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Paternalisme – Fais pas ci, fais pas ça !

Texte d’opinion de Olivier Auguste et Irène Inchauspé publié le 7 avril 2015 dans L’Opinion.

Les faits – Les députés poursuivent l’examen du projet de loi santé de Marisol Touraine qui empile les interdictions les plus diverses au nom de la prévention. Puis viendra le texte sur le renseignement qui fait peu de cas des libertés individuelles afin de lutter contre le terrorisme. L’« État nounou » se porte bien, le citoyen, un peu moins.

Montesquieu reviens, ils sont devenus fous ! Qu’écrivait donc l’auteur de L’Esprit des Lois ? Qu’il ne faut légiférer « que d’une main tremblante » et que les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. Le philosophe doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe, effaré sans doute de la pluie de lois intrusives qui s’abat sans discontinuer sur notre pays. Le volet prévention de la loi de santé est à lui seul devenu un catalogue. A l’interdiction de fumer en voiture en présence d’un mineur, inscrite dans le texte de Marisol Touraine, se sont ajoutées au fil des amendements l’interdiction de disposer des fontaines à boissons sucrées, payantes ou gratuites, dans les lieux publics ; l’interdiction de la publicité pour les appareils de bronzage et de leur utilisation avant 18 ans ; l’interdiction des logos de marque sur les paquets de cigarettes ; l’interdiction de distribuer aux mineurs des gadgets incitant à boire ; l’interdiction d’employer des mannequins trop maigres… Il y a quelques années, Roselyne Bachelot avait tenté, sans succès, de bouter les boissons énergisantes type Red Bull hors de France.

Mais il n’y a pas que la loi santé ! Laurence Abeille, députée écologiste du Val-de-Marne a ainsi déposé une proposition de loi visant à interdire l’accès aux corridas aux enfants de mois de 14 ans pour les « protéger » de cette barbarie. Comme si les parents ne pouvaient pas décider eux-mêmes. Très en verve, elle vient aussi de faire voter l’interdiction des bâches publicitaires dissimulant les travaux sur les monuments classés. Après qu’Aurélie Filippetti a interdit à Amazon d’expédier gratuitement les livres commandés. A quand l’interdiction de sortir quand il pleut ?

Paradoxalement, ces mesures sont le signe d’une impuissance de l’Etat. « Ayant perdu tout levier économique pour agir sur la société, les pouvoirs publics ont désormais recours à l’outil législatif et aux normes, estime Robin Rivaton, économiste et conseiller d’un grand patron. A priori, cela part d’un bon sentiment et c’est indolore. » Spécialiste des troubles du comportement alimentaire à la Maison des adolescents (hôpital Cochin), le Dr Corinne Blanchet-Collet approuve ainsi le bannissement des défilés de mannequins décharnés : « Evidemment, les familles, les professeurs doivent prendre leurs responsabilités, il faut éduquer les ados, de même que supprimer les fontaines à soda chez Ikea ne servira à rien contre l’obésité si la bouteille de Coca trône à la place de la carafe d’eau sur la table familiale. Mais les images de mannequins trop maigres sont tellement devenues la norme que les parents, les éducateurs, les profs de sport en sont eux-mêmes imprégnés et sont devenus “orthorexiques”, ils contribuent à l’obsession de certains adolescents de perdre du poids. Il faut frapper tous azimuts, y compris par la loi. »

A chaque fois, le législateur n’a qu’un seul but : faire notre bien. Malgré nous, s’il le faut. « L’excès de protection tue la responsabilité. On s’en remet à la règle plus qu’au comportement de chacun pour prévenir des risques », déplore Philippe Bas, président (UMP) de la commission des lois du Sénat. Les Français ne sont-ils pas assez adultes et désormais conscients des dangers du tabac pour s’abstenir de fumer en présence d’un enfant en voiture ? Par ailleurs, qui ira vérifier s’ils fument dans ce lieu privé ? A multiplier les interdictions, on les rend inopérantes. « J’aime tellement la loi que je voudrais qu’elle retrouve sa pleine autorité, poursuit Philippe Bas, qui fut aussi ministre de la Santé. Les parlementaires doivent s’abstenir d’inscrire dans la loi des arborescences foisonnantes qui finissent par établir des règles relevant d’un arrêté préfectoral. Si la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 a gardé sa force et reste appliquée par les tribunaux, c’est parce qu’elle fixe des grands principes qui s’adaptent au fil du temps. »

Nos politiques veulent aujourd’hui corriger des comportements qu’ils jugent déviants, en protégeant les gens d’eux-mêmes. Cela peut régler quelques cas emblématiques dont le législateur pourra se glorifier. Mais ces lois comportent aussi une multitude de coûts de contrôle et la mise en place d’un appareil juridico-administratif très difficile à maîtriser. Ces effets secondaires peuvent être très pénalisants. Ainsi, plafonner le nombre de stagiaires comme la loi le prévoit désormais risque d’inciter les entreprises à ne plus en prendre. Même chose avec les paquets neutres de cigarettes : « En matière de marques, la neutralité est une aberration économique, observe Cécile Philippe, directrice de l’Institut économique Molinari. Les marques sont avant tout un moyen de départager les parts de marché entre des consommateurs ayant déjà pris leur décision d’acheter un produit ». Si elles sont effacées, la concurrence ne pourra plus passer par une course à la réputation ou à l’innovation qui peut aboutir à une réduction des risques de santé (cigarettes électroniques) mais uniquement par les prix. « Cette baisse est un facteur qui favorise généralement, non pas une réduction, mais une augmentation de la consommation de ces produits jugés dangereux pour la santé », met en garde Cécile Philippe.

Bref, les bonnes intentions ne suffisent pas à faire de bonnes lois. « Pendant que Thierry Mandon et Guillaume Poitrinal essayent de nous simplifier la vie, chaque député tente de sortir sa loi pour résoudre un problème particulier, juge Robin Rivaton. C’est l’hydre administrative : on coupe une tête, elle repousse aussitôt. Il n’y a pas de limite. » Ces mesures ont un effet collatéral désastreux : elles normalisent petit à petit l’intrusion de l’Etat dans la vie privée des citoyens, ce qui n’augure rien de bon.

L’Institut économique Molinari

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