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Le principe de précaution : risque individuel et risque systémique

Traduction d’un texte d’opinion de Nassim Nicholas Taleb (New England Complex Systems Institute et New York University School of Engineering) et Joseph Norman (New England Complex Systems Institute).

Les décisions prudentes adaptées à l’échelle individuelle ne se transposent pas à l’échelle collective. La sécurité collective peut nécessiter une aversion extrême au risque au niveau individuel, même si cela entre en conflit avec nos intérêts personnels et les avantages que l’on peut en tirer individuellement. La sécurité collective peut requérir qu’un individu soit concerné par des risques comparativement insignifiants pour lui-même.

Prenez le cas du risque d’une épidémie virale (multiplicative), encore à ses débuts. Le risque pour un individu d’attraper le virus est très faible, plus faible que pour d’autres maladies. Il est, par conséquent, « irrationnel » de paniquer (réagir immédiatement et faire du virus une priorité). Mais si cet individu ne panique pas et n’agit pas de manière ultra-conservatrice, il contribuera à la diffusion du virus, qui deviendra une source de nuisance sévère au niveau systémique.

Par conséquent, tout un chacun doit « paniquer » (i.e. produire ce qui semble être une réponse exagérée) de sorte qu’on évite les problèmes systémiques, même lorsque le bénéfice individuel immédiat n’apparaît pas le justifier.

C’est ce qui arrive lorsque le risque systémique est faible pour l’individu mais concerne tout le monde, alors même que les autres risques propres à chaque personne prévalent toujours dans la vie de tout un chacun. Le risque d’un accident de la route peut être plus important à l’échelle individuelle, tout en étant négligeable pour la société.

Dans ce genre de situations, il devient égoïste et même psychopathique de garder ce qu’on appelle un « comportement rationnel » parce que placer sa propre échelle individuelle de risques en conflit avec celle de la société, génère des risques pour la société toute entière. C’est une autre forme de tragédie des communs, si ce n’est qu’il y a ici un enjeu de vie et de mort.

Qui plus est, il a un arbitrage entre le court et le long terme pour le risque propre à chaque individu. Sur le long terme, il y a convergence entre l’aspect individuel, idiosyncratique et l’aspect social, systémique, du risque : votre propre risque s’élève si les autres sont infectés, alors même que les chances de survivre à d’autres maladies décroissent.

Par exemple, durant une pandémie qui épargne principalement les individus jeunes et en bonne santé, une situation d’urgence qui en temps ordinaire relèverait de la routine (médicale) pourrait ne pas être prise en charge à cause d’un manque de ressources. Au-delà de ça, dans une situation de rupture des structures sociales, de nombreux risques supplémentaires émergent pour tous les agents qui ne se résument pas au seul risque individuel d’infection à court terme.

Dans le cas de l’épidémie actuelle de Covid-19, ces effets peuvent être observés au niveau de l’engorgement complète des hôpitaux et de leurs unités de soins intensifs où un foyer épidémique s’installe. Le dépassement de seuils critiques tels que celui-ci, parmi d’autres moins visibles, change la dynamique de la pandémie. Des risques initialement petits s’amplifient et produisent des risques nouveaux qu’on avait pas du tout anticipés, la contagion créant des impacts sur le système social tout entier.

Pour ces raisons, la règle comportementale prudente et éthique pour tous les individus est de mettre en application le principe de précaution à l’échelle locale et individuelle. L’effet multiplicateur de la contagion brise la séparation qui existe entre les échelles de risques individuelle et collective. Il connecte l’individu à la collectivité, faisant de chacun un porteur potentiel et une source de risque.

15 mars 2020
Contact : Nassim Nicholas Taleb, NNT1@nyu.edu
Traduction Institut économique Molinari

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