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Durable pour qui ? L’huile de palme et le débat environnement-développement

Texte d’opinion publié le 17 avril 2017 dans La Tribune.

Début avril, le Parlement européen a voté une résolution concernant la production d’huile de palme en lien avec la déforestation des forêts tropicales. Celle-ci inclut un schéma de certification unique et européen qui s’imposera à toutes les importations d’huile de palme en 2020. Elle est supposée garantir que seule une huile de palme durable pourra entrer sur le marché de l’Union européenne (UE). Elle imposera aussi un étiquetage ou l’utilisation d’autres moyens technologiques pour donner accès à cette information.

Il est devenu courant que des organisations environnementales ou des décideurs politiques exigent l’adoption de mesures sur la base de concepts tels que la « durabilité », la « neutralité carbone », ou encore « l’approvisionnement écologique ». Le but de ces mesures vertes est de minimiser l’impact environnemental de l’action humaine. Il est évident que ces objectifs sont louables et qu’il est bon d’essayer de produire sans nuire à l’environnement. Cependant, on peut aussi se demander si cette lutte contre l’huile de palme peut atteindre son objectif ainsi.

Le résultat d’une demande mondiale

Tout d’abord, il faut bien garder en tête que la culture de l’huile de palme est le résultat d’une demande mondiale d’huile végétale bon marché. Cette demande ne va pas disparaître. Toutes les cultures présentent des avantages et des désavantages. Il n’est ainsi pas surprenant de constater que WWF accuse aussi la production de soja de détruire la forêt amazonienne et d’autres terres sauvages de valeur en Amérique du Sud. Le problème à résoudre est de trouver les meilleurs moyens de répondre à la demande en huile végétale tout en minimisant l’impact environnemental à long terme.

Pour ce faire, il faut garder à l’esprit que l’huile de palme a de nombreux avantages en termes de productivité, de volume de production, de prix, de qualité et de conservation si on la compare à d’autres sources possibles d’huile végétale comme le colza ou le soja. Cela explique évidemment son succès sur le marché. Ainsi, les arbres à huile de palme produisent presque 10 fois plus d’huile à l’hectare que le soja et 5 fois plus que le colza. D’autre part, la production d’huile de palme nécessite environ 70% moins d’engrais, de pesticides et de carburant pour produire la même quantité d’huile de colza ou de soja. Remplacer l’huile de palme par d’autres plantes aura donc un impact environnemental certain.

90% de la déforestation causée par les êtres humains produite avant 1950

Plus important encore, il faut éviter de tomber dans le piège qui consiste à séparer le développement économique de l’amélioration de l’environnement. En effet, l’histoire de la déforestation montre qu’au moins 90% de la déforestation causée par les êtres humains s’est produite avant 1950. Ces derniers ont, en effet, défriché d’importantes zones forestières afin de se fournir en logement, en nourriture, en chaleur et en toutes sortes d’objets. L’utilisation massive du charbon à partir du 19e siècle a néanmoins marqué le début de l’inversion de cette tendance qui allait s’accélérer avec l’avènement du gaz naturel et du pétrole. Ces nouvelles sources d’énergie ne furent pas seulement des substituts aux combustibles issus de la biomasse. Elles améliorèrent aussi considérablement la productivité agricole et réduisirent le besoin en animaux de ferme, qui eux-mêmes consommaient une portion significative des récoltes céréalières. La France a sans doute été le premier pays à expérimenter ce qui a depuis été décrit comme « une transition forestière », à savoir que la surface consacrée aux forêts s’est accrue d’un tiers entre 1830 et 1960, et d’un quart supplémentaire depuis 1960.

En Malaisie, les forêts sont en croissance

Des processus similaires, d’intensité et d’étendue variable, se sont produits dans toutes les forêts tempérées et boréales des pays développés dont le PIB par habitant excède 4.500 dollars/an et de certains pays émergents comme la Chine et l’Inde. En Malaisie – un des principaux producteurs d’huile de palme -, les forêts sont aussi en croissance. Toujours est-il que l’Indonésien continue de mourir 9 ans plus tôt que le Français et de gagner 84% de moins. Le taux de mortalité des enfants de moins d’un an reste 7,6 fois plus élevé. Dans tous ces pays, les gens ont besoin de devenir plus riches ce qui concomitamment les conduisent à prendre davantage en compte l’environnement dans sa globalité.

Une concurrence active profitant à ces pays comme aux nôtres

Le Parlement européen propose des tarifs, des barrières douanières et autres mesures politiques centralisées. Cela peut nous donner le sentiment que nous agissons noblement mais cela ne va pas aider les pays encore pauvres à devenir plus riches et à faire des transitions favorables à l’environnement. Un système plus décentralisé, fondé sur la responsabilité d’acteurs directement impliqués, qu’ils soient producteurs ou acheteurs, est plus à même de permettre un développement économique compatible avec un meilleur environnement. Dans cette optique, les facteurs clés de succès résident avant tout dans l’émergence de droits de propriété bien définis et d’une concurrence active, profitant à ces pays comme aux nôtres.

Avec l’approche du Parlement européen sur l’huile de palme, on a l’impression qu’une Europe prospère et développée aurait le droit moral de réduire les opportunités de marché des pays émergents sans réaliser que cela va réduire leur développement économique et environnemental. Tout ceci est à l’opposé du but à long terme qu’il s’agit d’atteindre.

Hiroko Shimizu et Cécile Philippe sont respectivement, chercheure associée et directrice générale de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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