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Vivre avec le Covid, c’est accepter d’investir pour réduire sa portée humaine et financière

Les séquelles laissées par le Covid pourraient réduire significativement la croissance potentielle tout en augmentant les charges collectives. Texte d’opinion par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publié dans L’Opinion du 17 février.

Il y a un an, la plupart des pays du G10 abandonnaient un grand nombre de mesures visant à stopper le Covid-19. La promesse était un retour à la normale, la combinaison des vaccins et de l’immunité collective étant censée éteindre l’épidémie ou la contenir à des niveaux n’ayant plus d’impact sur la santé et l’économie. Le bilan reste très mitigé. Si le nombre de morts a fortement diminué en 2022, avec 35 000 décès recensés avec Covid en 2022, la surmortalité reste significative, avec 60 000 morts de plus par rapport à 2019.

Par ailleurs, l’impact du Covid long commence à être reconnu et pourrait être significatif pour les sociétés développées fondées sur la division du travail. Si un très grand nombre d’incertitudes entoure ce sujet, nombre de travaux indiquent que le phénomène mérite de s’y intéresser tant les conséquences économiques et sociales pourraient être importantes.

Les séquelles laissées par le Covid pourraient réduire significativement la croissance potentielle (croissance moindre dans les secteurs exposés, contraction de la force de travail…) tout en augmentant les charges collectives (hausse des dépenses de santé …). Le risque existe que cette pandémie provoque un effet ciseau négatif pour nos économies et les finances publiques.

Qu’est-ce que le Covid long

Le Covid long fait référence aux symptômes prolongés, fluctuants et multi-systémiques qui se développent puis persistent après une infection par le virus SARS-COV-2. Les symptômes répertoriés peuvent être respiratoires, cardiaques, neurologiques, vasculaires, dermatologiques, ORL, digestifs… et toucheraient, selon une étude portant sur une cohorte très importante publiée dans Nature, jusqu’à 12 % des adultes infectés et vaccinés.

Si des données s’accumulent sur le caractère non anecdotique du Covid long, ce qui reste aujourd’hui incertain, c’est la résolution des problèmes chez ceux qui en souffrent et la dynamique de l’épidémie.

Les effets cumulatifs de l’infection répétée par le Covid-19 sont encore mal compris mais il semblerait qu’ils existent. Pour certains, chaque nouvelle infection pourrait être associée à des risques plus élevés. Dans une étude récente, Ziyad Al-Aly, épidémiologiste clinique à l’université Washington de St. Louis, suggère que le Covid long est plus répandu chez les personnes ayant contracté plusieurs infections que chez celles qui n’ont été malades qu’une seule fois. Laith Abu-Raddad, épidémiologiste spécialisé dans les maladies infectieuses au Weill Cornell Medicine-Qatar, émet l’hypothèse que « chaque nouvelle infection soit une nouvelle occasion pour le Covid long de frapper ».

Si leurs craintes étaient vérifiées, cela pourrait à terme créer des situations problématiques pour les systèmes de protection sociale et, au final, des tensions pour nos sociétés capitalistes. Seul le temps permettra de trancher. Reste qu’à ce jour des éléments préoccupants indiquent que les marchés du travail sont déjà impactés.

Impact du Covid long sur les marchés du travail américains, anglais et français

C’est sur les marchés du travail anglais et américains que le Covid long semble avoir un effet visible.

Ces pays sont fréquemment en plein emploi, il n’est pas surprenant que des tensions puissent y être visibles plus rapidement.

Aux Etats-Unis, le taux de participation au marché du travail n’a jamais retrouvé le niveau de février 2020 (63,3 %). Le Bureau of Labor Statistics indiquait qu’il était à 62,4% en janvier 2023 et qu’au lieu de remonter comme anticipé, il stagne depuis 10 mois. Selon les auteurs d’un document diffusé par le National Bureau of Economic Research, on assiste à l’apparition d’un nouveau phénomène social, celui de « longue distanciation sociale » qui concernerait 58% de la population.

