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La baisse massive des impôts de production, un impératif pour la compétitivité et l’emploi

Les impôts de production, véritables impôts gaspilleurs, détruisent autant de richesse collective qu’ils en créent. Texte d’opinion par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publié dans Institutionnels, la lettre d’information trimestrielle de l’Association française des investisseurs institutionnels.

L’Institut économique Molinari vient de publier une étude inédite sur le caractère délétère des impôts de production français. Elle montre qu’une réduction de 35 milliards d’euros des impôts de production est nécessaire pour harmoniser la fiscalité française au niveau européen, en plus de la baisse décidée par le gouvernement dans le cadre du plan de relance. Contrairement aux idées reçues, cette baisse ne s’accompagnerait pas d’une dégradation des finances publiques à horizon deux ans, le manque-à-gagner généré par la réduction de cette fiscalité amont étant compensé par l’augmentation du rendement des fiscalité traditionnelles et la baisse des dépenses sociales.

Le plan « France Relance », destiné à surmonter la crise économique consécutive à Covid-19 et à réorienter l’activité vers les secteurs d’avenir, intègre une baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production par an. Cette baisse représente 8% des impôts de production bruts d’avant crise (120 milliards d’euros en 2019) et 12% de ces impôts nets (68 milliards), une fois les subventions à la production déduites. Elle comble le quart du différentiel de fiscalité de production pénalisant l’économie française en 2019, une réduction supplémentaire de 35 milliards d’euros étant nécessaire pour revenir dans la moyenne européenne. Pire, l’écart s’est creusé en 2020. Avec la crise et l’augmentation des subventions à la production, les impôts de production nets sont devenus négatifs dans les 2/3 des pays européens. L’an passé, la France avait 58 milliards d’impôts de production nets de subventions, soit 3 fois plus que les 27 pays de l’Union européenne réunis (18 milliards nets).

D’un point de vue théorique, la baisse massive des impôts de production présente toutes les caractéristiques un investissement clef. La recommandation standard des économistes est de privilégier les fiscalités liées aux résultats (impôts sur les bénéfices ou revenus) ou sur la valeur ajoutée comme la TVA. Cette dernière a été précisément pensée par Maurice Lauré dans les années 1950 pour remplacer les impôts de production, délétères pour l’économie. La littérature économique est unanime pour condamner le recours à ces impôts arbitraires. Portant principalement sur l’outil productif (foncier, bâti, masse salariale…), les impôts de production sont déconnectés des résultats des entreprises. Ils pénalisent particulièrement les activités à marges faibles ou les acteurs fragiles et expliquent nombre de fermetures de sites industriels (Bridgestone…). Cette fiscalité s’assimile à une subvention aux délocalisations et aux importations. Elle joue « contre la production », comme l’expose une note récente du Conseil d’analyse économique[1]. En juillet 2020, Philippe Martin, son Président délégué, considérait que c’est le moment de supprimer des taxes contre la production. Selon lui, « on parle de relocalisation, mais il n’y a pas mille instruments pour relocaliser. La baisse des impôts de production en est un »[2].

Pour autant, à ce stade, le gouvernement n’a pas mis en place une trajectoire permettant de ramener les impôts de production au niveau européen. Au-delà des arbitrages entre les nombreuses priorités, une objection fréquemment avancée serait l’absence de marges de manœuvres budgétaires. En cette période d’incertitude sanitaire et économique, il serait difficile, voire impossible, d’organiser une démarche plus significative.

Il est peu probable que cet argument soit fondé d’un point de vue économique et financier. D’une part, les finances publiques sont dégradées depuis des décennies, en dépit de l’importance des prélèvements obligatoires. Cela laisse penser que des hauts niveaux de fiscalité, loin d’être la solution, posent problème.

Surtout, nous ne sommes pas dans le cadre classique d’une réduction d’une fiscalité « aval », pour laquelle la contrepartie à espérer réside dans une augmentation de l’assiette imposable avec un « effet Laffer », compensant tout ou partie du manque-à-gagner pour les finances publiques. La fiscalité de production française est positionnée en « amont » d’autres fiscalités. Elle entre en concurrence avec ces fiscalités traditionnelles, en diminuant les bénéfices et la production. Réduire la fiscalité de production augmente mécaniquement le rendement des fiscalités en « aval ». Dans les documents budgétaires, le gouvernement s’est contenté de chiffrer la hausse du rendement de l’impôt sur les sociétés consécutif à l’amélioration des résultats des entreprises. Or, la réduction des impôts de production suscite des effets positifs allant bien au-delà. Aussi, nous nous sommes attelés à simuler l’impact global d’un alignement des impôts de production sur la moyenne européenne[3].

Nos travaux montrent qu’une réduction de 35 milliards d’euros des impôts de production générerait des effets d’entraînement massifs, avec 156 milliards d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires, 42 milliards de rémunérations et 12 milliards d’excédents nets. Les premiers gagnants seraient les actifs, salariés ou chômeurs, avec 25 milliards de salaires nets supplémentaires et 750 000 créations d’emplois. Cette mesure comblerait une part significative du sur-chômage français, avec 1,3 million de chômeurs en trop par rapport à l’Allemagne à fin septembre. S’agissant des finances publiques, la baisse des impôts de production serait rapidement compensée par les gains de cotisations sociales (+17 milliards), d’impôts sur les sociétés (+7 milliards) et sur le revenu (+2 milliards), de TVA (+1 milliard) et la baisse des dépenses liées au chômage (-11 milliards).

Réduire massivement les impôts de production est avant tout un défi politique. Les collectivités locales françaises perçoivent l’essentiel de la fiscalité de production (66 %). Peu associées au partage des fiscalités traditionnelles, elles ne sont pas, en l’état, en position de récupérer les gains découlant de la réduction des impôts de production. Aussi, l’enjeu est d’organiser une vraie décentralisation financière, avec un partage des fiscalités traditionnelles, à l’image de ce qui se fait chez nombre de nos voisins. Nous proposons d’allouer une partie de l’impôt sur les sociétés aux collectivités, ainsi qu’une fraction de la TVA, pour compenser la réduction massive des impôts de production.

Baisser drastiquement les impôts de production pour les ramener à la moyenne européenne est un enjeu national aux gains très prometteurs. Ce type de changement n’est pas aisé à organiser, en dépit des avantages qu’il procurera. Il est crucial pour réussir cette opération d’y associer au plus tôt les collectivités et éviter ainsi les écueils de la réforme sur la taxe d’habitation.

Notes

[1] Martin P. et Trannoy A. (2019), « Les impôts sur (ou contre) la production », Les notes du Conseil d’analyse économique, n° 53 juin.
[2] Heidsieck L. (2020), « Baisse des impôts de production : pourquoi le projet de Bruno Le Maire effraie les régions », Le Figaro, 10 juillet.
[3] Bentata P. et Marques N. (2021), Les impôts de production contre les salaires, l’emploi et la croissance, Institut économique Molinari, novembre.

Cécile Philippe

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