 1945, il y a la notion de régimes spéciaux. Et le premier d’entre eux, c’est l’État qui n’a jamais rejoint la répartition.

Est-ce ce une bombe à retardement dans un cadre financier aussi tendu pour les finances de l’État ?

Clairement oui. La bombe est dégoupillée depuis le contre-choc du baby-boom. On n’en parle jamais. L’État employeur a été doublement imprévoyant en France. Il aurait d’abord pu créer en son sein une gouvernance paritaire avec les organisations représentatives pour cogérer les retraites. Hormis l’ERAFP (retraites complémentaires des fonctionnaires), l’État n’a aucune structure de cogestion permettant d’arriver au moins mauvais accord. A contrario, l’Agirc-Arrco, qui réunit de la CGT au Medef, arrive à trouver des accords en bonne intelligence. L’État n’a, par ailleurs, jamais considéré l’enjeu finances publiques, alors que provisionner les capitaux permet de faire des économies. Il y a un défaut d’anticipation qui coûte cher. Si vous financez au jour le jour, comme le fait l’État, cela revient à trouver 60 milliards d’euros chaque année. Et comme on n’y arrive pas, on s’endette.

Est-ce qu’il y a un risque pour les retraites des fonctionnaires ?

Non, je pense qu’il n’y a aucun risque. L’État fera face à ses obligations. En revanche, ce sont les finances publiques qui prennent le choc. Un tiers du déficit depuis 2002 est lié aux retraites des fonctionnaires. On n’a aucun équilibre des comptes depuis le contre-choc du baby-boom. Les finances publiques ne reviendront pas dans le vert tant qu’on n’aura pas réglé cette question des retraites de la fonction publique, en provisionnant. Indirectement cependant, les fonctionnaires payent cette politique car il y a une pression sur les embauches et les rémunérations. Il y a de moins en moins d’argent pour payer les personnels en activité.

Vous dites qu’on pourrait provisionner les retraites des fonctionnaires…

Toutes une série de pays ou d’institutions ont su relever ce défi. La Banque de France a, par exemple, plus de 15 milliards d’euros placés pour honorer ses 14 milliards d’euros de promesses au titre des retraites. Elle paye ses retraites grâce à ses revenus financiers. Une approche bien plus économe que l’État qui n’a rien mis de côté, alors qu’il a promis 2 770 milliards d’euros. À l’étranger, le provisionnement est fréquent. Dans les années 1990, le Québec a pris acte du recul des naissances et du fait que les retraites allaient devenir un fardeau. Les nouvelles cotisations des fonctionnaires ont été placées dans un fonds de réserves à la Caisse de dépôts et de placement du Québec (CDPQ). L’ancien système a été financé en faisant appel à l’emprunt pour une période de transition qui arrivera à son terme en 2026. Les nouvelles retraites seront autofinancées par les placements.

Pourquoi la capitalisation ne fait-elle pas recette sur la scène politique alors qu’elle existe pour les retraites complémentaires des fonctionnaires ?

Avec l’ERAFP, les fonctionnaires sont, en effet, dans une capitalisation collective avec une gestion paritaire. Elle fonctionne très bien avec 5,6 % de rendement depuis la création. À ce stade, ils ont accumulé 46 milliards d’euros. Ça reste tout petit mais c’est très encourageant.

Qui est concerné ?

Tous les fonctionnaires des trois fonctions publiques (État, collectivités locales et hôpitaux) sont obligés de cotiser sur leurs primes. Pour certains, les cotisations sont significatives, pour d’autres, c’est moins important, notamment à l’Éducation nationale où les primes sont moins développées.

Mais les marchés financiers peuvent s’écrouler…

Quand vous gérez une caisse de retraite, vous avez vraiment une vision à long terme et ce risque est très limité. Bien sûr, il y a des chocs. Mais ils sont suivis de remontées. Et à long terme, le rendement est là. Quand vous êtes gérant d’une caisse de retraite, vous connaissez vos échéanciers et vous pouvez anticiper et sécuriser. Un bon gérant désinvestit les sommes dont il a besoin à l’avance.

« Réindustrialiser avec l’épargne retraite »

À quoi pourraient servir des fonds de capitalisation à la française ?

Si aujourd’hui on vend notre économie à la découpe et notamment notre industrie, c’est parce que nous n’avons plus ces capitaux. La première et la deuxième révolution industrielle ont été financées par l’épargne. Ce fut le cas avec le plan Freycinet en 1 879 qui servit à financer des ponts, ports et chemins de fer. Notre réussite industrielle a été financée au XIXe siècle par l’épargne retraite. Et nous n’avons plus cette capacité à créer de la richesse, d’où notre déclassement. A contrario, tout grossit plus vite dans les pays où l’économie est irriguée par l’épargne retraite et notamment aux États-Unis. Nos échecs industriels récents sont le produit d’une société sans épargne et capital. Il nous manque une épargne retraite française. C’est un manque-à-gagner économique et aussi social. Quand Jaurès défendait, dans les années 1910, la capitalisation collective, il pensait aussi rééquilibrer le pouvoir en faveur des travailleurs avec des retraites ouvrières et paysannes provisionnées. Le vrai dividende salarié, au-delà de la participation et de l’intéressement, c’est la capitalisation collective comme à l’ERAFP. Il faudrait la généraliser à tous les salariés du privé.

Pourquoi ne peut-on pas compter plus sur le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) ?

C’est une excellente idée sous exploitée. Depuis 2010, le FRR a créé plus de 10 milliards de richesse grâce aux placements qu’il génère. Le faire monter en puissance pour provisionner et financer les retraites des fonctionnaires serait le meilleur service qu’on puisse rendre aux finances publiques. Malheureusement, notre État a perdu la capacité de penser le long terme. Le Fonds de réserve pour les retraites devrait pouvoir compter sur 150 milliards d’euros. C’est ce qu’anticipait Lionel Jospin pour 2020. Et aujourd’hui, il détient moins de 25 milliards parce que l’État ne l’a pas assez alimenté et l’a dépouillé de façon prématurée.

Entretien publié dans Ouest-France le 28/12/2022, dirigé par Patrice Moyon, chroniqueur économique et social et éditorialiste.

Nicolas Marques

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