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Que cache l’union bancaire?

Texte d’opinion publié le 5 octobre 2012 sur 24hGold.

L’union bancaire, nouvelle proposition toute récente de la Commission européenne, est prônée comme la solution-clé de la crise économique. Elle aurait les vertus de compléter le marché commun et de rompre le cercle vicieux entre crise bancaire et crise des finances publiques. En quoi exactement cette union bancaire consiste-t-elle ? Quelles en seraient les conséquences selon la théorie économique ? Est-ce vraiment un outil efficace pour résoudre la crise économique et financière ?

La proposition d’union bancaire repose sur trois piliers : la centralisation de la supervision bancaire, la mise en commun des schémas nationaux de protection des dépôts, et enfin la création d’un fonds commun pour la résolution des banques en difficulté.

La centralisation de la supervision bancaire, confiée à la Banque centrale européenne (BCE), ne remplacerait pas les collèges de superviseurs nationaux. Elle veillerait, notamment dans le cas des groupes bancaires internationaux, à ce que les règles prudentielles soient appliquées de manière uniforme par toutes les juridictions. En bref, le contrôle de la conformité réglementaire des établissements de crédit ne serait plus décentralisé.

On peut émettre de très forts doutes quant à la capacité de cette mesure de responsabiliser davantage banquiers et superviseurs.

Primo, cette centralisation des pouvoirs administratifs en matière bancaire n’améliore sur le fond aucun des principes de fonctionnement des banques modernes.

Secundo, et contrairement aux intentions des législateurs, la supervision sera affaiblie et non pas renforcée. D’une part, l’uniformité des normes prudentielles enlève tout pouvoir à des superviseurs nationaux d’appliquer des règles plus strictes. D’autre part, en transférant la responsabilité ultime de l’application des règles à une structure administrative nouvelle et supérieure, les superviseurs nationaux ne sont plus incités à éviter les erreurs, notamment de jugement.

Troisièmement, en anticipant ces effets, les banques peuvent faire le calcul d’adopter des comportements plus risqués et à la limite des règles imposées sans s’attendre à des sanctions. Il s’agit d’une incitation perverse à modifier son comportement, bien connue des économistes, qu’ils appellent aléa moral.

La mise en commun des schémas nationaux de protection des dépôts répartirait, de fait, le coût de rembourser les dépôts de banques en faillite entre les trésors publics de tous les États membres de la zone euro. En conséquence, ce coût pèserait bien moins sur les finances publiques de l’État où la débâcle bancaire aura éclaté.

La mesure aurait également l’avantage de mettre fin à la différence de traitement des déposants selon qu’ils sont clients d’une branche ou d’une filiale d’un établissement étranger. Les déposants d’une branche sont en effet quelque peu moins protégés, car la garantie de leurs dépôts est à honorer par le trésor public étranger. Or, le risque est bien réel que celui-ci soit déjà à court de fonds et qu’il décide de limiter les paiements de dépôts à ses propres contribuables. Tout de même, cette différence de traitement présente actuellement l’avantage d’éveiller la prudence tant des déposants eux-mêmes que des superviseurs nationaux. Sa suppression contribuerait à déresponsabiliser les uns et les autres.

Le troisième pilier de l’union bancaire, c’est à dire le fonds commun pour la résolution des banques en difficulté, obéit à cette même logique de mutualisation entre États membres d’un éventuel coût de sauvetage, et donc de minimisation de l’impact de celui-ci sur les finances publiques nationales.

Cette mutualisation, qui n’est encore qu’au stade de la discussion, ne présagerait rien de bon si elle devenait effective. Elle enlèverait toute incitation aux États membres à veiller à ce que les banques domestiques ne fassent pas faillite. En effet, quel est l’intérêt d’être strict envers les banques si d’autres paieront la facture lors d’une faillite ? Sachant que les banques sont d’importants créditeurs des États, la mutualisation des garanties de dépôts et des coûts de renflouement aura pour effet d’accroitre les complicités entre banquiers, superviseurs nationaux et trésors publics. La mesure s’avère donc particulièrement inefficace, car c’est bien le résultat contraire qu’elle vise sur papier.

Au fond, la proposition d’union bancaire repose sur deux erreurs fondamentales. La première consiste à confondre l’intégration des économies européennes avec la coopération entre les États. La confusion vient de ce que les relations économiques sont différentes, pour ne pas dire à l’opposé, des relations étatiques. Celles-là reposent sur l’échange volontaire, et dès lors mutuellement bénéfique, alors que celles-ci se basent sur la taxation et la limitation des activités privées d’échange et de production.

Sans vouloir ouvrir le débat sur la nécessité ou l’utilité de l’activité étatique, force est de reconnaître qu’elle est tout à fait distincte de l’activité économique. L’union bancaire relève clairement de la sphère étatique, car elle ne modifie en rien les activités économiques privées. Par conséquent, il est difficile d’y voir un quelconque approfondissement du marché commun.

La deuxième erreur, plus grave encore, revient à ignorer les aspects réels de la crise économique et financière. Tout ne serait qu’un problème de cercle vicieux entre capital des banques et finances publiques. Le seul intérêt de cette conception fort bornée est de nous rappeler l’évident, notamment que quelqu’un doit payer le renflouement des banques. Mais elle ignore totalement l’origine des difficultés bancaires.

Or, celles-ci proviennent de leurs mauvaises créances, tant privées que publiques. Les mauvaises créances à leur tour sont signe de mauvais investissements réels et de distorsions de la structure du capital de nos économies. Derrière chaque crédit en défaut il y a un entrepreneur qui fait des pertes, et qui a donc fait un mauvais investissement. Les mesures anti-crise devraient viser l’accélération des ajustements réels, à savoir la réallocation des facteurs de production, capital et travail, vers les secteurs où ils pourraient être employés à profit.

Au fond, la proposition d’union bancaire est doublement pernicieuse. Elle provoquera un aléa moral généralisé au sein tant des banques que des États. Elle contribuera ainsi à engendrer un cycle économique nouveau. En outre, elle laisse de côté le fond des problèmes actuels et détourne l’attention des véritables réformes nécessaires. Plutôt qu’une mesure anti-crise, c’est une anti-mesure de crise.

Siméon Brutskus a vécu sa jeunesse à l’Est, avant de parfaire son éducation économique en France. Sa carrière d’enseignant-chercheur l’a conduit à s’intéresser à la théorie et politique monétaires, et au rôle qu’occupent les banques centrales dans la déstabilisation des systèmes financiers.

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