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Étalon-or : relique barbare ou garde-fou?

Texte d’opinion de Bernard Cherlonneix publié le 27 mai 2013 dans le journal La Croix.

Parlons d’or, ce fait têtu. Pourquoi l’or plébiscité par les peuples du monde entier, réellement et symboliquement (comme en témoignent divers spots publicitaires ruisselants d’or), pourquoi cette valeur sûre, et généralement montante, est-elle officiellement « décriée » ? Pourquoi cette référence encore plus universelle que celle de l’argent, qui demeure le nom courant de la monnaie, a-t-elle été quasi consensuellement abandonnée sine die du jour au lendemain par les « autorités monétaires » du monde entier, et avec elle toute référence métallique ou réelle, après 5 000 ans (1) d’assez bons et loyaux services ? Ce paradoxe mérite une explication.

L’explication est bibliquement simple malgré les couches de théorie économique « moderne » sous lesquelles les meilleurs sophistes du XXe siècle se sont ingéniés à l’ensevelir : l’étalon-or, même abâtardi, contraint les États à équilibrer leurs budgets ou à les rééquilibrer rapidement. Il garantit de la sorte le Graal de l’équilibre économique global durable. Il est le cerbère de la démesure budgétaire, qu’elle provienne de la folie dépensière des grands projets inutiles ou de la démagogie ordinaire qui pourvoit à des distributions de revenus insoutenables et compromet le niveau de vie des générations futures qui devront les rembourser.

Comment l’étalon-or parvient-il à ce résultat de rêve ? Par un bon usage de la passion pratique pour l’or des banques centrales ou des trésors publics, très loin du dédain théorique affiché. Le déséquilibre budgétaire conduit en effet les utilisateurs de monnaie les mieux informés à anticiper une création de monnaie fiduciaire excessive pour financer le déficit et à redouter la dévalorisation de cette monnaie. Ces « sachants » du marché préfèrent alors « convertir » leurs billets et dépôts contre de l’or sonnant et trébuchant afin de se prémunir contre cette dévaluation.

Les « Harpagon » qui gouvernent n’ont alors plus d’autre moyen, pour tarir la perte d’or qui historiquement les accable, que de déclencher de manière pavlovienne des politiques monétaire et budgétaire rééquilibrantes. C’est ainsi que la clause de convertibilité-or fait jouer l’auri sacra fames – l’odieuse faim de l’or – des gouvernants au profit des gouvernés en préservant la stabilité du pouvoir d’achat de leur monnaie de manière quasi mécanique.

Elle assure une forme d’équilibre des pouvoirs entre la société civile et la puissance publique, entre les détenteurs et les producteurs de monnaie. Elle est une arme de dissuasion dans la main des acteurs économiques privés contre l’abus de pouvoir monétaire des princes qui nous gouvernent. Nous pouvons mieux le réapprécier en 2013 du haut des pyramides de dettes publiques que sa mise hors jeu a permis d’« édifier ».

Pour mettre hors d’état de servir un si précieux allié de la propriété des gouvernés, il fallait commencer par le disqualifier aux yeux des citoyens eux-mêmes. C’est ainsi qu’au siècle du totalitarisme à l’Est et de l’État providence à l’Ouest, l’étalon-or est devenu l’ennemi public numéro un des économistes « officiels » et des professeurs d’économie, tous programmés pour obtenir l’émancipation budgétaire des puissances publiques (qu’on osera appeler « libéralisation »).

Briseur de croissance, fauteur de déflation, ennemi des peuples, tout devint bon contre « ce pelé, ce galeux », bouc émissaire idéal de démagogues soucieux d’obtenir des résultats immédiatement visibles, quel qu’en soit le coût différé. Le régulateur silencieux et profond de l’économie de marché qu’était l’étalon-or ne fut plus alors publiquement désigné, selon l’imprécation de Keynes, que comme une « relique barbare » (2).

Il suffisait de s’en débarrasser pour atteindre le nirvana du plein-emploi, l’état supérieur du monde dans lequel les États dépensent autant qu’ils le veulent pour répondre aux attentes sociétales ou « relancer l’économie » (pensée comme une « chose » passive dans les mains d’un État éclairé). Un nirvana cataleptique auquel sont parvenus aujourd’hui à peu près tous les pays « développés » .

Face à la déroute actuelle du régime de monnaie dirigée (managed currency) à contrainte budgétaire élastique et inducteur d’hypertrophie financière, qui s’est substitué à celui de l’étalon-or et en fait pâlir les défauts réels ou supposés, l’honnêteté intellectuelle serait de reconnaître que l’étalon-or était moins une relique barbare qu’un précieux garde-fou. De comparer objectivement les bilans et de remettre l’ouvrage sur le métier.

Le régulateur silencieux et profond de l’économie de marché qu’était l’étalon-or ne fut plus alors publiquement désigné, selon l’imprécation de Keynes, que comme une « relique barbare ».

1. Comme le reconnaît Keynes dans un article de 1930 sur Le retour à l’étalon-or dans ses Essays in Persuasion parus en France sous le titre Sur la monnaie et l’économie , Payot 2009.

2. expression qu’il emploie dans son Traité sur la réforme monétaire de 1923.

L’Institut économique Molinari

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