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La « petite inflation » de Bernanke pourrait bien faire chavirer le navire US

Traduction d’une chronique publiée le 15 mars 2012 sur Bloomberg.

En avoir un peu, c’est ok. Tel est le message qu’a récemment donné le directeur de la Fed (Banque Centrale américaine) Ben Bernanke au sujet de l’inflation qui accompagne la reprise aux États-Unis. Bernanke ne va parfois même pas aussi loin. Il affirme simplement qu’il ne voit pas de pression inflationniste. Il observe même que les risques de voir l’ensemble des prix augmenter est sous contrôle.

En fait, l’inflation arrivera par « surprise ». Car elle arrive toujours de nulle part pour vous heurter violemment. La politique monétaire ressemble à la voile. On vogue tranquillement vers la péninsule. Rien. Puis, le vent gonfle les voiles si rapidement qu’il couche le bateau. Actuellement, les États-Unis ressemblent à un voilier qui vient tout juste de prendre la mer. La tempête arrive et le marin ne le sait tout simplement pas encore.

Ce type de « surprise » nous est déjà tombé dessus. Lors de la 1ère guerre mondiale, une version de l’indice des prix la consommation dans les zones urbaines, appelé CPI-U, passa de 1% en 1915 à 7% en 1916 puis 17% en 1917. Ce fut vraiment soudain. Comment en est-on arrive là ? Le Trésor américain fit des dépenses colossales qu’il finança par la création monétaire tout en prétendant qu’elles seraient compensées par des ventes complexes d’obligations « Liberty » et des blâmes à l’égard des citoyens afin qu’ils épargnent davantage.

Un pays dans le déni

En d’autres termes, l’administration de Woodrow Wilson était dans le déni, pratiquant une politique qui avait tout de l’inflation sauf le nom. A propos d’un programme visant à rendre plus de monnaie disponible, le représentant républicain de Pennsylvanie L.T. McFadden commentait: « si l’administration pense que l’inflation est nécessaire pour financer la guerre, la meilleure façon de procéder est d’émettre directement des obligations. » Si bien que, pour comparer à la voile, après avoir laissé tanguer le bateau si fort, le Trésor et la Fed ont d’abord dû le ramener de l’autre côté avant de pouvoir corriger quoique ce soit. Cela a consisté à pratiquer pendant plusieurs années une politique de monnaie saine, avec une déflation de 10% et un chômage élevé.

L’histoire offre d’autres exemples. En 1945, tout semblait allait pour le mieux. L’inflation était de 2%, au moins officiellement. En deux ans, ce niveau passa à 14%. De même, tout semblait au beau fixe en 1972. Puis, l’inflation grimpa à 14% en 1974 et garda un niveau élevé pendant toute la décennie, diminuant par la même la qualité de vie d’une très grande partie de la population.

Il fallut payer des taux d’intérêt plus élevés pour juguler cette inflation et se contenter d’une maison plus petite ou sans piscine. L’inflation a cette manie de connaître des phases d’accélération. L’épisode le plus surprenant à cet égard est celui de l’Allemagne en 1922. À l’époque, la plupart des analystes financiers pensaient que les autorités ne produisaient pas suffisamment de monnaie !

« Rigueur monétaire en Allemagne : les cause d’une déflation monétaire rapide et anormale à la fin de l’année » titre le New York Times. Les allemands ne le savaient pas encore mais ils venaient de faire de leur monnaie un papier tout juste bon à en couvrir les murs. L’année suivante allait marquer le début d’une phase hyper inflationniste pendant laquelle le niveau général des prix augmentait de plus de 50% par mois. Le processus allait tellement vite que les prix changeaient toutes les heures. Mais encore une fois, les autorités du pays furent incapables de reconnaître dans ces symptômes les signes évidents de l’inflation. Elles continuaient à penser qu’il s’agissait d’une simple hausse de la demande de monnaie.

Plus le déni est fort, plus l’inflation qui lui succède s’accélère. L’auteur Daniel Yergin raconte l’histoire de cet étudiant de Freiburg qui, dans un café, avait commandé un café au prix 5 000 marks. Il en commanda un second un peu plus tard. Quand l’addition lui fut présentée, elle était de 14 000. On lui aurait alors dit que pour économiser de l’argent, il ferait mieux à l’avenir de les commander immédiatement.

Un exemple extrême

Le cas de l’Allemagne en 1922 reste l’exemple extrême. Néanmoins, le déni de l’époque est comparable à celui des États-Unis aujourd’hui. Bernanke affirme ainsi que les prix dans un domaine – celui de l’énergie, par exemple – se comportent différemment des prix dans le reste de l’économie. Les Allemands dans leur déni pensaient aussi que leur problème se limitait aux taux de change et que le reste de leur économie allait bien. La tentative du chancelier Joseph Wirthried de faire baisser les prix en réglementant les changes est sans doute aussi risible que celle de Ralph Nader de faire baisser les prix de l’énergie.

S’il est dangereux d’avoir un peu d’inflation et si celle-ci peut s’accroître rapidement, c’est en raison des anticipations des individus. Même si on fait un usage un peu facile de l’expression « perception est réalité », il s’avère que dans le domaine monétaire, c’est tout à fait vrai. Le marché des obligations ne fonctionne pas seulement en fonction de ce que les acteurs voient. Il évolue aussi selon ce qu’ils anticipent de la Fed et du gouvernement. Or, la Fed a clairement montré qu’elle n’hésiterait pas à pratiquer une politique inflationniste. Si les illusions peuvent dégringoler rapidement, la confiance autour de l’idée que le gouvernement saura résister à la tentation de la création monétaire mettra des années à être rétablie. Jerry Jordan de la Fed de Cleveland rapporte que le banquier central Henry Wallich aurait comparé l’inflation à une banane. Une fois qu’y apparait un point noir, il est trop tard.

La raison pour laquelle les marchés n’ont probablement pas encore fait le saut, vient de ce que le dernier épisode inflationniste et la correction qui s’en est suivie, date maintenant de la fin des années 70 et début des années 80. L’eau a suffisamment coulé pour que les marchés financiers ne s’en souviennent plus.

On peut débattre de la question de savoir si la situation actuelle ressemble à celle des années 80 ou serait pire. Une chose est néanmoins claire: nous allons tous atteindre les eaux profondes.

Amity Shlaes est chroniqueuse à Bloomberg et directrice du projet 4% de croissance de l’institut Bush.

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