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Bridgestone, la fiscalité que personne n’assume

Bridgestone va fermer son site de Béthune et se séparer de 863 salariés. Nombreux sont ceux qui crient au scandale au motif que l’entreprise – qui aurait bénéficié de subventions généreuses – ne renverrait pas l’ascenseur en refusant de préserver l’emploi. Dans les faits, la réalité est radicalement différente. Les crédits d’impôts évoqués par les commentateurs représentent une goutte d’eau, l’entreprise ayant été victime d’une fiscalité que ni les clients, ni les salariés, ni l’actionnaire, ni les décideurs publics ne sont prêts à assumer. 

Comme à chaque fermeture de site industriel emblématique, on assiste à la multiplication des discours incantatoires ou comminatoires. « Interdisons les licenciements pour les entreprises gavées à l’argent public », « Les gens qui utilisent l’argent public doivent rendre des comptes », « Bridgestone doit rembourser ! », « Rendez l’argent » … la liste des commentaires, si longue soit-elle, relève du déni de réalité. Si le site de Béthune ferme, ce n’est pas parce qu’un employeur japonais se serait subitement lassé des subventions françaises mirobolantes, c’est au contraire parce qu’il ne veut plus assumer seul une fiscalité jouant contre la production.

En 2016, dernière année où le site d’Amiens faisait des bénéfices, la fiscalité représentait 58 % des résultats avant impôts. En dépit du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) mis en place par François Hollande, la pression fiscale sur cette entreprise était sans rapport avec ce qu’on observait à l’étranger, en raison de la concomitance de deux couches de fiscalité dans l’Hexagone. En plus des bénéfices, nous taxons en effet l’outil de production avec des impôts de production indépendants de la santé financière des entreprises. En 2017 et 2018 le site de Béthune devenait déficitaire. La fiscalité, subventions déduites, s’envolait à 226 % puis 466 % des résultats avant impôts. En deux ans, l’entreprise japonaise payait 14 millions d’impôts, subventions déduites, et faisait 9 millions d’euros de pertes.

A l’opposé des communications caricaturales et hors sol prétendant que le fabricant de pneus était gavé de subvention, c’est la fiscalité française qui a mis cette entreprise dans le rouge.

Pour les connaisseurs, ce résultat n’est pas une surprise, mais la conséquence d’un choix français jouant contre la société. Depuis des décennies, les économistes connaissent les effets délétères des impôts de production. Cette fiscalité est redoutable pour les activités avec un appareil de production significatif et une rentabilité faible. C’est pour permettre son démantèlement qu’avait été créé en France la TVA dans les années 1950, sur les conseils de Maurice Lauré. Mais contrairement à nos voisins, nous avons conservé voire développé la fiscalité de production. Alors que dans la moitié des pays de l’Union européenne, cette fiscalité est devenue anecdotique, voire négative en raison de politiques de subventions à la production, elle représente 2,5% du PIB une fois les subventions déduites.

Dans la plupart des cas, les impôts visant les entreprises sont in fine payés par les consommateurs, les salariés ou les actionnaires.

Les entreprises qui survivent s’arrangent pour répercuter la fiscalité sur leurs clients, en dégradant le rapport qualité-prix, leurs salariés, en les augmentant moins, ou sur leurs actionnaires, en les rémunérant moins bien.

Dans le cas des pneus de Béthune, cette mécanique s’est enrayée. Plus personne ne veut supporter la fiscalité française disproportionnée. Les consommateurs n’ont pas envie de payer plus cher des pneus en raison d’une surcouche de taxes ne correspondant pas à un gain qualitatif. Les salariés ont refusé le « pacte de compétitivité » proposé par Bridgestone l’an passé pour augmenter la productivité de l’usine. Restait l’actionnaire, contraint d’accepter la réduction de ses gains puis l’apparition des déficits.

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Nicolas Marques

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