Pas de transition climatique sans capital
Le rapport de France Stratégie a montré l’ampleur des investissements nécessaires pour financer la transition climatique. Mais sans un recours à de l’épargne retraite grâce à des fonds de pension, qui investissent sur le long terme, le capital disponible risque d’être insuffisant. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Les Échos.
Après McKinsey en 2022 (9.200 milliards par an entre 2021 et 2050), la London School of Economics (LSE) en 2022 également (4.000 milliards entre 2020 et 2050) , c’est au tour de France Stratégie d’estimer le montant des investissements nécessaire à la transition énergétique. Dans un rapport récent sur « Les incidences économique de l’action pour le climat » , l’institution rattachée au Premier ministre estime que la décarbonation va appeler un supplément d’investissements d’ampleur (plus de 2 points de PIB en 2030), par rapport à un scénario sans action climatique. Selon le rapport, « la bonne méthode pour piloter la transition doit reposer sur un équilibre entre subventions, réglementation et tarification du carbone. » A l’entendre, la France et l’Europe seraient en bonne position puisqu’elles maîtrisent ces trois instruments.
C’est oublier un peu vite, comme le rappellent toutes les estimations à ce sujet, que les investissements seront publics et privés et qu’en la matière, l’Europe manque d’un mécanisme capable de drainer l’épargne vers l’investissement grâce à des places boursières de la taille du Nasdaq.
Un investissement de long terme atrophié
En effet, le bon positionnement de la Grande-Bretagne et de la France dans la première révolution industrielle est historiquement lié à l’existence d’un stock d’épargne significatif et à son drainage au profit des chantiers de l’époque, qu’il s’agisse des infrastructures (canaux, chemins de fer…) ou de l’industrie. Or aujourd’hui, l’Union européenne souffre d’un déficit de capitalisation boursière de 10.400 milliards d’euros. C’est autant de moyens qui manquent pour financer la transition énergétique, et toutes les innovations technologiques dans le numérique, la deeptech, l’alimentaire ou le médical.
Acteurs de long terme, avec des capitaux placés pour des années, voire des décennies, les fonds de pension jouent dans le monde un rôle majeur dans le soutien à l’innovation.
Cet enjeu financier devrait être considéré comme prioritaire. Sans lui, les intentions risquent de se cantonner à de pures incantations. En dépit des efforts de certaines places boursières pour accroître leur attractivité, et notamment d’Euronext-Paris, les capitalisations européennes ont progressé moins vite sur les dix dernières années.
L’Union européenne est dépassée par les Etats-Unis, mais aussi en perte de vitesse vis-à-vis du reste du monde sur les marchés actions, clefs pour le financement de l’innovation. Elle souffre d’un investissement de long terme atrophié, ce qui pénalise le développement des fonds propres des entreprises. La capitalisation des entreprises y représentait 70 % du PIB, contre, en moyenne, 147 % du PIB dans l’OCDE fin 2020.
Développer à grande échelle l’épargne retraite
Si l’Europe est en retard, c’est parce que les fonds de pension, qui détiennent 30 % des 100.000 milliards de dollars placés en Bourse, nous font défaut . Par rapport à la moyenne de l’OCDE, il nous manquait 8.900 milliards d’euros d’épargne retraite fin 2020. Les fonds de pension représentaient 34 % du PIB fin 2021 dans l’UE, contre en moyenne 100 % dans les pays de l’OCDE.
Acteurs de long terme, avec des capitaux placés pour des années, voire des décennies, les fonds de pension jouent dans le monde un rôle majeur dans le soutien à l’innovation. Ils permettent de financer des « détours de production » longs.
Financer l’investissement exclusivement par de l’endettement est une impossibilité. Compte tenu des masses financières en jeu, il est impératif de développer à grande échelle de l’épargne-retraite, et notamment des capitalisations collectives, pour alimenter un « Nasdaq européen ».
Pour en savoir plus, lisez notre étude quantifiant le manque d’épargne longue (2023) et notre rapport co-écrit avec CroissancePlus (2021).