Qu’attendre du prélèvement à la source?
Extrait d’une étude de l’IEM (en collaboration avec Ernst & Young) / Juillet 2016
Le gouvernement a annoncé la généralisation du prélèvement à la source à partir de 2018. Ce choix pourrait s’avérer fort coûteux.
Véritable serpent de mer, le prélèvement a été appliqué en France de 1940 à 1948 avant d’être abandonné en raison, notamment, de sa complexité. Près de vingt ans plus tard, Michel Debré avait lancé une initiative en faveur de sa réintroduction en 1966. Elle avait été abandonnée suite à l’hostilité des organisations syndicales à l’égard de cette mesure qui aurait réduit les salaires nets. Valery Giscard d’Estaing a été tenté, lui aussi, par la démarche, en 1973. À nouveau, le gouvernement recula de peur que le prélèvement à la source n’entraîne des revendications généralisées de la part de salariés qui auraient pu considérer, à la lecture de leur feuille de paie, que leur pouvoir d’achat était amputé. Plus proche de nous, Thierry Breton avait travaillé sur la question en 2007, tout comme Jean-Marc Ayrault en 2013, avant que l’actuel gouvernement remette le sujet en selle.
Les employeurs seront chargés de prélever à la source l’impôt sur le revenu à compter du 1er janvier 2018. Cela renforcera leur rôle de « tiers payeurs ». En plus de collecter les charges sociales, la CSG-CRDS et une multitude de cotisations, ils seront en charge de la collecte de l’impôt sur le revenu.
Dans les faits, ils devraient déduire des paies un taux d’imposition communiqué par les pouvoirs publics, basé sur la précédente déclaration de revenu. En effet, les logiciels de paie n’intègrent pas la totalité des informations nécessaires au calcul de l’impôt sur le revenu, loin de là. Conçus pour des calculs de charges sociales, ils ignorent des spécificités comme la composition des ménages, les charges déductibles ou les réductions et crédits d’impôt.
Conséquence, les déclarations d’impôts resteront nécessaires, et il faudra mettre en place des aménagements pour les contribuables ayant trop ou pas assez payé d’impôt sur le revenu.
Un des éléments surprenant dans la gestion de ce dossier reste l’absence de chiffrage précis des coûts liés à la réforme du processus de collecte de l’impôt sur le revenu. La décision semble avoir été prise sans analyse d’impact approfondie. Pourtant, les coûts pourraient être significatifs. En 2012, le Conseil des prélèvements obligatoires estimait que cette mesure coûterait aux entreprises entre 1,3 et 3,5 % des sommes collectées, soit une facture de 700 millions d’euros à 2 milliards par an. Le conseil estimait que les économies seraient minimes pour l’administration fiscale : de l’ordre de 200 équivalents temps plein, soit environ 12 millions d’euros par an. Mais ce chiffrage ne tenait pas compte de toute une série de surcoûts : les administrations devront notamment contrôler l’activité des « tiers payeurs » et gérer les régularisations à faire pour les ménages ayant trop ou pas assez payé.
Cette relative improvisation a de quoi interpeller. L’expérience montre que toute une série de projets récents, censés générer des économies se sont avérés des gouffres financiers pour le contribuable. On se souvient que depuis 2012, la comptabilité de l’État a basculé dans « Chorus », un logiciel qui a coûté 500 millions de plus que prévu. L’année suivante, le ministre de la Défense décidait d’abandonner à terme le logiciel de paie « Louvois », après 460 millions de dérapages. Toujours en 2013, la Cour des comptes estimait que le Dossier médical personnel (DMP) avait conduit à dépenser un demi-milliard en pure perte. En 2014, une réunion interministérielle entérinait l’abandon du projet de refonte du circuit de paie des agents de l’État. Ce programme, dit ONP, visait à rationaliser la gestion de la paie de 2,7 millions d’agents publics, avec à la clef une facture de 346 millions pour le contribuable.
In fine, il y a matière à s’interroger sur l’intérêt de cette évolution. Le prélèvement à la source est déjà majoritaire en France, en raison de l’importance des charges sociales et de la CSG et CRDS. Le traitement de l’impôt sur le revenu, qui ne concerne que 45,6 % des foyers fiscaux, est déjà largement « optimisé ». Les déclarations sont déjà pré-remplies, 70 % des contribuables sont déjà mensualisés. Le taux de recouvrement est de l’ordre de 99 %, quasiment autant que pour les charges sociales.
Dans ces conditions, pourquoi changer le mode de prélèvement de l’impôt sur le revenu ? Ce changement coûteux ne portera que sur une assiette limitée : 3,8 % du PIB, moins de 1/10ème des prélèvements obligatoires. Certains pensent que cela pourrait être la première étape d’une réforme de l’impôt sur le revenu mais, si c’était l’objectif recherché, pourquoi faire ce détour ?