Retraites : « L’État fait des promesses sans avoir mis l’argent de côté pour les honorer »
Quelle est votre première réaction à la lecture du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) ?
Nicolas Marques : Les rapports se suivent et se ressemblent. Selon le Conseil d’orientation des retraites, le système français de retraites, positif en 2021 à hauteur de 900 millions, sera excédentaire en 2022 de 3,2 milliards d’euros avant de se dégrader durablement, en raison, notamment, de correction d’hypothèses trop optimistes (productivité et chômage) et surtout, d’une démographie qui n’est plus au rendez-vous. La natalité est le carburant des retraites par répartition. Avoir beaucoup d’enfants, puis d’actifs, c’est l’assurance de pouvoir financer des retraites généreuses avec des cotisations faibles ou raisonnables. Or, on constate qu’il y a de moins en moins d’actif pour un retraité : aujourd’hui, on compte 1,4 actif pour un retraité de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et 0,9 actif pour un retraité dans l’État. Cela veut donc dire que si aucune réforme n’est faite, il faudra augmenter le taux de cotisation, ou servir des retraites moins généreuses, ce qui nuira à la compétitivité économique et au pouvoir d’achat.
Que pensez-vous de la méthodologie du COR ?
Il a une manière bien particulière de faire ses projections qui ne correspond ni aux standards publics internationaux ni à ceux de l’actuariat. Quand le COR analyse les déficits des retraites françaises, il ne s’intéresse qu’au secteur privé. Il oublie le secteur public, au motif que les retraites des fonctionnaires sont financées par le budget, sans prendre en compte son déficit structurel. En matière de retraites, l’État est la principale source de dérapages, avec des régimes spéciaux déséquilibrés et des retraites généreuses. C’est le résultat des promesses faites par l’État qui a défini un taux de remplacement spécifique (rapport entre la retraite servie et le dernier salaire), que les comptes soient équilibrés ou non. L’État employeur a été moins responsable que le secteur privé et notamment les partenaires sociaux qui cogèrent l’Agirc-Arrco. Ils utilisent un système de points qui permet d’équilibrer les comptes, avec des retraites moins généreuses quand les recettes sont moins dynamiques, en raison de la démographie ou de la conjoncture. En résumé, l’État fait des promesses sans avoir mis l’argent de côté pour les honorer.
L’État cotise trois fois plus pour ses agents que les employeurs privés.
Justement, dans quel état se trouve le système de retraite publique ?
Chaque année, l’État dépense 2,6 % de son PIB en retraites (État et administrations centrales), soit à peu près 65 milliards d’euros. Or, le déficit de l’État est de 16 %. Cela veut dire que chaque année, environ 10 milliards n’est pas couvert par des recettes fiscales. Le COR devrait au minimum rajouter ce montant à ses calculs. En fait, le problème est pire que cela. Compte tenu de la démographie des agents de l’État, le régime de retraite des fonctionnaires est déséquilibré. L’État cotise trois fois plus pour ses agents que les employeurs privés. Si le taux de cotisation est de 28 % pour les salariés, il est de 85 % pour les fonctionnaires civils et de 137 % pour les militaires. Cela veut dire que l’État verse une subvention d’équilibre de 57 % pour les premiers et de 109 % pour les seconds. Malgré les dires du COR, c’est bien une subvention pour financer un régime de retraite déficitaire. Il conviendrait donc de rajouter 1,3 % de PIB au déficit calculé par le COR qui ressort à 0,2 % en moyenne. Le véritable déficit des régimes de retraites est donc de 1,5 % depuis 2002. C’est huit fois plus élevé que les conclusions du COR dont les hypothèses ne reflètent pas le vrai dérapage des finances publiques.
Que préconisez vous ?
Il faut faire la vérité sur les chiffres. Il est anormal qu’un institut public calcule le déficit des retraites en oubliant les promesses non financées faites par l’État à ses agents. En valeur actualisée tenant compte de l’espérance de vie, elles représentent le montant faramineux de 2 635 milliards d’euros, soit 105 % du PIB et quasiment autant que la dette publique française (112 %). Je note toutefois que des institutions comme la Banque de France ou le Sénat ont été prévoyantes. Elles ont placé les cotisations retraites pour financer les pensions de leurs agents. C’est une règle de saine gestion qui fait économiser de l’argent public. L’argent mis de côté rapporte des plus-values et des dividendes ; cela permet de financer une partie des retraites sans peser sur les contribuables ou sur les générations futures. Un pays comme le Canada a adopté cette méthode pour financer les retraites de ses fonctionnaires. C’est ce qui nous manque en France. Reculer l’âge de la retraite est une mesure de bon sens. Mais il faut aller bien plus loin, en faisant une réforme structurelle pour adapter notre système de retraites à la baisse de la natalité. La situation actuelle, avec un financement à 95 % en répartition est intenable pour la compétitivité et le pouvoir d’achat. Il est urgent de faire monter en puissance un étage de capitalisation collective pour épauler la répartition à la peine.