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Santé publique: l’urgence d’une approche collective

La santé publique devrait se penser avec et non pour la population. Rendu public par décision du tribunal administratif de Paris, le rapport de l’Igas sur le pilotage de la réponse à la crise sanitaire néglige ce point essentiel. Tribune cosignée par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans L’Express.

Dès 2020, une fois la première vague atténuée, il était possible de choisir un angle d’approche différent. L’empowerment (1) est un levier de santé publique fort. Mais développer le pouvoir d’agir collectif et individuel demande des prérequis : un meilleur accès à l’information, le développement de compétences nécessaires à sa compréhension et à son appropriation, une implication dans les processus de décision – y compris pouvoir faire remonter les besoins et les demandes. Cela implique aussi un changement de positionnement : il faut reconnaître à la population des capacités organisationnelles et décisionnelles, ne plus se penser en seuls experts mais au contraire en accompagnants.

C’est ce que n’ont pas fait nos gouvernants. L’empowerment est dangereux : il nécessite de donner la faculté d’agir contre les inégalités, de tolérer l’autodétermination, de lâcher du lest sur le pouvoir, et ce n’est pas dans l’air du temps.

La promotion d’une prétendue responsabilité individuelle sans qu’aucune de ces conditions ne soit remplie était vouée à l’échec : on a privé la population de sa capacité de responsabilisation. En donnant de fausses informations, en méprisant ses aptitudes, mais aussi en la scindant en différents groupes comme s’ils étaient indépendants les uns des autres : Il fallait enfermer les personnes âgées et les personnes avec comorbidités, conspuer les jeunes irrespectueux, considérer que les enfants français magiques ne risquaient rien pendant que d’autres devaient trimer vaille que vaille. De même, l’héroïsation des soignants les a placés en dehors de tout groupe communautaire, dans un dangereux et surréaliste déni de leur vie privée. Tout a été mis en place pour rendre impossible le moindre empowerment.

Le chaos actuel, entre déni, défiance et fake news, est la résultante de ce qui n’a pas été fait. Aujourd’hui l’état de notre système de soins nécessite urgemment, même hors Covid, une appropriation de la santé par la population.

Dès 2020, il aurait fallu :

  • Communiquer les bonnes informations avec humilité. Reconnaître que la société, qu’elle soit civile, scientifique ou médicale, avait encore à apprendre, et qu’il était possible d’avancer ensemble.
  • Reconnaître que l’erreur était possible et les informations soumises à évolution. Le meilleur exemple reste l’absence de communication sur la transmission par aérosols du virus, uniquement relayée par quelques scientifiques et militants avec le hashtag #CovidIsAirborne.
  • Donner accès à la culture scientifique de base permettant de comprendre la situation. Plutôt que d’énumérer les morts chaque soir à la télé, expliquer les caractéristiques des virus, leurs modes de transmission et l’évolution de l’état des connaissances sur le Covid-19, pour poser les bases d’un accès localisé et adapté à l’information.
  • Fuir les discours clivants pour encourager la prise de conscience de la diversité, de notre besoin d’agir et d’exister collectivement. Oublier de ce fait la méritocratie et l’individualisme de rigueur ces dernières années.
  • Expliciter les différentes options possibles, les conséquences prévisibles et la part d’inconnu. Accepter les peurs, critiques et interrogations sans les minimiser. Donner des points de repères. Permettre à chacun d’avoir un niveau d’alerte satisfaisant, individuel ou collectif.
  • Ne pas faire de la science une question d’opinion. Accepter que les faits ne sont pas encore sûrs ou connus n’est pas accepter que les faits démontrés sont sujet à débat. La terre n’est pas plate.
  • Favoriser, par tout moyen, le développement d’activités sociales malgré le contexte sanitaire, pour s’appuyer sur la force collective : inventer des lieux configurés pour minimiser la transmission, permettre aux professionnels d’y exercer et au public d’y être citoyen.
  • Donner des moyens matériels de défense et de prévention, dans tous les champs nécessaires et adaptés aux spécificités territoriales.
  • Sortir du tout-médical (ou du tout-hospitalier). La santé ne doit pas se penser qu’en termes médicaux : elle est une composante du quotidien et influe sur la possibilité des personnes à prendre l’entière part de leur citoyenneté, à étudier, à travailler, à se distraire, à se loger, à être autonome.

« On ne rattrapera pas les vies perdues »

Ce n’est qu’en le comprenant que nous pourrons faire mieux. Les conduites préventives ne sont suivies que si elles recueillent l’adhésion. Plus la participation aux décisions est active et impliquée, plus l’adhésion est importante et favorise la prévention. Se représenter d’une part la pandémie actuelle et d’autre part les défis à venir sans pensée globale exclut d’emblée la possibilité de penser une santé qui serait publique.

