Le cas du Roundup ou la démocratie trompeuse d’internet
Texte d’opinion publié le 22 juin 2016 dans Les Échos.
Depuis plusieurs mois, la molécule glyphosate fait l’objet d’une grave controverse. Brevetée dans les années 1970 comme substance active de l’herbicide Roundup, ce dernier est devenu dans les années 1980 l’un des désherbants les plus vendus au monde. Au cours des dernières décennies, le glyphosate a été évalué à de nombreuses reprises par diverses instances réglementaires qui ont conclu de façon constante qu’il représentait un faible risque pour la santé humaine.
Mais la polémique a commencé en mars 2015 avec une étude du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), dépendante de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui identifiait un risque cancérogène. Certes, une étude plus récente réalisée par ce même organisme et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a jugé « peu probable » que le glyphosate soit cancérogène « chez les humains qui y seraient exposés par l’alimentation ». De même l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) juge le risque cancérogène « improbable », mais le doute est là.
Au final, il est probable que l’homologation du glyphosate arrivant à expiration fin juin ne soit pas renouvelée. La substance fait, en effet, l’objet de vastes campagnes de dénigrement sur les réseaux notamment. Outre des pétitions, une vidéo contre le glyphosate a rencontré un succès phénoménal. Dans sa version française, elle a été vue 5,5 millions de fois et a nourri une controverse forte à son sujet.
Dans son ouvrage La Démocratie des crédules, paru aux éditions PUF en 2013, Gérald Bronner explique comment l’Internet a révolutionné le marché des idées et comment – notamment sur les questions scientifiques – il tend à créer une société d’hypocondriaques.
Pour comprendre le processus à l’œuvre, il prend quelques exemples emblématiques d’hypothèses douteuses comme l’astrologie ou l’existence du monstre du Loch Ness et mesure les avis sur les 30 premiers sites consultables sur le net. Dans chaque cas, il montre que si on ne prend en compte que les sites qui prennent position, 70% d’entre eux présentent des arguments en faveur de ces croyances qu’on sait pourtant sans réel fondement.
J’ai donc voulu tester la chose sur le thème du glyphosate. Pour ce faire, j’ai entré le terme « glyphosate » dans le moteur de recherche Google et consulté les 30 premiers sites proposés, en éliminant ceux qui correspondaient à des sites de vente. Le résultat est étonnant par son exactitude. Sur 30 sites consultés, 8 sont neutres, 16 présentent des arguments favorables à l’interdiction et 6 seulement offrent des arguments favorables à l’utilisation de cette substance. Ainsi, 72% des sites qui prennent position dénigrent le glyphosate. Ils sont liés en général à des organisations ou des personnes qui font campagne contre les pesticides.
Le cas du glyphosate semble ainsi exemplaire de ce que décrit Gérald Bronner, à savoir que des rumeurs qui autrefois restaient confinées à de petits groupes, peuvent maintenant prendre de l’ampleur. Elles arrivent à se diffuser à la vitesse des réseaux sous les effets d’une part, de la massification de la diffusion et de la disponibilité de l’information (la quantité d’informations produites sur les réseaux est devenue incommensurable) et d’autre part, l’accès libre au marché public de l’information. Tout le monde peut s’exprimer sur Internet.
Pour Bronner, ce que l’on trouve aujourd’hui sur les réseaux n’est pas représentatif de l’opinion publique, mais seulement de ceux qui s’y expriment le plus fort. Le bruit des plus motivés à savoir des militants et des croyants y est assourdissant.
Il fait ainsi le constat que sur les questions des vaccins, des OGM, des ondes électromagnétiques, les croyances s’expriment dans un silence presque total de la part de ceux qui pourraient présenter des arguments contraires mais qui ne le font pas, sans doute par manque de motivation et de temps. Et c’est ainsi que certaines croyances peuvent l’emporter sur d’autres. Non parce qu’elles ont prouvé leur véracité, mais parce qu’elles ont su se rendre plus visibles et convaincre les indécis. Or, nous sommes tous indécis sur certaines questions au sujet desquelles nous ne pouvons que croire par délégation.
Une bataille se déroule sous nos yeux. On assiste au développement d’une vision « politiquement correcte » du risque qui peut conduire à l’inverse de ce qui est recherché. La multiplication des interdictions au nom du principe de précaution va à l’encontre d’une gestion raisonnée du risque, faisant appel au principe de responsabilité de chacun. C’est notamment le cas lorsque les acteurs économiques sont incités à prohiber certaines substances et à les remplacer par d’autres, sur lesquelles ils ne bénéficient pas du même recul.
Alors comment remédier à ce nouveau dilemme social qui devient un enjeu majeur de nos démocraties digitales ? Il est crucial que le monde scientifique, les intellectuels mais aussi les producteurs ou consommateurs prennent leurs responsabilités. Ce serait une erreur de baisser les bras et de laisser les discours alarmistes et anxiogènes proliférer, sur Internet ou dans les médias, en renonçant au travail de pédagogie des idées. Ce n’est pas la peur qui nous protégera du risque, mais la raison éclairée par le débat contradictoire.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.