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Qu’est ce que le capital ?

Traduction d’un texte d’opinion de José Ignacio del Castillo publié initialement sur le site de l’Institut Juan de Mariana.

Le grand drame du monde sous-développé est que ses dirigeants politiques, obsédés par l’idée sociale, marginalisent trois quarts des citoyens en les condamnant à des systèmes de propriété précaires sur leurs biens.

Plus de capitalisme, pas moins. Plus de propriété privée, pas moins. Plus d’entreprises, pas moins. Plus de marchés financiers, pas moins. Telle est la recette qui pourrait délivrer la moitié de l’humanité de la pauvreté. La lecture des penseurs du capital, Hernando de Soto, Michael Milken et Carl Menger, nous permet de comprendre pourquoi.

Imaginez un pays ou il est impossible de savoir avec certitude qui est propriétaire de quoi, où les adresses physiques sont difficiles à vérifier, où il n’existe aucun moyen d’obliger quelqu’un à rembourser ses dettes, où il est malaisé de convertir des ressources en argent, où la propriété ne peut être divisée en participations, où les actifs ne peuvent ni être décrits de façon standard ni acquis de façon simple, et où les règles de propriété varient d’un quartier à l’autre… Sans le savoir, vous venez de plonger dans la vie d’un pays en voie de développement. Ou plus précisément, de 80% de sa population.

C’est ainsi que, dans un ouvrage intitulé le Mystère du Capital, l’économiste péruvien Hernando de Soto expose la raison fondamentale pour laquelle il affirme que « le capitalisme réussit brillamment dans monde occidental et échoue dans le reste du monde ».

Le grand drame du monde sous-développé est que ses dirigeants politiques, obsédés par l’idée sociale, marginalisent trois quarts des citoyens en les condamnant à des systèmes de propriété précaires sur leurs biens. Ainsi, ils ne pourront jamais accéder au crédit gagé sur ces biens, connaissent d’énormes difficultés lorsqu’ils doivent ou veulent transmettre leur patrimoine, ne sont nullement incités à investir dans l’amélioration de biens dont la propriété leur est mal assurée. Bref, ils sont privés d’accès à l’essentiel de la valeur potentielle de leurs biens.

La tragédie ne s’arrête pas là. Avec leur droit du travail extrêmement coûteux et déconnecté du réel, les bureaucraties du tiers-monde ne laissent à leurs citoyens d’autre choix que de travailler au noir. En Zambie, par exemple, seul un dixième de la population possède un emploi légal. Par ailleurs, entre réglementations, certifications, dessous de table et autres restrictions que font peser les bureaucraties sur l’initiative privée, l’entreprise non-déclarée est le seul moyen dont disposent les entrepreneurs pour accéder au marché.

Conjuguées au contrôle des loyers, les règles d’urbanisme imposées par les États – depuis la pénurie de foncier constructible jusqu’aux limitations de hauteur en passant par les multiples et inévitables autorisations officielles et les commissions prohibitives qui s’y attachent – acculent les émigrés des campagnes à se tourner vers l’habitat indigne.

Ainsi, au Brésil, seuls 3% des nouvelles constructions sont destinés à la location, alors que ce chiffre était de deux tiers il y a trente ans. Ce sont les favelas qui ont absorbé ce marché. Vivre dans des ranchitos, favelas, shantytowns et autres bidonvilles signifie en outre être sans domicile légal et donc ne pouvoir accéder à ces services de base que sont l’électricité, le tout-à-l’égout ou l’eau potable. Ce qui n’existe pas ne peut être ni approvisionné ni facturé.

Michael Milken, le génie qui a révolutionné les marchés financiers d’Amérique du Nord durant les années 1980 et 1990 (et passa même par la case prison pour avoir trop chahuté l’establishment) écrivait dans un article intitulé « The democratization of capital » que l’accès au capital avait longtemps constitué un domaine réservé. La quasi-exclusivité dont avaient bénéficié la couronne et l’Église au moyen-âge fut étendue, au cours du XIXe siècle, à un petit nombre d’industriels capables de s’adosser à leurs propriétés. Jusque dans les années soixante les institutions financières étaient obligées de limiter leurs crédits aux seuls clients considérés comme sûrs.

[…] L’une des grandes tares de la pensée sociale et de la sociologie au XXe siècle aura été l’incapacité à appréhender la notion-même de capital. Le prix Nobel d’économie F.A. Hayek faisait remarquer dans The Mythology of Capital que peu de mots avaient suscité tant d’interprétations et de discours, alors même que la réalité sous-jacente restait si mal comprise.

Le capital n’est pas un facteur de production de nature particulière (« ensemble de biens produits ») doté de qualités technologiques spéciales (« ils servent à produire ») indépendamment du contexte dans lequel s’inscrivent ces biens en matière de droits de propriété. Sans la propriété privée, sans marché et sans prix, sans division du travail et sans entreprises, le capital n’existe purement et simplement pas. Peut-être y a-t-il alors d’autres choses : des machines, des bâtiments, des technologies, des ouvriers. Mais il manque l’âme qui fait fonctionner l’ensemble. Les soviétiques – qui voyaient dans le capitalisme un système conçu pour exploiter le salariat – passèrent des décennies entières à accumuler des biens d’équipement au prix des immenses privations infligées aux populations, pour prendre tardivement conscience de leur totale impuissance à générer quoi que ce soit de valeur pour les gens.

On ne saurait davantage considérer le capital comme une sorte d’entéléchie globale dont une nation ou un gouvernement pourraient disposer à volonté afin de répondre aux besoins du moment. Un peu partout dans le monde, les politiques se sont lassés de nationaliser des industries pour s’apercevoir que la richesse était ailleurs. À leur grand désespoir, telle une eau leur glissant entre les doigts, tout s’évanouissait dès l’instant où l’on abolissait propriété privée, entrepreneurs et liberté des prix. Hélas, que le monde n’a-t-il connu plus de Lew Kwan Yew, et moins de Nkrumah !

Car le capital, selon la définition fondamentale qu’en donne le fondateur de l’École Autrichienne d’Économie, Carl Menger, n’est rien d’autre que la valeur monétaire des biens, services et droits convertis en actifs d’entreprise aux fins de la production de bénéfices, et donc de rentes et/ou de richesses pour ses propriétaires.

Il faut donc le répéter, une fois de plus : la formation d’un capital présuppose la propriété privée. Non seulement la faculté d’utiliser ces biens en un sens bien déterminé et provisoire, mais également celle de les grever, de les transmettre, de les diviser, de les négocier et de s’approprier les bénéfices obtenus. Ceci implique la liberté de créer des entreprises qui ne seront pas asphyxiées par la réglementation, les droits de concession, les autorisations administratives ou la fiscalité.

Cela implique en outre l’existence d’une monnaie saine, permettant de conserver la propriété transférée à crédit, de tenir une comptabilité, et avec laquelle il soit plus avantageux de produire des richesses que de jouer à anticiper la prochaine dévaluation. Sur un sujet tel que l’aide au développement, la lecture d’Hernando de Soto, de Michael Milken ou de Carl Menger nous permet d’accéder à une certaine intelligence du réel, dans un monde où la démagogie aurait tendance à être omniprésente.

José Ignacio del Castillo est directeur de la formation à l’Institut Juan de Mariana.

L’Institut économique Molinari

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