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Le partage mondial de l’impôt sur les sociétés à risques, une fausse bonne solution

L’idée d’une remise à plat de l’impôt sur les sociétés progresse dans les opinions publiques et les instances internationales. A priori, la démarche est séduisante et promet de générer mécaniquement un surplus de recettes fiscales pour l’Hexagone. Mais, dans les faits, l’équation pourrait être perdante pour la France suite aux récentes propositions d’élargissement de la démarche au-delà du digital. Texte d’opinion de Nicolas Marques publié dans La Tribune.

Le sujet est complexe… mais les enjeux sont énormes. Les 17 et 18 octobre, les ministres des Finances du G20 étudient le projet de l’OCDE visant à refondre les règles de partage de l’impôt sur les sociétés entre Etats.

Jusqu’à présent, un Etat peut taxer une entreprise étrangère opérant sur son sol s’il peut prouver qu’elle dispose d’une implantation avec un pouvoir décisionnaire local. En clair, il faut un outil de production et une direction locale ayant une autonomie réelle. Cette règle fonctionne de façon satisfaisante pour les processus industriels ou commerciaux classiques, mais les choses se compliquent avec l’essor du numérique. Les entreprises américaines du digital ont une incroyable capacité à produire à distance. Avec un algorithme pensé et géré de l’autre côté de l’Atlantique, vous pouvez générer une activité significative en France même si vous ne disposez pas d’implantation hexagonale. Vos bénéfices et la fiscalité associés profiteront avant tout aux Etats-Unis, et non à la France. Ce genre de situation existait déjà dans l’économie traditionnelle, mais restait marginal. Or, ce n’est plus le cas avec l’essor des business model numériques. A eux seuls, les 4 GAFA américains représentent 780 milliards de dollar de profits sur les 10 dernières années et 188 milliards d’impôts sur les sociétés. L’essentiel de cette manne fiscale a bénéficié aux Etats-Unis, ce qui suscite jalousies et convoitises.

Aucun engouement chez nos voisins

C’est ce qui explique pourquoi la France, traditionnellement désargentée en dépit d’une fiscalité significative, revendique sa « juste » part d’impôt depuis des mois et a mis en place une taxe digitale locale. Cette démarche destinée à rapporter 459 millions d’euros en 2020 n’a pas suscité un engouement chez nos voisins. Comme nos impôts de production nationaux, elle pose une kyrielle de problèmes. Ce type de taxe incite les acteurs à se concentrer, l’inverse de ce qui est souhaité dans le numérique, et pénalise in fine les consommateurs. D’où l’intérêt de la démarche poussée par l’OCDE, à laquelle la France s’est engagée par avance à adhérer.

Ce projet, s’il arrive à terme, sera-t-il une bonne affaire pour nos finances publiques ? Pas si sûr. Nous avons probablement plus à y perdre qu’à y gagner. L’idée de l’OCDE est, en effet, de partager une partie de l’impôt des multinationales dans les pays de consommation, sans se limiter au digital.

Un pays de sièges sociaux plus que de consommation

Ainsi, dans le bénéfice mondial de chaque entreprise, un profit « résiduel » représentant la sur-performance de la multinationale serait isolé. Une partie de ce profit « résiduel » serait répartie entre les pays où les biens et services sont consommés, selon une clé de répartition s’apparentant au chiffre d’affaires. Si tel est le cas, nous serions gagnants à due proportion des entreprises étrangères intervenant chez nous, mais perdants à concurrence des grandes entreprises françaises intervenant à l’étranger. Or, la France est plus un pays de sièges sociaux que de consommation. Les grandes entreprises françaises représentent 6% des 500 plus grandes entreprises mondiales et seulement 2-3% du PIB mondial. Ces entreprises ont l’habitude de rapatrier de l’impôt sur les sociétés dans l’Hexagone. Si elles sont contraintes de s’acquitter de plus d’impôts à l’étranger, elles en paieront moins en France. Les enjeux ne sont pas anodins, Bercy table sur 48 milliards d’impôt sur les sociétés l’an prochain, soit 100 fois plus que la taxe GAFA.

Les rares chiffrages publics à ce stade montrent que la France pourrait être perdante. D’après une étude publiée par le FMI en mars, la France représenterait de l’ordre de 4% des surprofits, soit plus que sa part dans le PIB mondial se situant autour de 2% à 3%, selon les définitions que l’on retient.

La France, comme nombre de vieux pays, pourrait être perdante en cas de révision des règles fiscales internationales. Au contraire, les gagnants seraient les pays représentant des marchés de consommation significatifs tout en ayant peu de grandes entreprises internationales profitables, à l’image par exemple de l’Inde.

Il y a quelques mois, la Cour des comptes soulignait qu’il n’était pas certain que la révision des règles fiscales bénéficie aux finances publiques françaises. Or, si l’évolution des règles générait une baisse des recettes d’impôt sur les sociétés, nos grands argentiers pourraient être tentés de compenser le manque à gagner par des hausses d’impôts nuisant encore plus à la compétitivité française. Nous serions alors collectivement perdants sur les deux tableaux…

Nicolas Marques

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