La difficulté principale de l’empowerment, et par extension de la prévention en santé, c’est que les effets n’en sont pas immédiats. Les mesures d’urgence étaient difficilement évitables en mars 2020. La suite a été et reste catastrophique. Le refus de se projeter autrement mène vers la mort, le handicap ou plus généralement une qualité de vie détériorée, y compris dans le champ de la santé mentale elle aussi abîmée par les maltraitances gouvernementales. On ne rattrapera pas les vies perdues, ni celles abîmées par le Covid Long, et chaque jour qui passe en apporte d’autres. Chaque déni ajouté au précédent renforce aussi les conséquences des discriminations subies par les personnes vulnérables – manque d’accès aux soins, à la vie sociale, à la participation citoyenne.

On ne pourra jamais revenir en arrière, mais on pourrait encore aller de l’avant. La question est : combien de morts et de souffrances, de drames, de défis et de catastrophes faudra-t-il ? Sommes-nous capables d’apprendre de nos erreurs et de faire mieux à l’avenir ? C’est la question d’urgence à laquelle nous devons répondre collectivement, gouvernants et citoyens.

(1). Processus par lequel une personne, ou un groupe social, acquiert la maîtrise des moyens qui lui permettent de se conscientiser, de renforcer son potentiel et de se transformer dans une perspective d’amélioration de ses conditions de vie et de son environnement.

Signataires

Natica BARTKOWIAK, Assistante sociale

Elisa ZENO, Ingénieur de Recherche, co-fondatrice Ecole et Familles Oubliées

Louis LEBRUN, Médecin spécialiste de santé publique

Dominique COSTAGLIOLA, Directrice de Recherche Emérite INSERM

Yvanie CAILLE, fondatrice de Renaloo

Cathie ERISSY, Secrétaire Générale de l’APPI Association de Promotion de la Profession Infirmiere

Jérôme MARTY, Président UFMLS

Thierry AMOUROUX, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI

Cristina MAS, Collectif Covid Long Pédiatrique

Céline CASTERA, Association #ApresJ20 Covid Long France

Julie GRASSET Présidente association Coeurvide19

Gwen FAUCHOIS, Activiste santé, ancienneVice-Présidente d’Act Up-Paris

Michaël ROCHOY, Médecin généraliste, cofondateur de Stop-Postillons

Matthieu CALAFIORE, Médecin généraliste, Directeur du département de médecine générale de Lille

Cécile PHILIPPE, Institut économique Molinari

Marie-Aude VISINE, Cadre FPE, ambassadrice de la cohorte ComPaRe covidlong, patiente experte

Arnaud MERCIER, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas

Pauline NEXON

Michela FRIGIOLINI, Ancienne membre d’Act Up-Paris (1992-1996)

Christian LEHMANN, médecin généraliste, écrivain

Matthieu PICCOLI, Médecin des hôpitaux, gériatre

Dr Florent TETARD, Maitre de Conférences, LSPM CNRS, Université Sorbonne Paris Nord

Corinne DEPAGNE, Pneumologue

Philippe BORREL, Auteur et réalisateur de films documentaires

Raphaëlle LAPOTRE, Conservatrice des bibliothèques, École et Famille Oubliée

Isabelle BAUTHIAN – Écrivaine, vulgarisatrice scientifique

Matthieu CHAUVEAU, Professeur Certifié

Solenn TANGUY, Rédactrice pédagogique, collectif Winslow Santé Publique

Marion PONSOT, Assistante d’équipe de recherche

Nathalie PIAT, Développeuse iOS

Dr. Christophe LEFEVRE, Médecin (non je n’ai aucun lien avec o. véran et Dieu m’en garde !

Valérie REVERT, Parent d’élèves

Alexander SAMUEL, Enseignant

Solenn LESVEN, Parent d’élèves

Valentin THERY, Technicien dans l’industrie pharmaceutique

Armelle VAUTROT, Universitaire et thérapeute, militante de l’empowerment en santé mentale (psychoéducation et réhabilitation psychosociale notamment)

Maëe SÉBILLE, Graphiste

Christophe PONSOT, Ingénieur

Sandrine GLAIZAL, Personnel éducation enseignement supérieur

Davide BENEVENTI, Chercheur

Benoît HALLINGER

Laure SOULE, Parent

Dominique LANG, Cadre infirmier en prévention et contrôle de l’infection

Igor AURIANT médecin Réanimateur

Arthur BABET, développeur informatique

Yannick FREYMANN, medecin

Marie-Anne PANET, Médecin, membre du collectif NoFakemed

Denis AVIGNON , étudiant

Priscillia FAUTRAT, Collectif Winslow

Emilie TRAN – Ecoles et Familles Oubliées

Corinne PLANTE, Commerçante

Emmanuel CAILLET, architecte

Stéphanie EVEILLARD, mère au foyer

Franck CLAROT, radiologue, légiste

Lonni BESANÇON, chercheur

Cécile Philippe

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