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Pas de remise en ordre des finances publiques sans changement de méthode

Emmanuel Macron et son exécutif espèrent dégager 10 milliards d’euros de coupe budgétaire en s’attaquant notamment à la justice, la défense, l’aide au développement ou la cohésion territoriale. Est-ce une démarche à la hauteur des enjeux ? Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari répond aux questions d’Atlantico.

Atlantico : Quel sera l’effet de telles coupes sur notre économie ? N’est-on pas en train d’affaiblir sciemment la puissance de l’Etat ?

Nicolas Marques : Le gouvernement est dans l’affichage. Il a fait voter un budget prévoyant 685 milliards d’euros de dépenses pour 2024, financées par 538 milliards de recettes et 147 milliards de déficit. Quelques semaines plus tard, il réalise que la conjoncture est moins bonne que ce qu’il pensait et organise 10 milliards de gel de dépenses. Cela représente à peine 1,5 % des dépenses, soit une anecdote. Sa démarche est, il faut bien le dire, particulièrement brouillonne. Le gouvernement vient de faire adopter un budget, il devrait s’y tenir sauf aléa majeur. Naturellement, il est nécessaire et possible de faire des économies, mais ce n’est pas en votant des budgets structurellement déséquilibrés puis en rabotant à la marge quelques lignes de dépenses qu’il rétablira la situation. Pour 2024, le budget prévoit que l’Etat dépensera 27 % de plus que ce qu’il va encaisser. Il devrait épuiser ses ressources de l’année le 14 octobre et vivre ensuite 78 jours à crédit. Réduire – à la marge – les dérapages n’est pas une démarche à la hauteur des enjeux. En refusant de de se doter des moyens permettant de remettre en ordre structurellement les finances publiques et en cherchant des « petites économies » à court terme, l’Etat ne rend service à personne. Décider de geler 10 milliards d’autorisations de dépenses votées, sans revoir le périmètre d’intervention de l’Etat et surtout son organisation, c’est prendre le risque d’arriver à un résultat contre-productif. Bien sûr, le budget de l’Etat sera moins déficitaire que prévu à la fin de l’année, mais l’approche strictement comptable constitue la pire des façons de faire des économies. Pour réaliser des économies durables, il est nécessaire de redéfinir les priorités de l’Etat et surtout sa gouvernance financière.

Dans quelle mesure est-il possible, à court terme, de réduire la dépense publique française sans pour autant affaiblir l’Etat et ses secteurs clefs ? Comment préserver, également, la croissance française ?

Nicolas Marques : Vu le caractère défaillant de la gouvernance financière de l’Etat, la réduction des embauches de fonctionnaires constitue une des rares variables d’ajustement susceptible de générer des économies d’un point de vue comptable. Ce n’est guère étonnant, car l’Etat n’a pas su construire ou faire émerger en son sein des gouvernances respectueuses des enjeux financiers. Or, ces gouvernances sont indispensables pour remettre en ordre les finances publiques et restaurer le rapport qualité/prix des services publics.

Au regard de la façon dont l’Etat est organisé, mais l’on devrait dire désorganisé, rationner les lignes budgétaires et les embauches est un des rares leviers qui existe. Seulement, la réduction des embauches n’est pas un gage de bonne gestion. Elle peut engendrer des problèmes significatifs dans les secteurs sous tension ayant besoin de monter en puissance. Dans le domaine de la justice, par exemple, il faut s’attendre à des encombrements et à des durées de procédures qui augmentent. Dans le domaine de la santé, prétendre faire des économies en réduisant la prise en charge des affections de longue durée par l’Assurance maladie est un non-sens. La dépense sera reportée sur les complémentaires du privé, sans qu’elles aient à ce stade les leviers pour améliorer le service rendu aux malades. De même, revenir sur la politique de baisse de charges, présentée à tort comme des « aides aux entreprises », affaiblira encore plus la croissance, ce qui pénalisera l’emploi et les finances publiques.

Peut-on parler de problème managérial au sommet de l’Etat ? Sait-on seulement comment manager pour réduire la dépense publique ? 

Nicolas Marques : Il y un problème de gouvernance de l’Etat, qui s’avère incapable de faire sa mue et de remettre en ordre les finances publiques, structurellement déficitaires depuis 40 ans. La priorité du ministère des Finances ne devrait pas être de chercher quelques milliards d’économies, mais de faire en sorte qu’émerge des gouvernances à la hauteur des enjeux.

