L’Etat français se porte bien et les Français très mal
Article d’Emmanuel Garessus publié le 26 novembre 2014 dans Le Temps.
La campagne présidentielle française a déjà commencé. Les médias s’en donnent à cœur joie. Mais le nom, le style et le parti des probables candidats importent moins que leurs priorités. Il n’existe qu’un objectif à suivre, une seule voie pour sortir la France de son malaise, avance Cécile Philippe, économiste et directrice de l’Institut Molinari. Dans son nouveau livre*, elle évite les questions partisanes pour désigner la cause d’une croissance atone: «la croissance de la sphère publique».
L’augmentation massive des dépenses publiques au cours des décennies, financées par les prélèvements sur la sphère privée, réduit l’incitation à déployer des efforts supplémentaires et favorise les loisirs et le travail au noir. «Elle anesthésie toute initiative individuelle et fait fuir les talents», écrit l’essayiste. Les dégâts sont considérables: la France a «assez de dettes pour briser l’élan de douze générations», ajoute Alexandre Jardin, dans Mes Trois Zèbres (Ed. Grasset).
La question consiste non pas à opposer austérité et relance keynésienne mais à «se demander s’il n’y aurait pas un lien entre dépenses publiques et croissance économique», propose Cécile Philippe. Sur 60 études académiques, François Facchini et Mickaël Melki montrent que seules 8,3% aboutissent à un lien positif entre les deux. D’autres travaux montrent qu’une hausse d’un point de fiscalité réduit le niveau de production de richesses de 0,6 à 0,7%. Cela pourrait paraître modeste, mais un point supplémentaire de croissance signifie une hausse du PIB de 22% après 20 ans.
Comment oser parler d’austérité face à un Etat tentaculaire et une courbe des dépenses dont seuls les keynésiens refusent de voir la pente? Les dépenses budgétaires ont franchi la barre des 10% du PIB il y a un siècle, celle des 50% durant les années Mitterrand, et en 2013 leur niveau atteint 57,1% du PIB. Cécile Philippe demande logiquement s’il est légitime de parler de libéralisme ou de capitalisme triomphant en France. 60% des Français sont pourtant d’avis que leur pays est «plutôt libéral», selon un récent sondage, alors que la France «a cessé d’être un pays de liberté et de propriété», juge l’économiste.
Au long de dix chapitres et d’une analyse historique et économique des systèmes de retraites, de la santé, du marché du travail, de la monnaie et de la technologie, elle décrit comment l’Etat français a pu devenir «trop gras, trop grand, trop puissant», tandis que la dette s’est accrue de 50% par décennie. «Le modèle des 40 dernières années a été de prendre d’une main et redonner d’une autre, mais l’état des finances publiques ne permet pas de poursuivre ce jeu de passe-passe», constate-t-elle.
L’espoir n’a pas disparu. 77% des Français pensent que l’Etat ne réduit pas assez les dépenses publiques (Ipsos 2013). Mais des bonnes intentions aux réformes, le chemin peut être long dans un pays qui enregistre son 40e déficit budgétaire consécutif.
D’autres pays menacés de faillite, à l’image du Canada, ont réussi à mettre un terme au cercle vicieux.
En 1997-1998, le gouvernement canadien présentait son premier excédent budgétaire depuis 28 ans. «Il sera suivi de onze autres et d’une croissance économique qui fera envie aux autres pays de l’OCDE», écrit Cécile Philippe. L’emploi s’est accru de 2,3% par an entre 1997 et 2003, le taux le plus élevé du G7.
Le changement de cap a pris de longues années. Après l’échec des politiques de relance entre 1977 et 1983 et une deuxième récession en trois ans, en 1982, la majorité de la population continuait à privilégier une politique keynésienne. Il a fallu attendre le milieu des années 1980 pour que les Canadiens soient prêts au changement, puis attendre encore dix ans avant que ne se crée un consensus sur les moyens de réduire un déficit budgétaire qui représentait 8,3% du PIB.
En 1992-1993, le déficit budgétaire atteignait 5,6% du PIB. Le climat politique n’a changé qu’en 1993. Un sondage Gallup a alors révélé que les Canadiens préféraient à 73% une baisse des dépenses à une hausse des recettes pour rétablir l’équilibre. Le gouvernement en a fait son objectif absolu. Il a évité des coupes indifférenciées dans les dépenses, agi rapidement et ne s’est arrêté qu’une fois l’objectif atteint. La réforme de 1994-1995 s’est traduite par une baisse des dépenses publiques de 10% en 1994-1995 et à nouveau en 1996-1997. Par la suppression de 55 000 postes, l’emploi public a été réduit de 19,5%.
Un Etat moins obèse et dépensier ne s’accompagne pas d’une perte de popularité, explique Cécile Philippe. Selon le sondage Gallup au sein de 160 pays, le Canada s’est placé au deuxième rang de la satisfaction de ses habitants derrière le Danemark. Le redimensionnement de l’Etat s’est inscrit dans «un véritable projet de société», selon l’auteure.
La pauvreté n’évolue pas en parallèle avec les dépenses publiques. Au Canada, la proportion des bas revenus est passée de 15,3% en 1997 à 9,2% en 2007. En France, le moteur du système, c’est le marché du travail. Malheureusement l’Etat ne le laisse pas fonctionner comme un marché. Le salaire minimum, par exemple, est trop élevé et génère du chômage chez les jeunes et les personnes sans formation. L’auteure proposerait sa suppression si le sujet n’était pas tabou. Des pays plus égalitaires y sont parvenus (Danemark, Finlande, Suède, Autriche). Plus généralement, Cécile Philippe veut redonner plus de responsabilité aux acteurs eux-mêmes. Le code du travail ne devrait s’appliquerait qu’en l’absence de négociations.
La France souffre d’un sentiment de perte d’avenir. «Embrigadés dans un canevas serré de «il faut», nous ne connaissons plus l’insouciance qui permet de respirer, l’envie qui incite à créer, le désir qui pousse à se dépasser, l’empathie qui aide les autres», observe pour sa part Alexandre Jardin.
* «Trop tard pour la France? Osons remettre l’Etat à sa place», Cécile Philippe, Manitoba/Les Belles Lettres, 2014.