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Les trois clefs d’un marché du travail durablement dynamique

Il n’y aura pas de plein emploi sans une baisse massive des prélèvements obligatoires entravant la création de richesse en France, qu’il s’agisse de impôts de production ou des cotisations sociale. Et l’économie ne sera pas prospère si le capital humain est surexposé aux nouveaux risques. Interview avec Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Atlantico le 15 août.

Atlantico : Dans un entretien à plusieurs voix pour Le Point, vous estimez que le plein emploi sans baisse massive des impôts de production et une généralisation de la capitalisation collective ne pourra pas advenir. Pourquoi ces facteurs sont-ils si limitants selon vous ?

Cécile Philippe : On ne peut pas revenir au plein emploi en France tant que la fiscalité et le coût du travail réduiront les opportunités de réaliser des projets profitables. Rappelons rapidement que le profit, lorsqu’il émerge comme résultat d’une activité, indique que les consommateurs ont consenti à payer un prix couvrant à la fois les coûts de production et le surplus du producteur. Plus les coûts sont élevés, plus l’effort demandé à l’acheteur est important. S’il a la possibilité de satisfaire son besoin par un autre moyen, il pourra être tenté de le faire, qu’il s’agisse d’acheter un substitut ou de se tourner vers un concurrent. Bref, une entreprise doit à tout prix contrôler ses coûts si elle veut préserver sa profitabilité. Or, elle n’a pas la main sur deux types de coûts qui représentent aujourd’hui une charge plus élevée en France qu’ailleurs. Il s’agit des impôts de production et des cotisation sociales. Bilan, les excédents d’exploitation des sociétés françaises sont structurellement bas. Ils représentent 17% de la valeur ajouté, contre 26% en moyenne dans l’Union européenne.

Ce décalage est lié notamment à l’importance des impôts de production. Cette fiscalité coût fixe, problématique lorsque les résultats des entreprises se dégradent, est particulièrement délétère pour les activités à faibles marges. Ces impôts poussent aux délocalisations et aux destructions d’emplois.

Ensuite, la faiblesse des excédents nets est liée à l’ampleur des cotisations sociales. Certains pensent que c’est la conséquence d’une couverture plus généreuse qu’ailleurs mais ils se trompent. Le caractère record des cotisations sociales françaises est avant tout lié au choix de financer à plus de 95% les retraites par la répartition. Depuis le contre choc du baby-boom, cette façon de faire est devenue plus coûteuse. Lorsque la répartition a été généralisée en 1945, il y avait 2,8 personnes en âge de travailler pour financer un retraité et les pensions représentaient 5 % du PIB. Aujourd’hui, la situation est radicalement différente, avec deux fois moins de cotisants pour financer des retraites représentant plus de 14 % du PIB. Les cotisations sociales ont explosé, ce qui renchérit le coût du travail. Or, les cotisations sociales sont aussi des prélèvements réalisés en amont du résultat des entreprises. Entre les charges sociales et les impôts de production, les coûts de production explosent, réduisant d’autant les opportunités de se lancer dans des projets profitables et donc d’embaucher.

L’Institut économique Molinari milite pour la généralisation de la capitalisation collective en France. Quelles seraient les vertus de ce système selon vous ?

La capitalisation s’avère plus rentable et économique. Les travaux montrent que le différentiel de rendement répartition/capitalisation est de 1 à 3 en faveur de la capitalisation. A cotisation égale, un salarié se créerait 3 fois plus de droits retraite s’il pouvait capitaliser de façon collective, au lieu de consacrer toute sa cotisation à la répartition.

La capitalisation collective est le pilier qui nous manque en France. Sa généralisation diminuerait à terme le coût de financement de nos retraites. Cela permettrait d’améliorer la rentabilité des entreprises, de créer de l’emploi et du pouvoir d’achat. Plus de capitalisation permettrait aussi d’améliorer la qualité des services publics. Nos finances publiques, et notamment celles de l’Etat, payent le poids du passé. L’Etat consacre 15% des dépenses au financement des retraites de ses anciens employés. Les pensions représentent 33% des dépenses de personnel des ministères, avec des pics à 37% au ministère de l’Intérieur et 41% celui de la Défense. Quand on regarde une fiche de paie d’un fonctionnaire, l’Etat consacre autant d’argent à son traitement net qu’à la pension de son prédécesseur retraité. Le coût et la qualité des services publics, comme le pouvoir d’achat des fonctionnaires sont directement impactés par ces dépenses de l’Etat. Si on parvient à alléger le coût du passé, en finançant une partie des retraites par les dividendes et plus-values, au lieu de dépendre de prélèvements obligatoires, on pourra mieux préparer le futur.

Quelles peuvent être les limites à la mise en place d’un tel système ?

A ce stade, les limites sont surtout dans l’absence de capitalisation collective dans le privé. C’est un manque-à-gagner de l’ordre 60 milliards d’euro par an, soit un cinquième des retraites distribuées ou 3 750 euros par retraité chaque année.

L’enjeu n’est pas de remplacer la répartition par la capitalisation, mais de les faire coexister pour que tous en profitent plutôt que les seuls fonctionnaires, salariés d’entreprises généreuses ou professions libérales clairvoyantes.