De bonnes gouvernances sont un prérequis si l’on veut optimiser le rapport qualité/prix des dépenses publiques et mettre un terme aux dérapages financiers. Les retraites du privé en fournissent un bon exemple. L’Etat – qui n’a pas fait le nécessaire pour éviter que les retraites de ses personnels soient un gouffre financier – a été tout aussi imprévoyant s’agissant du régime général du privé qu’il contrôle. La CNAV et le fonds de solidarité vieillesse sont déficitaires les deux tiers du temps depuis des décennies. L’Etat ne les a ni dotés d’une gouvernance les obligeant à rechercher l’équilibre financier, ni des outils permettant de l’atteindre. Une erreur que n’ont pas fait les partenaires sociaux du secteur privé. Depuis 1947, ils cogèrent l’Agirc-Arrco qui distribue des pensions sans jamais générer d’endettement. Les syndicats de salariés et associations patronales ont su mettre en place une vraie gouvernance financière, chose que l’Etat n’a pas réussi à faire. Et ironie de l’histoire l’Etat, au lieu de les imiter, leur met des bâtons dans les roues.

Pour s’en sortir, l’Etat a besoin d’apprendre à traiter les enjeux aux bons niveaux. Certains sujets doivent être traités au niveau central, d’autres de façon déconcentrée ou décentralisée en faisant confiance aux acteurs de terrain.

Les retraites des fonctionnaires sont l’exemple du sujet qui devrait être traité de façon centralisée. L’Etat – contrairement à certaines administrations responsables comme le Sénat ou la Banque de France – a refusé jusqu’à présent de provisionner les promesses de retraites qu’il fait. Or, s’il capitalisait comme le Sénat, l’Etat aurait économisé 29 milliards d’euros par an et aurait réduit son déficit de 30 % en moyenne sur les 15 dernières années. S’il était aussi prévoyant que la Banque de France, avec un provisionnement intégral des retraites des fonctionnaires, il économiserait encore plus, entre 50 et 60 milliards par an. L’Etat, qui contrôle le Fonds de réserve pour les retraites, dispose de tous les outils nécessaires. Il faut qu’il assume ses responsabilité et l’utilise pour provisionner les retraites des fonctionnaires. Le potentiel d’économies est sans rapport avec les 10 milliards de gels de crédits annoncés.

Pour faire des écolonomies, il faudra aussi accepter de sortir du micro-management. Force est de constater que l’Etat a tendance à désinvestir les managers de terrains, à ne pas leur donner les moyens de découvrir les gisements de gains de productivité. C’est quelque chose que l’on observe dans l’ensemble des domaines. La question de l’autonomie des universités est abordée depuis des décennies déjà. Si les universités avaient davantage le contrôle sur leurs moyens, leurs recrutements et la façon de motiver leurs personnels, elles afficheraient des résultats tout aussi bons que leurs homologues étrangères. L’analyse vaut aussi pour les hôpitaux publics, dont les dirigeants sont prisonniers d’une multitude d’injonctions paradoxales. Ils sont censés faire des économies mais n’ont en main que des leviers comptables, les postes et investissement étant la seule variable d’ajustement. Bilan les personnels se découragent, le rapport qualité/prix des prestations se dégrade et les plans d’urgence se multiplient. La méthode descendante, que l’on aime tant en France, ne fonctionne pas. Au lieu de décréter les économies de façon descendantes, au risque de faire plus de mal que de bien, la mission de l’administration centrale devrait être de donner les moyens aux managers de terrain d’identifier et d’exploiter les gisements d’économies. Les entreprises l’ont bien compris, lorsqu’on veut faire des économies dans un service, la meilleure façon d’arriver au résultat est souvent celle qui consiste à donner les clefs du camion aux équipes concernées, en créant la structure d’incitation permettant d’atteindre le résultat recherché.

Enfin, il faut que l’Etat se dote de bons outils de pilotage. Là encore, l’Etat a été défaillant. Les projets de loi de finances sont toujours votés par les assemblées selon une logique annuelle de comptabilité de caisse, alors que cette méthode est inadaptée. Une vraie comptabilité en droits constatés intégrant une vision patrimoniale à long terme est indispensable si l’on veut penser et réaliser des économies durables. Elle existe depuis les années 2000, mais elle est produite après coup, ce qui est une anomalie.

 

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