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Carrefour & Couche-Tard, le mirage de la souveraineté dans l’isolement

En refusant le rachat de Carrefour par Couche-Tard, le ministre de l’Economie a préféré le statu quo au changement. Ce rachat aurait pourtant permis à Carrefour d’accélérer sur sa transformation numérique, un enjeu devenu majeur pour la grande distribution. Texte d’opinion par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publié dans Les Échos.

Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire aime jouer les gros bras. Après avoir affronté les mastodontes du numérique, il n’a pas hésité à dégainer un veto de principe à la proposition amicale de rachat de Carrefour par le canadien Couche-Tard. Si la posture souverainiste a de l’allure, elle ne résout pas les problèmes de fond. Elle cache difficilement le risque pour la France de subir les changements qui, d’une manière ou d’une autre, s’imposeront.

Le protectionnisme est une arme politique largement employée et l’exemple américain est souvent mis en avant. Les Etats-Unis sont devenus plus protectionnistes  avec le rattrapage économique de la Chine, limitant leur capacité à imposer leurs règles. Selon la Banque mondiale, la Chine est devenue la première puissance économique en 2017. Son PNB en parité de pouvoir d’achat était de 23 500 milliards USD en 2019, contre 21 400 milliards pour les Etats-Unis.

Toujours est-il que, loin de se contenter de chercher à ériger des protections, les Américains créent, en même temps, les conditions du succès en investissant massivement dans le numérique. La puissance des Nations s’écrit maintenant largement en lignes algorithmiques. Elle est dans les systèmes d’information. Si le moteur de l’Histoire, comme l’affirmait Karl Marx, est technologique plus que politique, c’est la maîtrise du numérique qui façonne les politiques. Une leçon que nous devrions méditer. Laisser la révolution technologique aux autres, c’est leur laisser la maîtrise à terme des choix politiques.

La grande distribution est elle-aussi au cœur de changements technologiques majeurs. Le rachat de Whole Foods par Amazon en donne un avant-goût. Comme le souligne Jathan Sadowski dans How Digital Capitalism Is Extracting Data, Controlling Our Lives, and Taking Over the World (2020), Amazon s’est lancé dans la transformation de la grande distribution. Tentant la fusion des mondes numérique et hors-ligne, le géant du cloud et de la distribution cherche à transformer les magasins traditionnels en « sites internet physiques ».

Au vu de cette dynamique, on comprend que Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution, insiste sur l’importance d’investissements massifs dans la grande-distribution Hexagonale, « pour que les magasins soient compétitifs par rapport à Amazon et Alibaba ». La proposition de rachat de Couche-Tard, qui s’engageait à investir 3 milliards dans Carrefour était, à ce titre, séduisante voire stratégique. Personne ne sait exactement où la technologie va nous mener, mais elle joue un rôle de plus en plus grand. Or, à cet égard, l’Hexagone est à la traine. Nous n’avons pas de géant du numérique et pas assez de champions de l’hybridation du numérique et du traditionnel.

La France se montre d’une manière générale particulièrement réticente aux évolutions, soucieuse avant tout de préserver les choses telles qu’elles sont – notre art de vivre, notre système de retraite, notre système de santé – tout en refusant d’affronter ses fragilités. Il est peu probable que ce statu-quo soit gagnant, comme l’illustre la crise sanitaire. Pour bénéficier des dernières technologies, qu’il s’agisse du séquençage génomique ou des vaccins, tout en préservant ses valeurs, il ne faut pas se protéger, mais veiller à rester acteur du changement. Cette stratégie est la seule qui permette de bénéficier des évolutions, tout en s’assurant de leur compatibilité avec nos valeurs.

Cécile Philippe

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