Bien sûr, la capitalisation n’est pas immunisée contre les chocs économiques, mais elle les absorbe différemment de la répartition, d’où l’intérêt de mixer capitalisation et répartition. Tout miser sur la répartition est, par nature, un choix peu diversifié et risqué. Il n’est pas totalement exempt de diversification, la répartition permettant aux retraités de profiter de la valorisation du capital humain des actifs. Mais même lorsque la répartition est pratiquée sur des bases larges et assortie de réserves permettant d’amortir les chocs, les risques restent concentrés sur une base géographique, tributaire d’une même démographie et économie. La capitalisation s’organise sur des marchés de capitaux mondiaux, offrant des capacités de diversification géographique n’existant pas dans la répartition. Elle permet, par exemple, d’investir dans des pays plus jeunes d’un point de vue démographique et/ou des économies n’ayant pas atteint nos niveaux de maturité. Elle permet aussi d’amortir les tendances, capacité moins présente dans la répartition ne disposant pas de provisions. Diversifier en combinant capitalisation et répartition fait sens.

Qu’est ce qui peut expliquer certaines réticences à la mise en place des mesures que vous proposez ?

Concernant la capitalisation pour tous, les réticences tiennent en grande partie à la difficulté à comprendre que le tout répartition n’est plus viable depuis le contre-choc du Baby-Boom. Alfred Sauvy soulignait que ce sont les enfants qui paient les retraites par répartition de leurs ainés. Il y a moins d’enfants. Cela rend la situation problématique. Revenir sur le tout répartition n’est pas impossible, contrairement à ce que certains prétendent. La capitalisation collective a déjà été réintroduite en France dans le public avec l’Etablissement de la retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP). Le taux de rendement interne des placements de ce fonds est de 5,6 % par an depuis 2006. Depuis sa création, l’ERAFP a fait gagner aux fonctionnaires de l’ordre de 17 milliards d’euros grâce à ses placements. La capitalisation collective a aussi été réintroduite avec succès par les pharmaciens de la CAVP. Depuis 1990, ils ont financé plus d’un milliard d’euros de retraites grâce aux gains générés par les dividendes et plus-values générées par leur régime de retraite complémentaire.

Concernant les impôts de production, il est clair que le défi principal est de parvenir à convaincre les collectivités locales de l’intérêt de la baisse de ces impôts. En effet, les finances publiques ne seraient pas déstabilisées par la réduction des impôts de production. En revanche, il faudra compenser le manque-à-gagner des collectivités locales qui perçoivent l’essentiel d’une fiscalité de production (66 %) qui représente 28 % de leur financement. La solution la plus prometteuse est le partage des fiscalités traditionnelles, à l’image de ce que font de nombreux pays avec les taxes sur la consommation (Canada, Espagne ou Etats-Unis) ou l’impôt sur les sociétés (Allemagne).

Les deux grandes mesures que vous proposez seraient-elles vraiment suffisantes pour atteindre le plein emploi au vu de ce qu’est le marché du travail actuellement en France ?

Ces deux mesures structurelles sont clef, mais il nous faudra aussi plus de clairvoyance dans d’autres domaines. Nous sommes entrés dans une période de pandémie avec la Covid-19 et l’expérience montre que l’adaptation est problématique. Ce virus continue de tuer des milliers de personnes chaque mois, vague après vague. Certains pensent que l’effet économique à long terme sera limité, Covid touchant avant tout des personnes de plus de 65 ans sorties du marché du travail. Mais c’est oublier que ce virus touche aussi la population active. En France, les arrêts de travail n’ont jamais été aussi élevés et ne diminuent pas. Sur les 6 premiers mois 2022, les indemnités journalières sont en hausse de 44% par rapport à 2019, 3% par rapport à 2020 et 18% par rapport à 2021. La situation, loin de se normaliser, empire. Dans plusieurs pays, on constate que la population active s’est contractée. Certains pensent que c’est exclusivement le symptôme d’une « grande démission ». C’est oublier que les retraits du marché du travail sont pour partie subis. Pour certains, ils sont la conséquence de complications liées au Covid long, comme l’a souligné récemment la Banque d’Angleterre, inquiète des tensions sur le marché de l’emploi anglais.

Et Covid n’est pas le seul risque. La variole du singe a été déclarée récemment « urgence de santé publique de portée internationale » par l’Organisation mondiale de la santé. Certains doutent qu’elle devienne un nouveau défi sanitaire. Ils soulignent que les contaminations actuelles sont associées à des contacts prolongés avec souvent des relations sexuelles. Mais la situation pourrait ne pas en rester là. La variole est connue pour être transmissible par voie aérienne et persistante sur les surfaces. Le virus de la polio fait aussi parler de lui depuis qu’il a été détecté dans les eaux usées de la capitale britannique. Les maladies infectieuses sont à nouveau un enjeu. Si nous ne réapprenons pas à les contrôler efficacement, cela affectera le marché du travail, la création de richesses et sa redistribution. La croissance future est intrinsèquement liée à la capacité que nous aurons à nous mobiliser rapidement et efficacement.

Jean Bodin, philosophe et économiste, soulignait en 1576 qu’« il n’y a richesse ni force que d’hommes ». Des siècles plus tard, son propos est toujours d’actualité. Comment évolueront nos économies et sociétés si nous avons moins d’actifs et qu’ils sont en moins bonne santé ? Comme l’a montré l’économiste Garry Becker, le capital humain est une clef de la prospérité. Apprendre à le préserver est un enjeu individuel et collectif.

Cécile Philippe

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