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Coronavirus : le principe de précaution ne nous aide pas

La France a inscrit dans sa constitution le principe de précaution, souvent invoqué pour prévenir voire interdire certaines recherches, par exemple celle sur les OGM. Or, paradoxalement, dans le cas concret de l’épidémie du coronavirus, ce principe censé nous protéger s’avère sans portée. Texte d’opinion par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publié dans La Tribune.

En 2004, la France inscrit le principe de précaution dans sa constitution. Il a été appliqué de façon plus ou moins judicieuse à toutes sortes de domaines dépassant largement l’environnement. Force est de constater dans le cas du coronavirus que son esprit n’a pas été compris. En effet, plutôt que de favoriser de façon décentralisée l’émergence d’informations cruciales sur ce nouveau virus, nos pouvoirs publics cantonnent les citoyens à des mesures individuelles approximatives, au risque d’entretenir les peurs et les fantasmes dont on sait qu’elles peuvent être mauvaises conseillères.

L’article 5 de la charte environnementale à valeur constitutionnelle affirme que : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, à l’adoption de mesure provisoires et proportionnées afin d’éviter la réalisation du dommage ainsi qu’à la mise en œuvre de procédure d’évaluation des risques encourus. »

De multiples dommages

Les dommages du coronavirus sont avant tout humains, puisqu’il peut tuer. Ils sont aussi économiques puisqu’il nécessite des moyens pour lutter contre sa propagation et sa prise en charge et peut stopper l’activité économique. Les dommages sont aussi psychologiques, du fait du stress suscité par l’incertitude autour de ce nouveau virus. La capacité à identifier les cas de coronavirus permettrait de minimiser ces dommages. En effet, elle permettrait d’identifier les personnes porteuses des autres, de recourir au confinement des premières pour éviter la contagion des secondes, de suivre les cas et de prendre en charge les plus graves. Globalement, cela permettrait d’apprécier plus précisément la prévalence de la maladie et donc de sa mortalité potentielle. Pour cela, il faudrait augmenter de façon drastique la capacité française de tester les personnes qui le souhaitent.

Or concrètement, les choses ne se passent pas comme cela. J’ai dû récemment récupérer ma fille à l’école car elle toussait et avait de la fièvre. La question du coronavirus s’est immédiatement posée sans qu’en bout de ligne je puisse y répondre. Suivant les conseils trouvés sur le site du gouvernement, je ne me rends pas chez notre médecin généraliste. Ma fille n’ayant pas séjourné dans des pays à risque ni fréquenté (à notre connaissance) de personnes y ayant séjourné, ne rentre pas dans la cible des personnes testées. Par conséquent, j’ignore complètement ce à quoi j’ai affaire et la démarche à suivre pour les prochains jours. Dois-je la retirer de l’école pendant 14 jours pour éviter tout contamination ? Sera-ce suffisant ? Dois-je aussi retirer sa petite sœur ? Dois-je en informer ses amies ? Dois-je cesser de bouger ? Autant de questions qui trouveraient réponse avec un test, permettant à chacun de se comporter de façon utile et vertueuse pour la collectivité. Seulement, en France, les tests sont réservés à un très petit nombre de personnes, sélectionnées de façon centralisée selon une logique de rationnement. Certes, un arrêté du 7 mars prévoit que des tests vont être disponibles en laboratoire de ville. Mais, comme le précise le Figaro, faute de moyens les tests restent réservés aux « cas graves ainsi que les personnes hospitalisées pour une autre raison mais présentant des symptômes ». L’accessibilité aux tests reste limitée.

L’exemple de la Corée du Sud

Tel n’est pas le choix de la Corée du Sud. Ce pays semble être en capacité de faire face à la crise de façon tout à fait différente puisqu’en l’espace de quelques semaines, leurs moyens de tester les individus sur base volontaire et apriori anonyme est passée à 10.000 par jour. A titre de comparaison, l’Institut Pasteur réaliserait une centaine de tests par jour. A ce stade (9 mars), près de 170.000 personnes auraient été testées en Corée du Sud, environ 7.400 auraient le coronavirus et 51 seraient mortes. En utilisant la même base de calcul que celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on arrive à un taux de mortalité de 0,7%. Cet organisme annonçait dans un communiqué le 5 mars, en se basant sur les chiffres globaux, un taux de mortalité de 3,4%.

La Corée du sud, grâce à des moyens ingénieux comme les « drive-thru » donnant en une dizaine de minutes – après prélèvement au fond des narines et crachat  – un résultat apparemment fiable, apporte des informations précieuses sur la vitesse de propagation du virus, sa prévalence, sa dangerosité. Plus encore, elle offre à ses citoyens le moyen de se comporter de façon vertueuse face au virus, en s’isolant en cas de résultat positif ou en vaquant à leurs occupations habituelles dans le cas contraire. Ces tests individuels à grande échelle sont une réponse à un problème collectif. Ils sont plus vertueux que les solutions binaires consistant à laisser dans l’incertitude le plus grand nombre, ce qui limite l’efficacité des démarches individuelles et rend d’autant plus probable le passage au stade 3 et à la fermeture de nombre de structures collectives.

Comme quoi, il ne suffit pas d’inscrire le principe de précaution dans la constitution pour le pratiquer à bon escient. Régulièrement appliqué en France à toute une série de domaines où il n’est pas évident que son usage soit clairvoyant ou indispensable (OGM, huile de palme…), ce principe se révèle sans portée aujourd’hui.

Pourquoi pas nous?

Au contraire, la gestion coréenne du coronavirus, en plus de nous donner de nouvelles informations utiles et plutôt réconfortantes, pourrait se révéler un véritable cas d’école, source d’inspiration dans la gestion des crises sanitaires. Si ce pays – dont le PIB est inférieur à celui de la France – est vraiment capable d’une telle mobilisation, pourquoi pas nous et comment font-ils ? En tout cas, la diversité des approches qui existe au niveau international est de nature à générer un processus de découverte indispensable.

Cécile Philippe

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