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Tordre le cou à 5 contre-vérités sur les retraites

Financer les retraites exclusivement en répartition était commode lorsque la natalité était forte. C’est devenu une gageure depuis le contrechoc du baby-boom. Texte d’opinion par Cécile Philippe et Nicolas Marques, respectivement présidente et directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans L’Opinion.

Le débat retraites devient cacophonique. Outre les traditionnelles oppositions catégorielles – certains publics comme les fonctionnaires ayant intérêt au statu quo – la confusion est nourrie par la communication gouvernementale. Elle n’est ni en phase avec les enjeux réels, ni alignée avec le diagnostic édulcoré du Conseil d’orientation des retraites.

La réforme va mettre fin aux déficits

Selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), avant réforme, le déficit des retraites serait de l’ordre de 20 milliards d’euros en 2030 avec un taux de chômage à 7 %. La réforme réduirait donc de deux tiers les déficits, sans pour autant passer les comptes dans le vert. Même dans l’hypothèse optimiste d’un chômage à 4,5%, les comptes seraient à peine équilibrés.

Mais la situation est bien plus dégradée. Le COR oublie chaque année une trentaine de milliards d’euros de déficits liés à la fonction publique. Il se focalise sur les régimes en répartition et ne tient pas compte des retraites versées par l’Etat aux anciens fonctionnaires. Lors de la publication de son premier rapport en 2001, le COR a posé par « convention » que les retraites versées par l’Etat sont à l’équilibre, au motif qu’elles sont financées par le budget. Cette convention « fait comme si » le budget de l’Etat était structurellement équilibré. Elle oublie que l’Etat employeur est à la tête d’un des régimes de retraite les plus dégradés, avec 0,9 cotisant par retraité, d’où un taux de cotisation retraite hors normes pour les fonctionnaires civils (85% du traitement indiciaire, contre 28% dans le privé).

La réforme vise à sauver la répartition

L’assimilation retraites et répartition est trompeuse. La répartition n’a jamais été généralisée. L’essentiel du déficit de retraites est lié aux fonctionnaires qui ne relèvent pas de la répartition. Les retraites des fonctionnaires d’Etat sont, en effet, financées par le budget depuis 1853, spécificité qui n’a pas été remise en cause en 1945.

La répartition – avec des cotisations sur les salaires des actifs alimentant un pot commun qui finance les pensions des retraités – représente seulement 2/3 des retraites en France. Le reste est financé par des impôts, voire par de la dette depuis le contre choc du baby-boom. D’où le paradoxe de cette réforme. Maladroitement présentée comme « sauvant la répartition », elle vise avant tout à réduire le déficit de l’Etat.

Ajoutons que d’un point de vue social, l’enjeu n’est pas de sauver la répartition, mais le pouvoir d’achat des futurs retraités. Financer les retraites exclusivement en répartition était commode lorsque la natalité était forte. C’est devenu un une gageure depuis le contre choc du baby-boom. Sans natalité, impossible de financer des retraites généreuses. Si l’on n’ajoute pas une dose significative de capitalisation, le pouvoir d’achat des aînés va drastiquement baisser. Selon le Conseil d’orientation des retraites, il reviendra en 2070 au niveau des années 1980, avec 20 % de moins que le reste de la population.

C’est la réforme ou la capitalisation et le chacun pour soi

La capitalisation existe déjà en France. L’assurance vie, l’investissement locatif, les plans d’épargne retraite (PER) en témoignent. La vraie question est de savoir si tout le monde en bénéficiera pour compenser la détérioration des retraites par répartition, ou si la capitalisation restera l’apanage de certains. A rebours du discours officiel, refuser de généraliser la capitalisation, c’est entériner le chacun pour soi.

La capitalisation est devenue depuis la fin du baby-boom un mode économique de financement des retraites. Elle permet de s’appuyer sur les performances des marchés financiers, qui bonifient les cotisations retraite. D’un point de vue collectif, la capitalisation génère de meilleures pensions que la répartition. D’un point de vue macroéconomique, capitaliser plus permettrait d’économiser les prélèvements obligatoires en améliorant le rapport qualité/prix des prestations publiques. D’où la recommandation standard de concilier répartition et capitalisation.

