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Islande : le retour de la planification bienveillante

Texte d’opinion publié le 18 mai 2015 dans La Tribune.

L’idée suggérée pour l’Islande d’un contrôle par l’Etat de la création monétaire peut séduire. Mais elle soulève de lourds problèmes.

L’Islande a été particulièrement touchée par la crise des subprimes de 2007. Le pays, dont le niveau de vie jusque-là était parmi les plus élevés du monde, s’est retrouvé ravagé par les conséquences d’une crise dont le secteur bancaire porte l’essentielle responsabilité. Depuis lors, le sujet de la réforme monétaire est au cœur des préoccupations des Islandais. Elle vise à ce que la croissance reparte sur des bases saines et à s’assurer qu’une telle crise ne se reproduira pas.

Le rapport commandé par le premier ministre et rédigé par Frosti Sigurjonsson vient d’être publié. Il ne manque pas de susciter l’intérêt étant donné la proposition de réforme monétaire qu’il promeut. Si le constat dressé sur les vices de fonctionnement du système bancaire islandais est relativement juste, les préconisations pour y remédier sont étonnantes puisqu’elles accordent un rôle central à l’État dans la création monétaire. Après la chute du mur de Berlin, on pensait définitivement éradiquée la croyance dans la capacité de l’État à allouer de façon éclairée les ressources.

Une croissance des crédits en dehors de tout contrôle

Le constat est clair : entre 1986 et 2006, le PIB de l’Islande a cru de 3,2% par an alors que dans le même temps l’offre de monnaie augmentait en moyenne de 18,6% par an. L’origine de cette croissance effrénée se trouve dans l’essence même de la création de monnaie par les banques commerciales gérant des dépôts.

En effet, les banques de dépôts fonctionnent sur la base de réserves fractionnaires, c’est-à-dire qu’elles accordent des crédits sur la base des dépôts des particuliers et non pas en transférant une épargne préalablement constituée – ce qui est le cas pour un pur intermédiaire bancaire.

Pourquoi les banques de dépôts ont-elles cette capacité d’accorder des crédits sur la base de « fonds » qui ne représentent pas une épargne ? Parce que les retraits des uns compensent les dépôts des autres. Dans ces conditions, la banque a la capacité de prêter la partie stable des dépôts, étant entendu qu’elle doit constituer des réserves suffisantes pour faire face aux retraits réguliers de ses clients. L’hypothèse fondamentale à la stabilité du système est l’indépendance des comportements des déposants. Celle-ci n’est évidemment plus vérifiée en cas de crise et explique les « courses au guichet » qui peuvent s’ensuivre. Le système bancaire à réserves fractionnaires est effectivement sujet aux crises dès lors que la confiance est rompue.

L’autre faiblesse soulignée par le rapport Sigurjonsson est l’incapacité de la banque centrale de contrôler la création monétaire des banques commerciales compte tenu de l’organisation bancaire actuelle et du développement du marché interbancaire et monétaire. Les banques commerciales n’attendent pas d’avoir des réserves excédentaires pour accorder des crédits. Sur la base d’un calcul coût-bénéfice, il leur suffit de savoir si le rendement du crédit qu’elles peuvent accorder est supérieur au coût des ressources qu’elles devront lever pour le financer.

Une proposition radicale : la création d’un système monétaire d’État

Se basant sur les travaux réalisés par des chercheurs anglais – Andrew Jackson, Ben Dyson, James Robertson, Joseph Huber et Richard Werner et dans la lignée d’Irving Fisher -, la proposition forte de ce rapport réside dans la création d’un système où le crédit ne pourra plus se faire sur la base des dépôts courants réservés aux transactions courantes mais uniquement à partir de comptes d’épargne « à terme ».

Les comptes de « transactions », détenus par la banque centrale, ne seront ainsi disponibles que pour réaliser des paiements dont la gestion sera déléguée aux banques commerciales. Celles-ci ne seront habilitées à recevoir que des ressources à terme dans un compte appelé comptes « d’investissement », alimenté par les clients à partir de leur compte de transaction ce qui leur permettront d’accorder des crédits. La maturité des comptes « d’investissement » sera au minimum de 45 jours et pourra atteindre plusieurs années.

Un comité indépendant pour définir la quantité de monnaie nécessaire

Les comptes de transaction seront alimentés directement par la banque centrale islandaise puisque c’est elle seule qui sera habilitée à créer cette monnaie. La quantité de monnaie désirée sera définie par un comité indépendant de façon transparente de telle manière à accompagner la croissance économique. Toute nouvelle monnaie sera allouée au gouvernement qui la mettra en circulation à travers l’augmentation des dépenses publiques, la réduction des impôts ou bien encore le remboursement de la dette ou encore le paiement d’intérêt. Par la séparation stricte des activités de gestion de moyens de paiement et de crédit, cette conception entend mettre fin aux excès de crédit qui aboutissent inexorablement à des bulles et à leur éclatement provoquant des crises économiques dévastatrices.

Cette proposition de réforme pose évidemment nombre de questions, à commencer par l’idée qu’un État pourrait se révéler capable de restreindre ses besoins de financement et donc de création monétaire. Quand on voit la peine qu’ont les pays européens – notamment la France – à réduire leurs dettes et déficits, on peut rester sceptique.

Ensuite, la préconisation du rapport de Sigurjonsson est claire. Il préfère le planificateur au banquier mais le premier ne risque-t-il pas d’être tout aussi irresponsable que le second ?

Nathalie Janson est économiste, professeure associée Neoma Business School et chercheure associée à l’Institut économique Molinari.

Nathalie Janson

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