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Capitaliser doit devenir un enjeu pour les partenaires sociaux

Nicolas Marques, Directeur général de l’Institut économique Molinari, est intervenu devant tous les responsables nationaux des syndicats de salariés, deux associations d’employeurs (CPME et U2P), les ministres du Travail et de la Fonction publique ainsi que leurs cabinets pour défendre la capitalisation retraite dans le cadre du lancement de la Conférence Travail Emploi Retraites qui se déroulera jusqu’en juin 2026. C’était vendredi 5 décembre au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Une première dans cette enceinte qui n’est pas habituée à entendre parler de capitalisation de manière positive.

Nicolas Marques y a souligné que le manque d’épargne retraite est un handicap majeur dans le financement des retraites au XIXème siècle. Si nous étions dans la moyenne des pays de l’OCDE, avec une dose normale de capitalisation retraite (92 % du PIB placés en moyenne au lieu de 13 % en France), nous aurions à minima 60 milliards d’euros de plus par an pour financer les retraites du privé, grâce à des dividendes et plus-values générées par l’épargne retraite. Les prélèvements seraient moins élevés, l’économie plus compétitive et le pouvoir d’achat des ménages plus élevé.

A l’inverse, si la capitalisation n’est pas généralisée, le niveau de vie des retraités va baisser drastiquement d’ici 2070 selon les prévisions du Conseil d’orientation des retraites (COR). Il représentera 88 % du niveau de vie moyen (en intégrant enfants, étudiants et chômeurs). C’est la conséquence d’une double défaillance en matière de retraites :

La répartition, qui représente 98 % des prestations en France, n’a pas assez de réserves pour adoucir le choc démographique. Cela renforce ses déséquilibres financiers. Le régime général géré par l’assurance vieillesse n’a pas mis d’argent de côté. Le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) dispose de 7 fois moins de capitaux que ce que prévoyait son créateur, Lionel Jospin. Tous régimes confondus, les réserves de la répartition (Agirc-Arrco, professions libérales…) représentent à peine 7 mois de prestations contre 17 mois dans l’OCDE. Les réserves françaises sont bien moins développées que dans l’Europe du Nord (35 mois en Finlande, 50 mois en Suède) ou même que dans le monde anglo-saxon combinant répartition et capitalisation (14 mois aux Etats-Unis, 30 mois en Australie, 56 mois au Canada).

Le manque de capitalisation retraite est un danger pour la répartition et le pouvoir d’achat des futurs retraités. Contrairement aux idées reçues, la capitalisation n’est pas l’ennemie de la répartition. Au contraire, c’est la meilleure façon de l’épauler lorsque le ratio cotisant par retraité se dégrade, comme le montre l’exemple vertueux des pharmaciens libéraux. Leur régime complémentaire (CAVP) combine répartition et capitalisation depuis 2009, ce qui a sauvé la répartition des pharmaciens et permet de financer des retraites significatives en dépit d’un ratio cotisant/retraité extrêmement défavorable (0,9 cotisant pour 1 retraité). L’existence d’une dose significative de capitalisation (39 % des cotisations et 49 % des prestations) protège la répartition, car elle permet de moins la solliciter. Cela économisera ses réserves financières. Si nos régimes complémentaires – et notamment l’Agirc-Arrco – s’appuyaient à la fois sur la répartition et la capitalisation, le niveau de vie des retraités ne serait pas appelé à baisser drastiquement d’ici 2070. Il serait même préservé.

Le manque de capitalisation est aussi un défi en matière d’équité et d’inégalités patrimoniales. A ce stade, seules quelques professions bénéficient de la capitalisation. C’est le cas des 4,5 millions de fonctionnaires qui cotisent tous à l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP), de certaines professions libérales (dont les pharmaciens), ou des personnes qui cotisent de façon volontaire dans des Plans d’épargne retraite, à titre individuel (PER individuel) ou grâce à leur entreprise (PER obligatoires, PER collectifs…).

Mais une partie significative de la population n’est pas protégée contre l’inéluctable baisse des retraites par répartition. Si la capitalisation était généralisée dans le secteur privé, avec un équivalent de l’ERAFP destiné aux salariés du privé, tous les salariés cotiseraient tous les mois et les inégalités patrimoniales ne seraient pas appelées à croître, comme le craint Thomas Piketty dans son Capital au XIXème siècle.

Le manque de capitalisation est aussi un problème pour le financement de l’innovation et la souveraineté. Nous étions parmi les leaders dans les premières révolutions industrielles, aux côtés de l’Angleterre et de l’Allemagne, parce que nous avions des capitaux placés à long terme. Au XIXème siècle, l’épargne retraite des ouvrières ou des classes moyennes était capitalisée et permettait de financer les investissements clefs de l’époque (chemins de fer, canaux, industrie…). Nous sommes en retard au XXIème siècle parce que nous avons détruit notre stock d’épargne retraite, avec deux guerres mondiales et l’inflation, et ne l’avons jamais reconstitué depuis. Cela ne posait pas de problème durant les Trente glorieuses, lorsque le financement de l’Etat, des banques et des assureurs était significatif. Mais ce n’est plus le cas de nos jours. Les Etats imprévoyants – et en particulier la France – sont déficitaires. Les banquiers et les assureurs sont bridés par les réglementations. Ces acteurs ne sont pas en position de financer l’innovation de rupture. Les pays sans épargne retraite – l’épargne longue par excellence – sont déclassés. A l’opposé les Etats-Unis, leaders de la capitalisation retraite, caracolent en tête de l’innovation.

Le choix pour les partenaires sociaux est simple. Être moteurs dans la généralisation de la capitalisation retraite, ou ne pas relever le défi et ne rien faire pour conjurer la dégradation du niveau de vie des futurs retraités. Dans ce deuxième cas, la France ne rattrapera jamais le retard qu’elle a accumulé en matière d’épargne retraite et les prévisions du COR se réaliseront, avec des retraités plus pauvres que la population moyenne d’ici 2070.

Le bon sens serait que les partenaires sociaux mettent en place un étage par capitalisation au sein de l’Agirc-Arrco. Ce régime paritaire – qui distribue des retraites sans jamais générer de dette – dispose de tous les savoir-faire pour organiser une capitalisation retraite, puisqu’il gère des réserves depuis 1947.

A contrario, si les partenaires sociaux se défilent, ils affaibliront le collectif et laisseront aux seuls assureurs et banquiers le soin d’organiser le sauvetage individuel des retraités. Une approche que refusait Jean Jaurès, fervent défenseur de la capitalisation retraite dans les années 1900. Le créateur du Parti Socialiste militait pour une généralisation de la capitalisation retraite qu’il concevait comme un acquis social de la classe ouvrière et un moyen de généraliser le partage des profits.

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