La France est un pays paradoxal. La répartition est surdéveloppée. Les capitalisations facultatives sont très riches (PER individuels, collectifs, obligatoires…). La capitalisation collective, très performante, reste rare. Elle existe chez les pharmaciens (Cavp). Une partie de leur retraite complémentaire est placée collectivement, ce qui permet d’épauler leur répartition moins rentable. Elle bénéficie aussi aux 4,5 millions de fonctionnaires depuis la création de la Retraite additionnelle de la fonction publique (Rafp) en 2005. Ce fonds de pension géré de façon paritaire rapporte en moyenne 5,6 % par an depuis 15 ans. Le bon sens serait de créer un équivalent pour tous les salariés du privé, mais ce n’est toujours pas à l’ordre du jour de cette réforme.

La réforme met fin aux régimes spéciaux

Dans le paysage politique français, les régimes spéciaux (SNCF, RATP…) sont souvent pointés du doigt, mais leur coût est faible par rapport aux retraites que l’Etat verse aux fonctionnaires. Les différents régimes spéciaux ont besoin de 8 milliards d’euros par an (hors agriculture) pour équilibrer leurs retraites, alors que l’Etat a besoin de 33 milliards d’euros de subvention d’équilibre par an pour équilibrer les retraites de ses personnels. Une nouvelle fois, le gouvernement rejoue la parabole de la paille et la poutre.

La réforme laisse ouvert le plus grand régime spécial de France, celui dont l’Etat a promis 2 770 milliards d’euros de pensions aux fonctionnaires en activité et à la retraite. Contrairement aux institutions publiques responsables comme la Banque de France ou le Sénat, l’Etat n’a rien mis de côté pour honorer ses engagements retraite. Cela renchérit la facture pour le contribuable. A l’institut économique Molinari, nous avons calculé que si l’Etat avait géré les retraites de ses fonctionnaires de façon aussi responsable que la Banque de France, il économiserait 53 milliards d’euros par an.

On devrait taxer plus les retraités aisés

Certains considèrent que les retraités sont des « nantis » qu’on devrait taxer plus. Pourtant, prétendre que les pensions sont « généreuses » en oubliant de prendre en compte l’importance des cotisations n’a aucun sens. C’est pour cela que les économistes s’attachent à suivre le taux de rendement interne (TRI). Il met en perspective les pensions reçues tout au long de la retraite au regard des cotisations retraite versées durant la vie active. Si le TRI est élevé, le régime de retraite est une bonne affaire. S’il est faible, ce n’est pas le cas.

Or, ce taux de rendement ne cesse de baisser depuis la mise en place de la répartition. Il était de 9 % pour les générations nées en 1920, quasiment toutes décédées. La vingtaine de milliers de centenaires encore en vie figure parmi les premières générations à avoir validé une carrière complète en répartition. Elle a bénéficié à plein de la croissance économique des 30 glorieuses (1945-1975), à une époque où les taux de cotisations retraite n’était pas élevés. La population active était en forte hausse avec le sursaut de la natalité et la montée en puissance du travail des femmes tandis que les retraités de l’époque, peu nombreux, se contentaient de pensions faibles.

Aujourd’hui, le retraité moyen, né en 1950, bénéficie d’un taux de rendement de l’ordre de 2,5 % lorsqu’on considère le retour sur investissement des cotisations qui ont été prélevées sur son travail. Si ce taux de rendement est supérieur à celui qu’auront les générations futures, il n’est en aucun cas excessif. Les retraités actuels sont pleinement affectés par le changement des règles d’indexation des retraites opéré à la fin des années 1980, qui a freiné la croissance des retraites avec, à ce stade, un manque-à-gagner représentant 10 % des retraites. Surtout, les retraités auraient des pensions bien plus élevées s’ils avaient pu tous capitaliser. L’enjeu, ce n’est pas de raboter les pensions des aînés, mais de faire en sorte que tous les actifs bénéficient de capitalisations retraites, en plus de la répartition à la peine en raison de la baisse de la natalité.

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