Ainsi, on découvre que dans la mesure où le Covid n’a pas disparu, certaines personnes ne sont pas encore prêtes à baisser la garde ou en état de revenir sur le marché du travail. Seules 42 % des personnes interrogées dans le cadre d’une enquête sur les habitudes de travail (SWAA) ont déclaré prévoir un « retour complet » aux activités auxquelles elles participaient avant la pandémie. A la Federal Reserve, Brendan M. Price constate que « les individus qui ont un Covid long sont environ 3 points de pourcentage moins susceptibles d’être employés que ceux qui ont eu Covid, sans expérimenter de symptômes de plus de trois mois. »

Comme le phénomène pourrait toucher entre 7,7 et 23 millions de personne, ders chercheuses ont essayé d’en évaluer le coût récurrent. David Cutler (Université Harvard) arrive au chiffre de 3 700 milliards de dollars sur 5 ans, en tenant compte de trois types de coûts : la perte de qualité de vie sur 5 ans (2 195 milliards de dollars), la perte de revenu (997 milliards) et la hausse des frais de santé (528 milliards). A la Brookings Institution, Katie Bach estime que le coût annuel des seules pertes de salaire à entre 170 et 230 milliards de dollars

Même son de cloche en Angleterre où les données s’accumulent aussi. Le Chartered Institute of Personnel and Development (CIPD, association de professionnels de la gestion des ressources humaines) révélait en février 2022 que « 26 % des employeurs considèrent désormais le Covid long comme une cause principale d’absence pour maladie de longue durée ». En mai 2022, Michael Saunders, économiste à la Banque d’Angleterre s’inquiétait de ce que depuis le quatrième trimestre 2019, le nombre de personnes âgées de 16 à 64 ans qui sont en dehors de la population active et ne veulent pas d’emploi a augmenté de 525 000, dont 320 000 personnes souffrant de maladie de longue durée et 35 000 de maladie courte.

En France, les données sont moins nombreuses mais dans son Baromètre annuel Absentéisme 2021, Malakoff Humanis note que les arrêts liés au Covid étaient en hausse significative en 2021. Ils représentaient 12 % des arrêts, contre 6 % en 2020. Sur les 9 premiers mois de 2022, les indemnités journalières versées par l’Assurance maladie au titre de la maladie (hors accident du travail) étaient en hausse de 50 % par rapport à 2019, de 20 % par rapport à 2021 et même de 5 % par rapport à 2020 époque où aucun vaccin n’était disponible.

Le choix n’est pas entre « tout ou rien »

Le Covid long commence à devenir un phénomène de société de plus en plus difficile à ignorer, dont l’impact sur les entreprises et le monde des affaires pourrait être important. Avec la multiplication des travaux scientifiques, il apparait de plus en plus probable que la pandémie a des conséquences sanitaires et économiques durables. Si les coûts se rapprochent des évaluations formulées à ce jour, nous devrions déployer des mesures de prévention qui – sans nuire aux libertés – permettent de réduire les contaminations devient un enjeu.

C’est très exactement ce que les organisateurs du Forum économique mondial de Davos en janvier ont choisi de faire. Contrairement au discours ambiant qui laisse entendre qu’il serait impossible de se mettre en ordre de bataille contre Covid, ils ont montré qu’il est possible d’avoir une vie sociale normale tout en limitant les contaminations. C’est un formidable arsenal de mesures préventives qui attendait « les principaux leaders politiques, du monde des affaires, artistiques et intellectuels de la société » fin janvier.

Leur site de conférence était notamment équipé de systèmes de ventilation à la pointe de la technologie (filtres Hepa, lampes UVC-222…). Les participants pouvaient ainsi échanger sans crainte, sans avoir besoin de porter des masques. Ce déploiement indique combien le risque est pris en compte par certaines de nos élites et qu’il est possible de l’atténuer.

La pandémie n’est pas finie. Au-delà des mesures individuelles, comme le port du masque lorsque les cas remontent, des investissements collectifs peuvent être faits afin d’améliorer la qualité de l’air dans les espaces publics. Sur ce point la France est très en retard, notamment dans l’équipement des écoles en purificateurs, en dépit des discours publics volontaristes.

Vivre avec covid, c’est accepter que – comme pour beaucoup de risques du quotidien – il faut savoir investir pour en réduire la portée humaine et financière.

Cécile Philippe

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